Ce CR est sans doute un peu long et pas très bien écrit, mais cette course a représenté pour moi l'aboutissement de 25 ans de course à pied et je me dois d'en conserver autant de souvenirs que possible. Ce fut une aventure exceptionnelle. Il y a plusieurs façons de rédiger des CR, celui là n'est que du vécu, brut.
L'organisation de l'équipe (N°20, "Tais-Toi et Rame": Patricia – notre capitaine-, Caroline, Edwin, Christian -Ufoot-, et moi) a été l'oeuvre d'Astrid en qui on peut avoir une confiance totale. La phase d'organisation a été magnifiquement décrite dans son joli CR.
Pour moi l'objectif était évidemment d'arriver, pour deux raisons: - assurer le succès de nos trois compagnons de route de l'AVIA (Patricia, Caroline et Edwin) qui préparent l'UTMB. Quant à Christian, pas de difficulté pour qu'il atteigne la ligne d'arrivée. - conjurer le sort, car lors de ma première participation (1998) notre équipe (Nolhtairt 91) était arrivée hors délai de 20mn. Et pour la deuxième en 1999 j'étais bien arrivé dans les délais, mais au lieu de l'arche d'arrivée c'était aux urgences de l'hôpital de Longjumeau d'où j'étais ressorti avec un bras dans le plâtre pour plusieurs semaines.
L'expérience de Christian étant beaucoup plus fructueuse, arrivé 10ième en 2005 sous la direction de l'Electron, c'est sa stratégie qui sera choisie. Comme on n'est pas des champions, on choisit la route simple des balises vertes pour assurer une belle arrivée à Pat et Caro. Et non pas ma stratégie de bourrin des années 98/99 qui consistait à ramasser systématiquement toutes les balises et à foncer comme des tarés pour rattraper le retard acquis; ce qui s'était soldé par un échec total (sauf qu'on avait bien rigolé quand même).
Après une bonne assiette de pâtes (merci Pat), un bon coup de gourdasse bleue (l'Electron, y-a-quoi là -dedans???, en tout cas qu'est-ce que c'est bon !!), la dégustation d'un super gâteau (dont j'ai déjà oublié le nom) offert par Koline et le pointage d'une dizaine de balises sur la carte, nous partons à bonne allure et je me retrouve rapidement à la traîne 10m derrière.
J'ai quelque inquiétude; je connais l'allure de Christian (nettement plus rapide que moi), Edwin (un avion, 2h45 au marathon alors que je suis à 1h de plus), mais pas des deux filles. J'ai du mal à les suivre et ça se confirme de plus en plus. Je ne force cependant pas l'allure, 7km/h c'est suffisant, car je sais ce que l'on ressent au bout de 15 h de course et il ne faudrait pas que je ralentisse l'équipe sur la fin car en général au Raid28 la fin du parcours c'est essentiellement de longues lignes droites sur lesquelles il ne faut pas amuser le terrain..
Aucune difficulté jusqu'à l'aqueduc de Buc que nous atteignons avec toutes les balises vertes en poche. La « maison » qui en barre l'entrée est bien visible, demi-tour et récupération de la PP013 puis c'est la descente à la mode « Kigliss » vers l'escalier et l'entrée du tunnel de la Bièvre où l'on fait un peu trempette sur une cinquantaine de mètres.
Plus loin c'est la grosse trempette à laquelle personne ne peut échapper car la règle veut que toute l'équipe poinçonne son dossard. La Bièvre est même embouteillée par les raideurs. Quelques errements sur les chemins et l'on se retrouve de nouveau à l'eau. L'équipe marche à merveille et l'on cueille consciencieusement les balises vertes.
PC4, nous sommes annoncés 9ème, ce qui nous réjouit. Une petite pause pour pointer les balises suivantes sur la carte, un organisateur vient vers nous et nous suggère de nous presser car nous risquons d'être en retard au PC6. Un moment de doute et nous décidons de ne pas faire la CO et de tracer la route, ce qui est un peu dommage car nous sommes sur le terrain d'entraînement quotidien de Christian et il pensait ramasser les bleues les yeux fermés. On ramasse les deux bleues PP041 et PP042, puis une erreur fatale au niveau de la PP043 nous emmène en dans des taillis où nous perdons une bonne demi-heure. Une autre erreur de ma part nous fait perdre un quart d'heure dans le parc d'un Château et nous atteignons le PC7 où l'on sort la fameuse carte miroir qui ne posera aucune difficulté à Christian.
Maintenant on doit filer à bonne allure pour rejoindre le PC12 à temps, mais la fatigue se fait sentir. Caroline ralentit pendant que Christian et Edwin partent à la recherche de la PP076 (Hutte Montavale). Au bout des longues lignes droites boueuses de la forêt de Rambouillet, qui viendront à bout des belles chaussettes blanches de Pat, c'est l'entrée du tunnel de la Voûte. Il faut être raisonnable, malgré l'envie de prendre la balise qui s'y trouve il vaut mieux préserver les forces de Caro et Pat. Mais il ne nous reste néanmoins (salut, Cyrano) que 12mn pour parcourir le km de boue qui nous sépare du PC12. Je sais bien que ça peut paraître une performance ridicule, mais il faut courir si on veut l'atteindre. Je me retourne vers nos deux jeunes femmes et le leur demande comme une prière, elles démarrent immédiatement. A partir de là je suis convaincu qu'elles tiendront jusqu'au bout. Nous atteignons le PC12 à 2mn de la barrière horaire (11h); celle qui est sur le road-book car nous apprenons qu'elle a été repoussée de 30mn. Cela redonne bien sûr un peu de moral. Notre Capitaine Pat décrète une pause casse-croûte et nous propose d'excellentes crêpes. Merci, Pat !
Nous en profitons aussi pour reporter quelques balises sur la carte,et là qui voit-on arriver?
Les N° 19, UFOS du 28 (Koline, Phil, Géraldine, Manu-Le sanglier et Loran) pur jus 100% UFO, qui eux ne s'attardent pas et ré-attaquent immédiatement.
Curieusement ils filent tout droit quand on tourne à droite; ils doivent préférer tracer la route plutôt que courir la balise à travers bois.
Edwin a une douleur au genou qui se réveille et l'on fait une pose « Elastoplast ». Dans la forêt on croise régulièrement L'Papy, dans un sens ou dans l'autre, qui semble courir à la recherche de son équipe. Le Raid28 sera donc toujours aussi rigolo. Un peu avant le PC13 on retrouve les N°19, moins Le Sanglier que l'on verra 500m plus loin à contresens. Bizarre, les amis.
Je me retourne et vois Caroline qui court doucement d'une foulée mal assurée, caractéristique d'un problème bien connu aux pieds. Je cours à ses côtés pour qu'elle n'ait pas le sentiment d'être à la traîne derrière. Elle ralentit de plus en plus, je lui prends la main pour la soutenir un peu et l'aider à accélérer car nous avons peu -voire plus du tout- de marge. J'accélère insensiblement pour l'amener en tête de l'équipe et lui redonner un peu de « pêche ». Elle suit de mieux en mieux, Caro, et doit avoir une sacrée dose de courage. Je cherche soigneusement la trace au sol qui la fera le moins souffrir et je ne lui lâcherai plus la main jusqu'à l'arrivée. Maintenant c'est Pat qui est derrière, elle a froid mais avance d'une foulée néanmoins très élégante. Qu'ont-elles dans la tête toutes les deux? Que je suis un tyran? Elles auraient peut-être raison; mais je ne veux pas qu'elles échouent, je veux leur faire franchir la ligne d'arrivée. Et je me souviens qu'Astrid m'a prévenu que ces deux-là sont les plus « bargeot » du groupe, donc on peut compter dessus.
PC13, au GPS je constate que l'on maintient 6,5 km/h depuis un bon moment et Caro ne ralentit pas, super Caro. Edwin déniche la PP084 et dans une dizaine de km ce sera le terrible PC14 que nous ne pouvons désormais plus atteindre dans les délais. Que faire ? Christian est parti seul à la recherche des précieuses balises. Je parle à Caro et lui promets que nous passerons, comment je n'en sais rien mais je ne peux pas lui avouer qu'il n'y a plus aucune chance. L'expérience m'a appris à ne pas stresser et à toujours y croire tant que l'échec n'est pas avéré. Continue, Caroline, imagine que l'arrivée est là devant toi à 700m. Ensuite c'est du gâteau, une fois le PC14 franchi on marchera doucement jusqu'à l'arrivée et ce sera gagné. Fais-moi confiance, la dernière barrière est là juste devant toi. Le PC14 est maintenant en vue à 200m maximum. Une amie de Caroline se précipite à notre rencontre et lui crie « Arrête, Caro, ne cours plus, c'est fini !! ». Elle paraît alors soulagée, mais je ne veux pas y croire. Je tiens fermement sa main et nous continuons en croisant une équipe qui rejoint l'autobus. Caroline m'accompagne et ne me lâche pas, c'est un moment que je n'oublierai jamais. Nous traversons la route et atteignons le PC14 « C'est Nous, l'Equipe N°20, nous voilà !!! », « Oui, mais vous êtes hors délai », « Oh, on n'est pas à 10mn près ». Sur ce, Christian déboule, tout sourire avec le carton de pointage à la main, un coup de poinçon et c'est reparti! Pat se demande comment ça a pu se faire, peu importe c'est comme ça et c'est gagné. Je pousse doucement Caroline pour l'éloigner de ce piège, puis nous marchons lentement pour la laisser récupérer, elle l'a plus que mérité. Brave Caroline, tu l'auras ton UTMB.
Maintenant, changement de stratégie, la dernière étape c'est l'arrivée. Je suis convaincu que si on l'atteint, on ne sera pas ignoré dans le classement même si on est un hors délai. Christian, le plus en forme, fera seul le chasseur de balises jusqu'à l'arrivée. On laissera Caroline et Patricia marcher à leur allure jusqu'à l'arrivée. Un km après le PC14 c'est un spectacle « d'apocalypse » qui s'offre à nos yeux: trois équipes complètes sur le gazon avec les pieds à l'air. L'idée est que Caro n'ait pas le temps de réaliser, et il me semble que comme elle regarde à peine plus loin que le bout de ses chaussures il y a peu de risques qu'elle prenne conscience de l'ampleur des dégâts (pas bon pour le moral).
Un km plus loin, à l'entrée d'un cimetière, c'est un concurrent roulé dans sa couverture de survie qui appelle à l'aide. Décidément ça ne s'arrange pas, c'est l'Ecureuil qui doit être là depuis deux heures avec une cheville foulée. .Un coup de téléphone à Papy Turoom et il envoie Jano le récupérer. Mon téléphone tombe en panne de batterie 10s plus tard, c'était juste. Direction le PC15 par la route la plus courte, seul Christian fera la chasse aux balises. Après une hésitation entre le chemin du road-book et la route la plus directe sur la carte, nous prenons le chemin car le terrain sera plus souple pour les petits pieds de Caroline. Je prends bien soin qu'elle pose ses pieds dans l'herbe mais parfois c'est impossible et je sens sa main se crisper sur la mienne, courage Caroline tu verras comme c'est beau l'arrivée et tu oublieras tout le reste. Mais le chemin est encore long et je ne sais pas ce qui se passe dans sa tête, elle a sommeil et je ne connais pas sa résistance. Personnellement je sais que je déraille à la troisième nuit blanche, mais pour elle je n'en sais rien. Je prends également une bouteille d'eau à la main pour lui donner à boire régulièrement, et puis ça décharge le sac de Pat. On prend une belle photo à la balise N°100 (facile à trouver, disons-le).
Un peu plus loin Christian annonce 5km à vol d'oiseau à son GPS pour le centre de Nogent-le-Roi. Caroline n'ose y croire. En fait on ne court pas à vol d'oiseau et l'arrivée est de l'autre côté de Nogent avec un parcours sinueux à travers la ville, donc il y a un peu plus, mais combien(?), je ne sais pas.
On devine le PC15 au-delà d'une petite côte. Une voiture vient vers nous et nous propose de nous ramener, ce sera non. Le conducteur nous annonce un kilométrage restant qui me paraît fantaisiste et qui a pour effet d'abattre Caro. Je dois encore passer pour un tyran. Arrivée au PC15 à 16h25, il est clair que pour rejoindre l'arrivée avant 16h30 il faut en mettre un sérieux coup. Nous sommes à moins de 4km du but et tout va se jouer en quelques secondes. Patricia déclare continuer, Edwin et Caro me regardent, hésitent un court instant puis démarrent, c'est gagné !!. Bravo, Capitaine Pat, c'est toi qui a tout sauvé au moment le plus dur.
Ultime effort dans dans la ville que l'on traverse par la voie la plus directe en oubliant même le parc du château et ses deux balises gratuites. Dans la dernière côte une voiture descend et nous annonce: « bravo, plus qu'un km! ». S'il savait le malheureux, Caroline n'avait pas besoin de ça, elle s'attendait à 200m. On lui explique bien que les spectateurs n'ont pas le compas dans l'oeil et racontent n'importe quoi, mais ce n'est pas très convaincant. On arrive enfin aux 200m, faux plat descendant et on voit l'Arche d'Arrivée.
On vient à notre rencontre.
Cette fois ça y est nous passons l'arrivée, Caroline tombe dans les bras de ses amis, on nous tend un bol de soupe bien chaude, Odile me met les fameux sacs bleus sur ce qui fut des chaussures, Papy Turoom nous annonce qu'on nous fera une petite place dans le bas du classement. C'est enfin gagné. Et je suis délivré de voir que les les efforts de Caro, Pat et Edwin n'ont pas été vains et que l'équipe a fait honneur à son nom « TAIS-TOI ET RAME». En 25 ans de course, c'est l'émotion la plus forte avec l'arrivée au GRR 2004. Au GRR, ce fut parce que j'y étais arrivé, là c'est parce que j'ai fait ce que j'ai pu pour y amener Caroline. Et la dernière bonne nouvelle, c'est le classement final: 12ième (35 équipes au départ) avec 58 balises vertes et 3 balises bleues.