Dernier week-end d'août
Au moment où j'écris ces lignes, fin septembre, j'ai déjà fini la Race Around Ireland donc ce petit parcours réalisé fin août peu paraître insignifiant. Pourtant, il a vraiment du sens, c'est en quelque sorte l'explication, la clé du pourquoi et du comment il est possible de faire plus de 2000 bornes de vélo d'un traite.
Ces derniers temps, mon entraînement vélo ressemble à ceci :
- tous les jours aller/retour au boulot en Brompton, 11 km aller, 11 km retour, chaque trajet en 40 minutes
- de temps en temps (une fois par mois...) une sortie "classique" d'une centaine de km avec mon vélo de route et les copains de l'UVA
- beaucoup de course à pied, exemple : au départ de LEL, j'avais seulement 4000 bornes de vélo en 7 mois depuis janvier, en revanche j'avais déjà 2500 bornes à pied, ce qui compte énormément et participe à ma condition physique générale
- une à deux fois par an, une grosse "sortie solo" en vélo, où je travaille l'autonomie, le sens de la débrouille, la solitude, etc. Typiquement, l'année dernière j'étais allé au Mont St-Michel et à Nantes .
Or donc, en ce beau mois d'août 2013, je vois l'Irelande est ses plus de 2000 km qui se rapprochent. J'ai dans ma besace un LEL plutôt réussi, mais je pense qu'un petit supplément d'entraînement ne me ferait pas de mal. Depuis janvier, j'ai environ 6000 km au compteur, à vélo. C'est beaucoup et c'est peu. Je décide donc de profiter d'une réunion de famille, un mariage en Bourgogne, pour caser une petite sortie solo de derrière les fagots. Je cherche parmi les flèches de France laquelle passe près de ma destination, et c'est la flèche numéro 7, Briançon qui s'avère le meilleur choix. En effet, elle passe à Saulieu, et c'est là que je vais.
After work
Vendredi soir, j'ai tout organisé, prévenu mon épouse et mes enfants : je pars direct du boulot, près de la gare Saint Lazare à Paris, et nous nous retrouverons demain midi à la campagne. J'ai 18 heures pour faire 305 km. Sans faute, pas le droit au retard! En pratique, j'arrive à rouler à 20 km/h pauses pipi comprises, avec un peu de sommeil et d'imprévu, cela devrait rentrer.
Le départ est ssez chaotique, la sortie de Paris est toujours plus ou moins agréable, mais là , c'est plutôt moins que plus. Les quais de Seine du côté de Bercy... bof. Enfin j'entre en banlieue. Cela doit s'appeler "le neuf-quatre" par ici. C'est cradingue. L'endroit n'incite pas à la rêverie. Je file grand large, au milieu des voitures et d'une pollution bien réelle, et arrive enfin dans un secteur un peu moins austère, pas loin de la forêt de Sénart. Adolescent, je venais parfois m'entraîner dans le secteur. Je tente de téléphoner à Valérie pour la rassurer et lui dire que tout va bien, et puis ça capte mal, et puis je suis pressé. J'hésite à faire le plein de coca dans mes bidons lorsque je passe devant un camion pizza à la tombée de la nuit. C'est la dernière chance, ou presque. Je laisse filer la chance, on verra plus tard, au pire j'aurai soif. Finalement je trouve une épicerie un peu plus loin. Je remplis tout à ras-bord, et c'est parti pour la nuit.
Nuit solitaire
La nuit en cyclotourisme, c'est un grand paradoxe. Il est impossible de valider les brevets longue distance, et encore plus infaisable de terminer des randonnées comme Paris-Brest-Paris sans rouler de nuit. Quand le sport s'appelle "cyclotourisme" avec "tourisme" dans le mot, on peut se demander quel sens cela revêt de passer, de nuit donc, au milieu de paysages superbes, en ne voyant qu'un mince faisceau lumineux 30 mètres devant soi (et encore, 30 mètres, je suis gentil, car dès qu'il pleut...).
Pour autant, rouler seul de nuit, c'est pour moi toujours un plaisir, je ressens toujours un frisson lorsque l'obscurité s'installe. Un frisson, tout d'abord, parce que la température baisse. Seuls ceux qui s'y sont frottés savent qu'à 4 ou 5 heures du matin, dans nos contrées, il fait rarement chaud... Un frisson aussi parce que, reconnaissons-le, c'est franchement dangereux. Je porte toujours le gilet réfléchissant, j'ai toujours un éclairage ad hoc, mais je ne peux pas non plus me protéger contre le type bourré qui rentre pleine balle chez lui à 2 heures du matin sur une route de campagne. C'est un risque à prendre. Je continue à le prendre. Jusqu'à quand, je ne sais pas, j'en connais qui ont laissé tombé le vélo et sont passés à la course à pied rien que pour ça, pour ne plus risquer sa peau bêtement.
Bon bref, je roule. Pendant, on va dire une bonne centaines de kilomètres, c'est assez désagréable et pénible, la circulation est dense, les parisiens rentrent chez eux, d'autres partent peut-être en week-end à la campagne. Dans tous les cas, la circulation est dense, je dois rester très vigileant, et ne peux pas trop m'adonner à la contemplation.
En revanche, une fois sortie de cette zone maudite - rien n'est vraiment sympa tant qu'on est dans un rayon de moins de 100 km autour de Paris - la ballade devient franchement sympa. Je suis les indications du GPS et m'enfonce dans la campagne française. Certains noms de ville me rappellent le brevet 600 Noisiel .
Mais petit à petit, le sommeil me rattrape. Je ne souhaite pas prendre de risques inutiles. Jusqu'ici, j'ai bien roulé, aucun événement perturbateur significatif, je suis donc dans les temps. J'avance mollement mon 20 km/h de moyenne, un peu amputé au début à cause de la ville et des feux rouges, et qui a du mal à décoller à cause de la nuit. La nuit, je roule moins vite, c'est ainsi. Je décide donc de pratiquer la technique du "saut de puce" entre deux petits dodos de 5 minutes à 15 minutes, c'est ce que j'ai fait à LEL avec Richard Léon la dernière nuit, le lendemain on le paye, mais sur le moment c'est une bonne technique pour avancer. Donc dès que je sens que je tourne de l'oeil -> je cherche le plus proche endroit où je peux dormir. Et j'ai de la chance, le parcours longe une ligne de bus, donc il y a des abris bus tous les 5 ou 10 km, c'est tout simplement royal! Je fais ainsi 3 à 4 pauses. La dernière sera la plus longue, comme j'ai bien deux heures de marge sur l'horaire limite pour retrouver la famille à Saulieu, je dors "jusqu'à ce que je me réveille" (en pratique, cela fera un peu moins de 40 minutes) en attendant le lever du jour.
Soleil, divin soleil
Lever du jour qui se fait en pleine descente, dans un coin superbe, un peu avant d'arriver à Vezelay. D'ailleurs, après avoir profité de la vallée de l'Yonne - avec quelques gorges superbes, je dois le reconnaître - j'attaque le Morvan, et, comme qui dirait, ça monte. Mais le relief reste raisonnable, les gens sont civilisés par ici, les routes font des virages et ne tracent pas droit dans la pente, donc au final, tout passe tout seul.
Au petit matin, je m'arrête dans un village et boum! Le combo : café + boulangerie. C'est un des plus grands plaisirs du cyclotourisme, après une bonne nuit passée seul à tenter d'avancer coûte que coûte, se poser le cul sur une chaise, avec un bon café double bien serré, un perrier bien frais avec des bulles, l'assurance qu'on va repartir avec les bidons pleins à ras bord, et enfin piller la boulangerie voisine sans remords, manger croissants, pains au raisons, gougères (ça a l'air local et elles sont délicieuses), que demander de plus?
Les bonnes choses ont une fin
L'arrivée sur Saulieu se passe sans encombres, je profite de mon avance pour aligner quelques kilomètres supplémentaires - je pousse la ballade a 340 km - et termine mon périple dans une pizzeria, où j'aligne assiette de charcuterie, pizza, café liégeois, au soleil en terrasse.
Si avec ça je ne vous ai pas donné envie de faire du vélo, je ne sais plus ce que je peux faire pour vous! ;)
Pour le coup j'aurais bien envie de la faire en entier, cette flèche Briançon, cette petite mise en bouche était particulièrement alléchante. À voir. J'aimerais bien pouvoir me dire un jour "j'ai fait toutes les flèches de France". Mais cela risque de prendre un certain temps. Tant mieux.