Vendredi 2h du matin, Valérie nous dépose sur le lieu du départ, Cap Méchant.
Remise des sacs (poubelle) aux camions pour Cilaos (intermédiaire) et La Redoute (arrivée). Le camion pour Cilaos refuse nos sacs car il n'y a que le N° du dossard et pas le nom. Son collègue pour La Redoute est plus souple et confirme que c'est suffisant. Contrôle du matos obligatoire dans les sacs. Il nous manque la crème anti-frottements ; c'est normal ce n'est pas obligatoire et de toutes façons on n'en a pas. Petite discussion et c'est réglé. Café, croissants, on s'attable en attendant 4h. A 3h50, le speaker annonce que le dossard N° 16xy est prié de rendre les clés de la voiture.
4h c'est parti. On court sur la route entre les cannes à sucre. Je remonte le peloton en espérant rencontrer une tête connue. Bien vu, au bout de quelques km je tombe sur Odile (Dossard N°2) !. Son ami, Marc (Dossard N°1, s'il vous plait), n'a pas pu prendre le départ à cause d'une douleur au genou et au dos. Marc a bouclé son 100ième triathlon à Cublize cette année. De mon côté j'ai achevé le 101ième à Embrun. Nous ferons l'accordéon avec Odile jusqu'à Cilaos. C'est bien agréable de monter à Foc-Foc (km 24) en discutant avec elle.
Ça grimpe et ça se raidit de plus en plus, certaines marches atteignent un mètre. Le jour se lève, c'est splendide. Christian doit déjà être loin devant. On arrive le long de la crête du volcan (alt. 2432 m). Superbe, je prends 2 photos. Je rencontre Marc aux ravitaillements, il me prend en photo. Je déchire ma chaussure gauche (sans doute sur une racine), mais à ce moment je suis loin de me douter des conséquences. La plaine des sables (alt. 2250 m), c'est sans doute là où je cours le plus vite. Ça remonte ferme vers Ste Thérèse (alt. 2400 m). Piton Textor, Plaine des Cafres, on avale les km et on arrive tranquillement à Mare à Boue (km 50, alt. 1600 m). Je note que les Réunionnais sont experts dans la fabrication d'échelles de tous types. Je suis dans les 1100ième, ça me paraît correct. Bon ravitaillement mais les nuages annoncent la flotte. Je sors le blouson de pluie et je repars. Contrôle surprise des sacs à la sortie de Mare à Boue, pas de problème tout est OK. On monte doucement sous la flotte vers Kerveguen. Je rencontre un triathlète d'Angoulême qui a le même blouson de pluie que moi (blouson de vélo !). Je prends une photo souvenir de la brouillasse. On arrive de plus en plus péniblement en haut du fameux coteau Kerveguen (km 59, alt. 2200 m). un panneau indicateur nous annonce : « Col du Taibit : 11h30mn », argl'..Là avec les chaussettes mouillées, je commence à me rendre compte des dégâts que va entraîner ma chaussure bousillée.
On attaque la fameuse descente. On ne m'avait pas menti, il vaut mieux arriver avant la nuit. De jour pas trop de problème, on voit bien les échelles. Il faut même faire la queue !! J'arrive en bas (alt. 1100 m) vers 18h, la nuit va tomber à 18h30. Je tombe sur un vétéran (60 ans), déçu de ne pas faire la même performance qu'il y a 4 ans. Il faudra qu'il se fasse une raison. On remonte vers Cilaos (alt. 1224 m), là ça devient dur. Je récupère mon sac intermédiaire (avec des chaussettes sèches) parmi l'étalage sur le terrain de foot et je me dirige vers le ravito. Valérie a dû passer mais il est 19h et elle est sans doute rentrée à St Pierre (j'apprendrai plus tard que je l'ai ratée de 10 ou 15 mn seulement).
Je prends l'option de ne pas dormir et je pars vers le Taibit. Descente vers la rivière, je remets les pieds dans l'eau, adieu chaussettes sèches. Sévère montée vers le Taibit. Heureusement les deux plus beaux ravitaillements (sauvages ceux-là ) avec une excellente tisane nous attendent dans la montée. Un suiveur descend et me demande si je n'ai pas vu un concurrent allongé le long du chemin. Je n'ai rien vu. Plus loin j'en verrai en fait une bonne douzaine piquant un roupillon le long de la route. Un autre suiveur descend et me demande si je n'ai pas vu quelqu'un allongé le long du chemin. Là pas de problème il y en a plein ; il me demande les N° de dossard, mais je n'ai rien noté (et de toutes façons à travers les couvertures de survie on ne voit rien). On arrive au sommet (alt. 2080 m) et on attaque la descente vers Marla (km 80, alt. 1580 m). Les malheureux qui avaient choisi de dormir à Marla repartent frigorifiés (4°C et en fait les lits sont dehors). Au pointage après Marla je suis 801ième , ça me redonne un peu le moral mais je ne me fais pas trop d'illusions, c'est dû aux abandons à Cilaos et à ceux qui dorment et qui me rattraperont ensuite. On arrive à une jolie passerelle en corde et bois. Plus loin il y a une plaque commémorative : un jeune pilote d'avion de 17 ans s'est mangé la passerelle !! Je vois des coureurs à contresens, est-ce une première hallucination ou me suis-je trompé de route ? Je ne le saurai jamais. On me double, tout est donc redevenu normal.
Le chemin vers la Rivière des Galets est de plus en plus pénible, je vois encore de nombreux concurrents dormir le long de la route. J'arrive au petit jour à Trois Roches (km 86, alt. 1220 m) ; mon pied fait de plus en plus souffrir. Ceci dit, après une nuit dans la montagne je suis bien content de mon équipement (à part les chaussures), ce qu'il faut mais rien de trop. Au ravito de Trois Roches on m'annonce que l'on va ensuite vers Roche Plate qui est 100m plus bas et où il y a un excellent petit déjeuner. Je fais le plein d'eau pour seulement « 100m de descente », c'est plus léger. En traversant la Rivière des Galets je saisis le câble (à ne pas faire, un câble tendu sur plus de 50m n'est pas une rambarde métallique) et je me retrouve à l'eau. Ce que l'on ne m'avait pas dit c'est que ça remonte ensuite plusieurs fois vers 1500m avant de redescendre vers Roche Plate et donc je suis vite à court de flotte. Le paysage est fantastique, ça rappelle l'ambiance du « Seigneur des Anneaux ». Le soleil commence à faire son effet, j'ai quelques hallucinations. J'ai l'impression de faire une course de vélo'. On monte vers La Brèche (alt. 1300 m), le câble et enfin la descente. Je vois en pensée Christian franchissant La Brèche en vélo. Ce que je ne sais pas encore, c'est qu'il est passé la nuit et sans tenir le câble (ce qui n'est rien sauf si on sait la peur du vide qu'il avait quand il était plus jeune). Je prends une belle photo souvenir de La Brèche. Descente de La Brèche, l'horreur pour les pieds. Les Orangers, petit ravitaillement, je reste 10 mn « au frais » sous le seul arbre du coin. Après une descente épouvantable on arrive enfin à la Rivière des Galets. Traversée de la rivière à gué, une fois, deux fois, trois fois, quatre fois,'.., quatorze fois (peut-être même vingt) et enfin le ravitaillement.
Deux Bras (km 105, alt. 255 m) : l'idée d'abandonner m'effleure, pas pour moi mais pour Valérie qui va certainement m'attendre beaucoup plus longtemps que prévu. Après une courte réflexion (quelques secondes à tout casser) je n'abandonnerai pas, Christian qui m'a amené ici ne serait pas très fier de moi. Je décide de faire soigner mes pieds à l'infirmerie de campagne. Le médecin me donne la procédure : « tu laves tes pieds dans la bassine là -bas et ensuite tu va voir les podologues ». Je me lave donc les pieds dans un jus immonde et je fais la queue à la tente des podologues. Activité intense. Ce qui est remarquable, c'est que rien n'impressionne les secouristes et qu'ils font vraiment tout pour que l'on arrive au but. Je repars au bout d'une petite heure avec ma dernière paire de chaussettes sèches en direction de Dos d'Ane. La montée est moins terrible (échelles et câbles) que ce que l'on m'avait dit et on a une très jolie vue sur Deux Bras. Seulement un peu long sur la fin. Un randonneur qui descend nous informe que nous sommes à 70m de Dos d'Ane (curieux, on n'entend pas les poules) ; de fait ce devait être 70m de dénivelée et pas de distance brute. Le plus dur c'est le tronçon de route très pentu à Dos d'Âne (alt. 930 m). Direction Roche Verre Bouteille (alt. 1140 m), échelles, chemin pourri, épouvantable et j'attaque la deuxième nuit. On est un petit groupe pas très sûr de la route, on ralentit pour interroger le groupe qui nous suit et qui n'est pas plus convaincu. Finalement, on arrive bien au stade de Dos d'Ane. Je ne traîne pas et repars illico vers le Piton Grand Bazar. Nous sommes trois et pas d'accord sur la route à suivre. Je reste néanmoins persuadé que la banderole SFR n'a pas été mise là par quelqu'un de malveillant. Je continue. Une heure après je suis toujours à la même distance du terrain de foot illuminé. Je deviens fou (en fait on fait un cercle autour de Dos d'Ane). Enfin, après le Piton Grand Bazar (alt. 1350 m) on ne voit plus le stade, bon débarras. Le chemin me paraît atroce, je tombe au moins quinze fois. On arrive au premier kiosque. Le deuxième est à 3,5km. Plus loin quelqu'un prépare une corde fébrilement. Un concurrent s'était assis au bord du chemin pour enlever ses chaussures et a glissé dans le ravin !! Grâce à la végétation tropicale, sa chute a été arrêtée quelques mètres plus bas. Je reste persuadé que l'on fait une course de vélo et je pense arriver à La Redoute vers 4 h du matin.
Enfin, le kiosque suivant est à portée de main, on voit les phares des voitures, ouf un virage et on y est. A la sortie du virage, plus de phares. L'enfer recommence, c'est au moins douze boucles qu'il faut faire pour atteindre le poste de pointage. Au loin on voit les lumières de la ville ' Saint-Denis - , toute proche. Kiosque d'Affouches (km 127, alt. 1050 m), je me traîne de plus en plus, je dois plafonner à 2 km/h. Je suis seul et donc je prends le road book pour éviter de faire une erreur. A ce moment-là , la lampe à main que m'a conseillée Christian se révèle bien utile. En fait l'erreur je la fais en me trompant de ligne en lisant le road book. On s'éloigne des lumières de la ville et je réalise que ce n'était pas Saint-Denis, mais Le Port. Déception. Pas grave j'arrive à La Fenêtre au petit matin et je me dis que c'est fini, on va descendre doucement vers La Redoute. Erreur grave, on remontera dix fois avant de vraiment descendre. Je n'ai plus de pieds (le gauche surtout). Un gendarme près d'une civière contenant un concurrent qui va être hélitreuillé me demande si je veux bénéficier du même traitement. Non, merci tout va très bien, j'essaie de passer dignement (en me tenant aux arbres tout de même). Paradoxalement, le plus dur ce ne sont pas les montées, mais les descentes qu'elles annoncent. Photo à l'entrée du Colorado (km 135, alt. 680 m), je demande au photographe de m'oublier mais il insiste car le paysage, lui, il est beau. Ravitaillement du Colorado, un organisateur me tend la main en disant : « sans rancune » (il a dû sentir mon envie de le tuer).
Le pire est à venir. Je mettrai 3h30 à descendre les 5 derniers km en m'asseyant sur toutes les pierres à franchir. Je me souviens avoir couru une fois 4km en 13mn40s. Avec le soleil les hallucinations reprennent. Je suis dans un chemin qui m'est familier ; quelqu'un me demande si je connais la région et je lui confirme que je connais très bien (jamais mis les pieds ici avant). Le sentier se déroule tel que je l'ai en tête. De la vraie hallucination. Chaque randonneur qui monte me dis que l'arrivée est à 10mn, juste après le virage, et 30mn après je suis toujours à galérer. Une fille qui a abandonné à Cilaos monte à la rencontre de son ami qui devrait atteindre bientôt le haut du Colorado. Elle est en pleine forme, pourquoi a-t-elle abandonné ? j'ai honte de la façon dont je descend, quand un concurrent me double j'attend qu'il ne me voit plus pour m'asseoir sur la pierre suivante.
Le pont sous la voie rapide, le stade à 500m, je ne suis plus qu'une loque. Entrée du stade, il est 11h du matin (dimanche), Valérie est bien là à 50m près de la ligne d'arrivée et elle me reconnaît. L'arrivée est trop belle, je m'écroule sur la pelouse à 5m de la ligne d'arrivée, je n'irai pas plus loin.
Christian est arrivé 23 h plus tôt, magnifique.