Samedi 23 octobre 2004
Commençons par parler du retrait des dossards, qui en dépit de tout ce que j'avais pu entendre s'est bien passé, et plutôt rapidement. En effet, arrivés à 15h30, nous attendons 17h00 que la distribution commence, et à 17h45 tout est fini, Jean-Paul et moi avons récupéré nos dossards et articles publicitaires divers (bonbons, crème solaire, casquette et autres gadgets). On croise quelques têtes connues, et on se fait mitrailler par les moustiques. Aïe.
D'une manière générale les quelques jours avant la course sont consacrés au repos, à la glandouille dans la piscine. La veille de la course, grande interrogation sur l'étiquetage des sacs d'assistance. On doit être bigleux on n'a pas vraiment vu/lu ce qu'il fallait et on bricole en catastrophe, mais avec talent, des étiquettes 88 et 16, en oubliant bien sûr de noter nos noms et adresses dessus.
Concernant le contenu du sac, après avoir méticuleusement envisagé un tas d'articles précis - notemment en ce qui concerne le "mangé" - tout est finalement très vite réglé car j'ai oublié mes petits papiers préparatifs à la maison. Du coup je fais simple: dans mon sac à dos au départ 3 mini-nuts, 3 mini-lions, 3 berlingots de lait concentré sucré, et 2 sachets de soupe. Manque de pot je me suis fait avoir sur la soupe, c'est de la "0%". Zéro pourcent de quoi je ne veux même pas savoir, à mort les produits de régime moi je voulais de la soupe "100%" avec tout dedans. Bon, tant pis je les prend quand même, c'est salé donc c'est toujours ça de pris.
Couché la veille vers 21h00, on se réveille à minuit et quart, on réveille Adèle - un petit mélange scrupules remords car quand même c'est pas sympa pour une pauvre petite de 9 mois, mais bon aller à pied jusqu'au départ du car c'était un poil loin - et hop dans la voiture. Arrivée à Cap Méchant vers 2h00, Valérie nous dépose et ramène donc Adèle qui gazouille dans la voiture.
On pose nos sacs intermédiaires dans les camions ad hoc. Le responsable du camion des sacs "La Redoute" fait un peu le difficile car nos noms ne sont pas écrits. Je lui explique que soit il le prend soit je le laisse par terre sur le stade à Cap Méchant car Valérie étant partie, et moi n'étant pas prêt à le porter sur le parcours, je n'ai pas d'autre option. Il est sympa et compréhensif, c'est cool.
Vérification du matos obligatoire. Nous n'avons pas de pommade, on nous le fait remarquer. On argue du fait que ça n'est pas obligatoire. Et pis d'abord je ne mets jamais de pommade. Dans les produits publicitaires proposés il y avait bien un espèce de truc pour les pieds censé éviter les frottements, mais même ça je n'en ai pas mis. Je ne veux rien tester de nouveau le jour de la course. Je n'ai jamais mis de crème type "Nok" ou quoi que ce soit sur mes petits petons, c'est pas aujourd'hui que ça va commencer. Ajoutons à cela que j'aime pas les massages et que je n'ai pas l'intention de me faire masser sur le parcours, et donc on comprend l'absence logique de crèmes ou pommades dans mon sac, hormis un petit tube échantillon de crème solaire.
Petit déjeuner sympathique, café-croissants, et on patiente sur le bord d'une table. J'observe les coureurs autour de moi. J'ai l'impression que c'est peuplé de types de de filles avec un super niveau, et que moi je suis le dernier des guignols au milieu de tous ces spécialistes. Je visite abondemment les toilettes sur le stade, qui sont pour une fois équipées d'un système potable qui remplace avantageusement la chasse d'eau et évitera apparemment que les cabines ne se transforment en territoire totalement impraticable réservé aux mouches, comme c'est malheureusement souvent le cas. Bravo l'organisation, c'est le genre de détail qui change la vie.
Bientôt le départ, le concurrent 1600 et des brouettes a oublié ses clés, ça nous fait bien rire. Et puis hop c'est parti. Je n'essaye pas de courir avec Jean-Paul, je pars tout de suite à mon rythme, comme si j'étais seul.
De fait au début c'est surtout de la marche (trop de monde), puis très vite je peux trotiner par intermitence, et en même pas 10 minutes je peux courir à mon rythme, et la foule ne me gêne pas. C'est dense mais ça passe. La frontale est un peu superflue car il y a beaucoup de monde mais je finirai par la mettre, car c'est confortable d'y voir "vraiment bien".
Un concurrent m'intrigue. Il court à 12 ou 13km/h, puis marche, puis se remet à courir, puis remarche, mais reste toujours à ma hauteur. Sachant qu'il a un pur bermuda de campeur et des chaussettes remontées en haut des mollets je flaire le type un peu bizarre qui s'est trompé de course. Je note le numéro de dossard. En regardant sur Internet plus tard, je constaterai qu'il s'est arrêté à Mare à Boue. J'aurais parié qu'il ne verrait pas La Redoute. Je croise un nouvel abonné au mag qui a remarqué mon écussion UFO sur mon sac-à -dos, ainsi que Batman (dossard 123) avec qui je discute un petit peu mais pas trop, je passe devant. A ce stade j'essaye surtout de ne pas me laisser embarquer, j'essaye de coller à un petit rythme raisonnable, et très concrètement ne pas dépasser 130 au cardio, tout en rattrapant quelques concurrents pour ne pas être trop "bloqué" par la foule lorsque la route va se resserrer.
Je croise un ravito où je ne m'arrête pas car il est blindé de monde, normal avec la densité de coureurs ambiante... Ceci étant dit dans l'ensemble je trouve que je ne suis vraiment pas très gêné par les autres coureurs, je m'attendais à bien pire. La route forestière est large, il y a de la place. J'oublie de noter le ravito en question sur le GPS. Pas grave il ne sert à rien. Par contre arrive bientôt un "vrai" ravito utile où je vais faire le plein d'eau. Après tout j'ai déjà bu pas mal. J'ai tout de suite commencé à boire, dès le début de la course. Je fais donc le plein et je repars. Il y a un petit contrôle avec un poinçon rigolo. Ca m'amuse. Et ça tourne à droite, ça monte bien cette fois, fini la route forestière. Un chemin dans lequel on passe à 1 ou 2 de front. On peut encore doubler si on le souhaite. Le jour est levé.
Je me dis que "s'il avait plu" ou "s'il pleuvait" ça pourrait être la bonne galère ici. Petit à petit le chemin a tendance à se rétrécir. Dans certaines portion on ne peut plus doubler. J'essaye de me calmer et de ne pas trop bourrer. C'est tentant pourtant mais je me dis que les minutes gagnées ici seront automatiquement perdues plus tard. J'ai prévu 130 au cardio, je m'y colle. Une concurrente habillée en bleu siffle comme une vraie locomotive. Amusant. Un autre concurrent, moins chanceux, est à quatre pattes en train de vomir ses tripes après seulement 3h de course. Quelques créoles nous doublent comme des avions. Autant pour eux, moi j'estime qu'il n'est pas temps de s'énerver, il reste de la route. A deux reprises je resterai bloqué 5 minutes immobile à cause de "bouchons". Ridicule comparé à la durée de la course. Perdre 1/4 d'heure sur les 4 premières heures c'est négligeable comparé au fait que j'ai pu éviter de me mettre en surrégime.
Mon cardio me rend bien service car il fait aussi altimètre. Très pratique. Voire indispensable. Car avec ça je sais rapidement si on est loin ou pas de la fin de cette première côte. Une fois sortis de la forêt, ça continue à monter, mais dans une végétation basse. C'est cool on voit les gens devant. J'hésite à enlever ma carline mais finalement je la garde en me disant que je n'ai pas vraiment trop chaud, et qu'il suffit d'un coup de vent ou d'un peu d'ombre pour que ça se rafraîchisse sec. Arrivé près du secteur du volcan, je commence à doubler quelques concurrents. En même temps je suis toujours au même rythme d'environ 130 au cardio. Ce n'est pas moi qui accélère, ce sont eux qui ralentissent.
Sur la crête du bord de l'enclos, je discute avec un z'oreille qui a participé et/ou organisé les premières éditions du Grand Raid. C'est sympa comme tout. On s'échange des encouragements puis je pars devant. Sur un ravito, j'hallucine et prend un peu un sourire goguenard en voyant un concurrent perdre pas mal de temps avec sa poche à eau. Il est en train de se faire un mélange (de la pourdre plus ou moins énergétique je pense) dans la poche et la secoue comme un malade. Moi j'ai opté pour l'eau plate dans la poche, et par contre aux ravitos de l'organisation je me gave de sucré et de salé. Coca, bananes, fruits secs et gâteaux pour le sucré. Sel pur consommé "à même le doigt" pour le salé. Ce mode de consommation me fait d'ailleurs doucement sourire question hygiène car, heu, voyez-vous, quand je m'arrête pisser il n'y a pas de lavabo pour se laver les mains ni de torchon pour les essuyer. Je vous laisse tirer vos propres conclusions. Moi ça ne me gêne pas mais je sais que certains coureurs peuvent parfois être un peu plus exigeants 8-)
Arrive la plaine des sables. Premières photos. Je fais le guignol. Faut dire que ça fait quelques heures que je trotine, et le constat commence à être de plus en plus clair: j'ai une méga-maxi-banane. La forme des grands jours. Je grimpe je cours et la fatigue ne vient pas. Aucune trace, nada. Chanmé, l'entraînement ça paye les copains. Je sens bien que mes jambes ont un peu bossé, mais au bout de 6h de course je suis frais comme un gardon comparé au Trail du pain d'épices ou au Trail du Condroz.
Fin de la plaine des sables, qui se termine sur une bonne petite montée. Jusqu'ici j'avais pas mal trotiné mais là avec la côté c'est la marche qui reprend le dessus. J'ai un peu mal sur le dessus du pied droit. Aïe, à surveiller. Mais que puis-je faire? J'essaye de penser à autre chose. Le Foretrex (mon GPS) est à cours de piles, je change. M'ont pas l'air terribles ces piles, 7h d'autonomie alors qu'on devrait pouvoir tenir 15h avec un jeu. Bof bof. M'en fiche j'en ai plein en réserve. Je croise Béatrice, que j'avais déjà croisée au pain d'épices. Je la double donc, et me dis que si jamais je flanche elle sera là pour me cueillir 8-)
Vient ensuite une période super sympa, et dans le prolongement de la plaine de sables, je me paye une super tranche de "rando-course". Je me ballade. C'est génial. Pas de réelle fatigue, et pourtant je commence à taper dans les 8h de course. Je profite donc de l'ambiance. Les coureurs sont maintenant assez espacés, il m'arrive de me retrouver seul. J'essaye de faire gaffe où je mets les pieds. On traverse des champs et il y a des petites échelles sur les barbelés. Je suis heureux. C'est cool, je m'en paye une bonne tranche, pour rien au monde je n'échangerais ma place avec qui que ce soit. Je suis en train de faire une course que je prépare depuis 9 mois, et pour l'instant les indicateurs sont au beau fixe, tout va bien. Elle est pas belle la vie? J'enlève ma carline car bon là vraiment il fait chaud. Un peu de crème solaire sur les épaules et zou.
Viennent quelques parties bitumées. Rétrospectivement je pense que ça devait être la traversée de la N3. J'en suis sûr en fait. Là -dessus je reprends un peu de monde. Le bitume ça me connaît, je suis d'Argenteuil voyez-vous... Je trace donc, en surveillant le cardio pour éviter la surchauffe. La fatigue commence un petit peu à se sentir, mais rien de grave. Il y a pas mal de spectateurs. Arrivé à Mare à Boue, je décide de manger un bon morceau. Ca mets un peu plus de temps que prévu car je fais la queue pour la soupe. Je suis un peu brouillon, je perds du temps avec mon sac, je m'emmèle un peu les pinceaux mais finalement je limite la casse. Je remets des fringues sur mon dos car il fait moins chaud et je sais que je me dirige vers l'inénarable coteau Kerveguen. Contrôle du matos obligatoire. Je fais une super mauvaise blague "vous allez rire, j'ai tout perdu!!!". Ca ne fait rire que moi mais c'est déjà ça.
Allez hop en route pour le coteau breton où qu'il fait froid et que ça glisse et qu'il paraît que ça sent bon l'abandon. Bon, très sincèrement, j'aime bien la montée vers ledit coteau, car au moins je peux vérifier que je ne suis pas venu pour rien. Ca commence à être bien bouillasseux par moments (et encore il bruine à peine, je n'ose imaginer la même chose sous des seaux d'eau...) et on voir poindre les premières échelles... ...à la descente. Normal, on monte! Bon, c'est un point remarquable de ce GRR, ce qui est le plus pénible dans les côtes, ce sont les descentes surprises en plein milieu qui vous font bien comprendre que les 20 derniers mètres de dénivelé que vous venez de faire ben ça servait à rien va falloir tout refaire dans 5 minutes. Hou! Je commence à croiser un ou deux coureurs en difficulté. J'offre à boire à un concurrent qui est à sec. Un autre est assis essouflé sur le bord de la route. Moi ça va. J'ai doublé un groupetto au début de la côte, il ne me sont pas revenus dessus. Je dois donc tenir un rythme correct.
L'arrivée à Coteau Kervegen est superbe. J'adore. C'est peut-être la plus belle image que je garderai du GRR. Des bénévoles en sucre qui vous accueillent chaleureusement, dans un froid humide, perdu dans un nuage à 2000m d'altitude, au milieu de nulle part. Musique, soupe chaude, c'est génial. J'ai presque envie de m'arrêter là non par fatigue, mais par plaisir. Heureusement que j'ai envie de connaître la suite 8-) Ceux qui disent que la course commence à Cilaos exagèrent un peu à mon sens. Pour arriver ici faut quand même une bonne dose d'énergie, et ce qui suit ne manque pas de piment, à savoir la fameuse descente depuis coteau Kerveguen sur Cilaos.
Parlons-en de cette descente. Moi qui avait peur d'avoir le vertige ben finalement ça passe tout seul. La végétation est dense donc on ne voit pas trop le vide et puis finalement je suis tellement occupé à savoir où je mets les pieds que j'ai d'autres chats à fouetter que de me poser la question de savoir si oui ou non c'est dangereux ou impressionnant. J'ai une descente à faire moi, je suis pas là pour amuser le terrain. Je m'insère dans un petit groupe avec un couple très sympatique, on discute entre 2 échelles. Quelques créoles nous doublent comme des avions. J'hésite à essayer de suivre. Ca m'a l'air dans mes cordes. Mais je réfléchis (si si) et conclus que celui qui gagne c'est celui qui arrive le 1er à l'arrivée, pas celui qui arrive le 1er à l'hôpital. Prudence donc. En plus je me suis promis, sur des conseils avisés de copains UFOs, d'arriver "frais" à Cilaos. Je reste calme donc. Malgré tout je descendrai de 800 mètres en 50 minutes, faut dire que ça descend sec.
Arrivé en bas de cette descente, petite déception à un ravito où j'aurais voulu du coca mais y'en a pas. S'il faut c'était juste un ravitaillement "flotte". Pas très grave j'ai des nuts et des lions en rab'. Je mange très régulièrement en fait, je recharge régulièrement une des poches filet de mon sac avec 1 nuts, 1 lion, 1 tube de lait concentré sucré, afin de toujours avoir du sucré à disposition. Excellente stratégie je pense. Je consomme tout ça entre les ravitos, je commence en général à entamer le stock 1/2 heure après être parti du ravito. Pour la flotte, c'est symple: dès que j'y pense je bois une petite gorgée.
La remontée sur Cilaos est un tantinet pénible, je m'y serais bien téléporté d'un coup, remonter ces 200m de dénivelé, c'est un petit peu rasoir. Enfin y'a du public, on va pas se plaindre. Curieusement, jusqu'à l'arrivée à Cilaos, je n'ai pas vu le temps passer. C'est allé trop vite. Depuis coteau kerveguen je rêve sans vraiment me l'avouer d'arriver en moins de 12h à Cilaos. Seulement comme je dois arriver "frais" à Cilaos, je n'ai pas le droit d'accélérer comme une brute. Du coup l'horloge va trop vite, j'aurais envie qu'elle ralentisse pour me laisser arriver dans les temps. Assez incroyable je trouve après 12h de course, normalement j'aurais du trouver le temps long... Mais voilà , j'ai la patate, aujourd'hui je ne suis pas indestructible mais il s'en faudrait de peu.
Une fois à Cilaos, j'essaye de mieux m'organiser qu'à Mare à Boue. Bof, pas terrible. Je décide d'abord de récupérer mon sac. C'est où c'est où? Dans le stade en face. Mince, si j'aurais su, j'aurais tourné à gauche tout de suite! Bon, pas la peine de s'énerver, je me dirige tranquille vers le stade, un bénévole me cueille avec mon sac en main. Chanmé l'organisation, même pas besoin de le chercher! Je perds pas mal de temps à faire le tri de ce que j'emmène ou n'emmène pas. Je prends les piles de rechange, ma polaire (en plus du maillot manche longue UFO) car j'ai eu un peu froid à Kerveguen et bientôt il fera nuit (rien que d'y penser brrrrr), et je refais le plein de bouffe. Par contre je laisse sans y toucher les chaussettes sèches car mes pieds vont bien et le maillot manches courtes car de toutes façons en transpirant je mouille tout en 30 minutes, donc ça sert à rien de me dépoiler pour me retrouver mouillé tout pareil juste après.
Je pars ensuite manger. Miam groumf yabon le poulet et les nouilles. Je bois aussi de la bonne soupe. Puis je fais le plein de flotte, de coca, et je passe devant le point de contrôle. Un petit pincement au coeur quand j'annonce "j'y retourne". Je pense, et à juste titre, qu'un certain nombre de coureurs n'ira pas plus loin, et je pense aussi, toujours à juste titre, que je suis parti pour en baver. Mon idée était de ne pas trainer à Cilaos et j'ai bien fait. D'ailleurs, comme je suis arrivé "frais" à Cilaos, je vois pas pourquoi j'aurais eu besoin de m'y arrêter longtemps. Après tout les kinés, les massages, les podologues, les lits de camp, c'est pour ceux qui sont fracassés, mais moi je suis censé être tout beau tout frais, donc ça ne me concerne pas. Et toc.
Fait remarquable, alors que je suis arrivé à Cilaos entouré de plein de coureurs, je repars seul. A tel point que peu après être parti je me demande si je ne suis pas perdu tellement c'est le désert. Pas possible, soit ils ont tous abandonné, soit j'ai gagné 100 places car ils sont tous en train de prendre le thé en terrasse et je me retrouve dans une partie du classement où les coureurs sont moins denses. Un peu des deux certainement.
En tout cas la descente jusqu'à Bras Rouge est encore un vrai plaisir. Un de ces moments où je me sens bien. Je commence à avoir un peu les jambes dures, mais j'ai de la marge. Je vais en avoir besoin pour Sa Majesté le Taïbit. Arrivé à la rivière, un garçon me colle un super autocollant sur mon dossard. Yo! Puis je vois le panneau "Col du Taïbit: 4h00". Hein? Quoi? 4h? Pas fous non? Je réfléchis: même en allant vite, j'en ai pour au moins 2h car clairement je ne vais pas 2 fois plus vite qu'un randonneur. Rien que d'y penser une grande fatigue m'envahit. Enfin allons-y... Je peste contre les petites micro descentes qui s'intercalent dans la montée. C'est mesquin, je voudrais monter tout le temps et tirer au plus vite vers le sommet. Misère, ça y est je commence à être dans le dur.
Arrivé au ravito, au niveau de la route, je suis cramé. Finie l'euphorie de début de course. Ca y est le GRR commence à me montrer que bon, c'est bien gentil mais faut pas compter en venir à bout comme si c'était une promenade. Je suis essouflé. J'ai froid. Tout ce ressemble de près ou de loin à un vêtement est sur mon dos. Je prend de la soupe. Je commence à boire du café parce que 1) c'est chaud et 2) ça maintient éveillé. Car la nuit tombe. Je mets la frontale sur ma tête, je l'allumerai dans 10 minutes.
Je reste bien 10 minutes à ce ravito. Je sais que je perds du temps mais j'en ai besoin. J'ai un méchant coup de pas bien et je veux attaquer la 2ème partie de la montée à peu près requinqué. Ca commence à flancher chez les coureurs, j'en vois sur le bord assis, essouflés, qui semblent pas super super. Je prends garde de toujours envoyer un petit "ça va?" histoire de pas laisser en plan un type vraiment pas bien qui serait à cours d'eau ou de bouffe où qui aurait besoin de secours. La fin de la montée est assez pénible, j'ai l'impression de ne plus vraiment avoir de jus. J'évite de passer en force. Je mange bien, je bois, et j'attends le sommet. J'ai de la buée sur les lunettes, il bruine, ça pèle, et soudain: ravitaillement sauvage! Musique, thé, sourire, encouragements, 1000 mercis à ces réunionnais qui se reconaîtront j'espère.
Je continue à surveiller l'altimètre et à 200m du sommet je sens que c'est bon, je vais y arriver nom de Zeus. La bascule est un pur soulagement. Par contre ça descend bien. Au début j'ai du mal à m'y mettre mais petit à petit je rentre "dans la course". Allez, hop, je me fais plaisir. Une petite prise de risque, couplée à un passage en mode "c'est pas grave si t'as mal aux jambes" font que je commence à redoubler des coureurs. C'est donc dans un esprit plutôt branché "je fonce" que j'arrive à Marla. Au passage, la vue de Marla de nuit depuis la fin de la descente du Taïbit est surréaliste. D'ailleurs tout commence à être un peu surréaliste. J'ai dépassé les 15h de course (ma limite en triathlon), je cours la nuit (une 1ère en compétition), et il me reste des dizaines de kilomètres à parcourir en pleine montagne. C'est dingue. Et j'adore ça.
A Marla, je vois des lits. Le plan dodo ça pue. Je ne suis pas fatigué de toutes façons. Je bois, je mange, et ça me suffit. Je repars seul dans la nuit. C'est de plus en plus n'importe quoi cette course. Je suis seul dans la pampa avec ma petite loupiotte, porté par une paire de jambes dont je sens bien qu'elles commencent à accuser le coup, et le simple fait que je sois encore capable de courir sans être complètement en vrac me paraît incroyable. Car j'ai quand même échappé à la chute, à la baisse de moral, à la tendinite, au mal de ventre. Bref, j'évite les obstacles sans broncher. C'est cool, tout baigne!
Je commence à forcer l'allure. Je décide de faire "ma" course et de ne pas suivre les autres. Je n'essaye pas de coller à aucun groupe pour bénéficier de leur éclairage, de leur présence ou quoi que ce soit. Le balisage est excellent donc le risque de se perdre est minime. Je file. Et dès que ça descend, j'allume. Je fonce. Tagadap tagadap c'est pas que je sois souple ni rien mais trouver des appuis au dernier moment dans les chemins caillouteux avec l'éclairage de la frontale m'amuse. Quand je descend je ne pense qu'à ça: où vais-je mettre le prochain pied? Du coup je reprends pas mal de monde.
Je vais parcourir un bon bout de chemin avec un créole qui comme moi reprend des places. Dès que c'est plat, on trotine. Quand ça monte, on marche. Quand ça descend, on trace. Pas super vite, mais plus vite que les autres. Disons que j'ai l'impression que la plupart des gens sont prudent avec ces descentes nocturnes, alors que nous prenons quelques risques. Pas raisonnable? Hé moins de gaz entre Cap Méchant et Cilaos j'ai pas arrêté d'être raisonnable, maintenant il est temps de rigoler un peu! Mon pote créole a déjà fait 4 fois le GRR. 27h au mieux, 37h au pire. Je dois pas être mal dans le classement dis-donc... Il me dit que cette année il est pas bien il arrive pas à se rentrer dedans en côte. Moi ça me va très bien comme ça on monte ensemble. On se quittera vers trois roches, car je marquerai un arrêt plus prolongé. D'une manière générale j'ai l'impression que je traînasse pas mal aux ravitos. La contrepartie c'est que je n'ai aucun soucis grave au niveau de l'hydratation ou de la bouffe. Est-ce vraiment du temps perdu? Pas sûr... En tous cas mon objectif principal est de finir, donc je préfère être prudent.
Je repars donc seul. Je joue un sale tour à un concurrent lors du passage d'un gué. Il est devant, je suis derrière, et nous nous tenons à une corde. Je suis déséquilibré et me rattrape à la corde. Du coup la corde bouge. Il est déstabilisé et mets le pied dans l'eau tandis que moi je reste au sec. Mes excuses lui seront de peu de secours, sa godasse est trempée 8-( Un peu plus loin, j'entends un type devant qui lance "attention y'a un boeuf". Mon cerveau embrumé se dit "un boeuf c'est quoi? encore un terme créole qui doit désigner un rocher particulier, une bifurcation particulière, un trou, un fossé, que sais-je... après tout un boeuf en musique ça a une signification particulière, pourquoi pas en créole?". Ma frontale m'informe: il y a une paire de corne sur la route en face de moi. "Et faites gaffe c'est pas un boeuf c'est un taureau!!!". Argh! Je monte en catastrophe sur un rocher que je juge inaccessible au bovin moyen et regarde incrédule passer la bête sur le GR, en pleine nuit, en liberté. Placide le taureau. Décidément y'a de l'action dans Mafate, on ne s'ennuie jamais ici.
Ensuite je commence à vraiment être dans une autre dimension. Je m'attendais à être "bientôt" au prochain ravitaillement, mais ça dure des plombes? J'ai des caillous dans mes chaussures. Mais bon sang il est où ce ravito? J'en ai un poil marre. Et ça monte, et ça descend. Je regarde dans la montagne pour voir les frontales au loin. J'en vois une super haut, tout en haut. Mais enfin c'est pas possible on va pas monter si loin ils sont malades? Petite erreur d'appréciation de ma part, c'était pas une frontale c'était la lune. Houla, attention ma lucidité part en cacahuètes. Warning!
Je finis par m'arrêter pour enlever le sable de mes chaussures, car le prochain ravito semble être trop loin ou simplement ne pas exister. Je constate que le talon droit de ma chaussure est complètement explosé. La "gomme" est en train de se décoller, à moitié arrachée. Voilà ce qu'il en coûte d'accélérer dans la descente du Taïbit. Je n'ose pas accuser la chaussure, je pense plutôt que c'est la faute à la montagne.
Arrivé vers Roche Plate, je dis ouf! Et je vois des coureurs alignés, résignés qui respirent l'abandon. Ouh la la ça sent pas bon ici, vite un café, du manger, le plein de flotte et je quitte ce ravitaillement qui sent la mort. Non pas que les bénévoles ne soient pas à la hauteur. Au contraire. Mais bon c'est pas la peine de s'éterniser et de méditer sur sa condition, faut y aller. Comme je le lisais dans "A step beyond", le mot d'ordre sur un ultra c'est "keep moving". Départ donc.
Et çà continue, vas-y que je monte, vas-y que je descend. Je croise des coureurs (ils reviennent sur moi si je me rappelle bien) qui parlent de la course de tête, car l'un d'eux a un portable. Paraît-il que c'est l'hécatombe chez les 1ers, que Sherpa est dans les choux, qu'ils ne sont pas passés au Colorado, et qu'ils vont finir en plus de 20h. En d'autres termes, cette année le GRR c'est pas de la pisse d'âne, c'est une course qui fritte. Tant mieux. Plus c'est dur plus ça m'arrange. Je me vois déjà en train de faire un classement potable simplement grâce au fait que d'autres auront abandonné. Pas très noble comme pensée me direz-vous mais ici en pleine nuit dans le froid on pense à ce qu'on peut et on fait pas le malin.
Tout à coup un gars sur le bord de la route me dit: "vous êtes à La Brèche". Je lui dit "Ah ouais super..." avec un air de type à la masse et n'ai pas le courage de lui dire la suite qui aurait été du genre "Ben dis-donc je m'en tape comme de l'an 40 moi ce que je veux c'est être à La Redoute le reste je m'en contretape, La Brèche ou Vladivostok pour moi c'est tout pareil...". En fait il essayait de me prévenir qu'il fallait faire gaffe à pas tomber dans le ravin. Il reprend "ça va pas monsieur? vous voulez vous reposer?". "Oh non ça va très bien!" que je lui réponds en mentant de manière flagrante. Il insiste pour que je tienne le câble. Bof, je le tiens plus ou moins mollement pour lui faire plaisir et éviter d'être cloué sur place de force, et franchis donc La Brèche en me disant que vraiment y'avait pas de quoi en faire un fromage, je pourrais passer là avec la poussette de ma fille, et encore en la tenant d'une main et en me curant le nez de l'autre. Apparemment c'est une (grave) erreur d'appréciation.
Peu après je décide de changer les piles de ma frontale. Pas top ces piles vraiment. C'est bien moi ça. Je fais le malin sur le Forum UFO avec tout un tas d'informations que j'ai glanées sur le piles, j'essaye de commander des pures piles AAA lithium de folie qui durent super longtemps et finalement je pars en course avec des piles de supermarché 1er prix, qui donc ne tiennent pas la durée. Oh certes ma frontale éclaire encore, mais pas assez vu la nature du terrain. Ici il faut y voir sinon je vais me casser la margoulette. Donc je change. Du coup j'utilise les piles qui auraient du servir pour le GPS. Mince alors je ne pourrai pas "capturer" l'intégralité du parcours. Boaf, tant pis, mieux vaut y voir et arriver vivant plutôt que d'enregistrer au GPS une magnifique dégringolade la nuit dans Mafate. A ce titre je me fécilite d'avoir emmené 2 lampes. Car la seconde est bien utile pour y voir quelque chose pendant qu'on est en train de changer les piles de la première.
Et ça redescend. J'en ai marre, ça commence à me taper sur le système ces descentes dans des pierriers (vraisemblablement des lits de torrents...) à n'en plus finir. Je paye peut être mon insolence dans la descente du Taïbit. Enfin maintenant il est trop tard. J'essaye quand même de descendre assez fort. Tant pis si ça fait mal. M'en fous. J'en ai marre, je veux arriver au prochain ravito.
Enfin j'y arrive. Les Orangers je crois. Là c'est clair, j'ai plus de jambes, elles sont restées là -haut dans la montagne. Je suis claqué, et comme disent les anglophones "my quads are shot". Je me réchauffe le coeur en discutant avec des bénévoles. Je bois 20 000 cafés. Bon sang que ça fait mal de repartir.
Et ça redescend. Là j'ai vraiment mal. Les pieds commencent à chauffer. "Une petite descente, du plat et vous êtes à Deux-Bras, 7km" qui disaient au ravito. Ben tiens. J'ai appris sur les portions précédentes que les kilomètres sont interminables ici. J'ai mis 1h40 pour faire un parcours qui faisait paraît-il 5km... Descente interminable, j'ai les cuisses en feu, j'en ai marre, j'ai peur de tomber par maladresse. Je continue néanmoins à essayer de me rentrer un peu dedans. Qui veut aller loin ménage sa monture? Je vais pas loin moi, je vais juste à Deux-Bras, paraît-il que c'est pas loin. Et puis au diable la monture elle a qu'à aller se faire foutre tout ce que je lui demande c'est d'avancer.
Arrivée dans le "fameux plat". En fait de plat c'est un merdier immonde dans lequel on passe son temps à chercher sa route. Avec un autre métro, on finit pas "s'associer" pour trouver le bon chemin. Lui fait 90% du boulot, moi les 10% qui reste à savoir vérifier qu'il n'oublie rien et l'aider en cas de doute. Ca marche bien, on forme un team du tonnerre. Dans la rivière des galets, on se fera rattraper par plein de raideurs mais aucun ne passera devant. Tous restent derrière pour profiter de notre "débroussaillage" du chemin. 1000 fois je crois que je vais tomber dans la flotte lors des multiples gués qui traversent cette fameuse rivière des galets. 1000 fois je crois que "c'est bon cette fois on est à Deux-Bras". Interminable. Horrible. J'en ai marre mais alors vraiment marre. Ca suffit! J'ai les godasses pleines de sable, on ne peut pas avancer dans cette mélasse, on passe notre temps à chercher des balises avec nos frontales faiblardes. Le cardio s'endort dans les 90 à 95 pulsations/minute.
L'arrivé à Deux-Bras est une délivrance. On voit des raideurs qui montent dans la montagne à droite, direction Dos d'Ane. Tant mieux pour eux. Je vide le sable de mes chaussures, je fuis les lits et les médecins comme la peste. Je taille un bout de gras avec les bénévoles, mange la bonne cuisine du cuistot. Je grelotte et tremble de tout mon corps, le riz a du mal à rester dans ma cuillère le temps que je l'ingurgite. Il ne faut pas que je moisisse ici. Hop départ. Sur le classement, on peut avoir l'impression que j'ai perdu des places à Deux-Bras, mais c'est faux. Je suis arrivé en tête d'un groupe de 10 personnes, donc ma place à l'arrivée est sur-estimée, et à l'inverse je repars juste derrière un groupe de 5 personnes, donc ma place au départ est sous-estimée. Au final, je suis d'un certain point de vue plutôt mieux placé. J'ai froid. Vivement que ça monte.
Très vite, je suis bloqué par un groupe devant. Ils vont un poil moins vite que ce que je souhaierais. Je décide de passer devant. Il y a 2 féminines dans ce groupe, ce sera un point de repère facile s'ils me rattrapent, pour savoir si j'ai ralenti plus tard dans la course. Ma décision de passer devant répond à une logique simple: je veux faire *ma* course, et non pas suivre le rythme des autres. L'idée est que le rythme qui m'emmènera le plus vite et le plus sûrement à la Redoute est celui que ma carcasse me dit de suivre, et pas un quelconque rythme imposé par les autres. Je passe devant donc devant. Cette montée est assez agréable en fait. Ca me fait des vacances après le cauchemard interminable de la rivière des galets. Au moins ici on se fatigue et on sait pourquoi. Je regarde le cardio et m'aperçois que je peux encore monter dans les tours. Cool.
Au bout d'un moment, je m'aperçois que devant moi un concurrent monte dans le noir, sans lampe. Bigre. Au bout de 20 minutes il décide de m'attendre et se propose de monter avec moi pour profiter de mon éclairage. J'ai mieux à lui proposer: je lui prête ma lampe de secours. Le jour devrait se lever bientôt.
Et finalement, tout se débloque: le soleil se lève et j'entends le chant du coq. Ca veut dire 2 choses, 1) je vais enfin pouvoir me réchauffer et 2) s'il y a un coq il y a une basse-cour donc Dos d'Âne n'est pas loin. Bingo, 5 minutes plus tard je bois de l'eau au ravito. Ca fait du bien les amis. Un ami de celui à qui j'ai prêté la lampe vient d'abandonner: il est cuit. Dommage. Moi j'ai clairement plus de jambes, mais le moral est finalement pas si mauvais. Malgré un parcours assez mesquin, en particulier cette ignoble montée sur le bitume dans Dos d'Âne. J'ai conscience, en écoutant les coureurs autour de moi, que l'épreuve est "pimentée" cette année. Donc je ne me formalise pas sur le temps que je mets. Et d'ailleurs le couperet tombe au check-point suivant. 194ème qu'on me dit. Hein quoi? Qui comment qu'est-ce? Vous avez dit 194ème? Ca veut dire que moi, le poireau de service, je suis dans les 200 1ers sur une course avec plus de 2000 partants. Vous rigolez ou quoi?
Cette nouvelle me galvanise, je suis gonflé à bloc. Tant pis pour les jambes qui tiennent plus, j'ai un nouvel objectif: finir dans les 200 1ers, et j'ai bien l'intention de vendre chèrement ma peau. C'est ainsi que je passe la Roche Vert Bouteille à toute vibure. Les échelles qui 3 ans avant lors d'une ballade avec ma femme m'avaient un peu intimidé me laissent de glace. Je trace. Je suis avec un coureur depuis une petite heure et lui propose de passer devant car à force de bourrer je commence à tourner de l'oeil. Il me dit que non, et que s'il veut forcer il reste plein de kilomètres. Il a peut-être pas tord, mais moi je profite de cette méga top frite que j'ai grâce à cette 200ème place envisageable, et je fonce.
Petite hésitation sur le parcours avant de me diriger vers le stade. Heureusement que je ne suis pas seul. Au stade, j'essaye de ne pas perdre trop de temps au ravito, mais mon collègue me lâche et part avant moi. Mes pauses ravito sont loin d'être optimisées, par contre jusqu'ici j'ai jamais eu mal au bide ni rien. Donc je décide de continuer tout pareil. Entre 5 et 10 minutes. Je prends le temps de boire sans m'étouffer, je mange, je rebois, et je fais le plein d'eau.
Dans ma tête, on se dirige vers le Piton Machin Truc Bazar, et ensuite on amorce une longue descente de 25 bornes sur la Redoute. Dans la pratique c'est pas tout à fait ça. Ca monte un peu sur le bitume, puis un peu en forêt, puis on se retrouve à flanc de montagne. La montagne à droite, le Port à gauche. Ca va durer des heures. Je m'attends toujours à "monter" en haut du Piton Truc mais non, toujours il y a un virage à gauche, un autre à droite. A force, je finis par comprendre qu'il n'y aura pas de sommet du Piton Chose.
Cette marche vers le Kiosque est interminable. Ca dure des plombes. Je fais des estimations sur mon heure d'arrivée et arrive à conclure que pour moins de 30h c'est cuit, et par contre moins de 35h c'est jouable. Je me fais distancer par un groupe, mais je rattrape quelques coureurs isolés. Les féminines de Deux-Bras m'ont distancé. J'essaye de ne pas me reposer sur mes lauriers, et de relancer en trotinant dès que possible. A un moment je décide même de sauter une pause pipi et de faire pipi en courant. Non pas que je sois à 1 minute près mais je trotine bien et j'ai pas envie de casser le rythme. Les relances deviennent de plus en plus dures, j'ai vraiment les jambes explosées, j'ai mal aux cuisses surtout. Je m'arrose donc un peu les jambes pendant cette manoeuvre accorbatique mais dans l'ensemble l'expérience est concluante. Je suis mort de rire.
Finalement je vois le kiosque à ma gauche. Yes yes yes on y est bientôt! Erreur grave... Il reste encore moult zig-zags. C'est terrible cette portion. Longue comme un jour sans pain, et aucun vrai point de repère qui vous permette de vous convaincre que "oui vous avez avancé". J'en ai ma claque. L'arrivée au Kiosque est un soulagement énorme. On m'y annonce qu'il reste 20km. Je regarde le road-book, et pense qu'il est reste plutôt moins. Peu importe, j'irai au bout, même s'il faut remonter au Taïbit. Je décide de m'habiller "pour l'arrivée". J'enlève la carline, reste donc uniquement le débardeur de l'organisation, et j'enfile mon magnifique bob vert à pois bleus qui fait sensation auprès des jeunes filles du poste de ravitaillement.
A moi La Redoute! Je pars donc la fleur au fusil, il paraît qu'il y a un peu plus de 3km jusqu'au prochain poste. Même cinéma que précédemment, c'est interminable. Je regrette de ne plus avoir de piles dans mon GPS sinon c'est sûr j'aurais pu prouver que l'organisation s'est trompée d'un coefficient 2 (au minimum) sur toute la mesure de ce tronçon du parcours. C'est après 40 ou 50 minutes de galère où j'ai eu l'impression de courir tout le temps qu'enfin j'arrive à la route forestière. Là on me propose de me reposer. Oh oh je dois pas avoir l'air très frais. J'explique à ces braves gens que je n'ai pas fait 125km pour me reposer à 15km du but. Ils ont du se tromper de bonhomme.
Je fais très attention à continuer à bien boire et manger. J'ai tellement lu ou entendu des histoires de coureurs qui ont fait une hypoglycémie à 2 doigts du but, je n'ai pas envie de les imiter. Dans l'état où je suis, une hypoglycémie serait fatale, je le sens. Je suis archi dopé au café, j'en bois un grand gobelet dès que l'organisation en propose, et ce depuis le Taïbit.
Je pars donc sur la route forestière. Chouette je vais pouvoir étalonner ma vitesse, il y a des bornes kilométriques. Verdict: 9min au kilomètre, sans m'arrêter, à fond, en faux plat descendant. Les coureurs me passent tous un à un. La cause? Mes jambes sont complètement HS. Je n'arrive plus vraiment à courir, je trotine, je boitillote. Disons que je fais autre chose que de la marche. Je me dis que mon plan d'entraînement était bien senti, ça valait le coup de faire un peu de 6km/h pour les passes difficiles, je suis dans une passe difficile, et mon rythme de 6km/h me permet quand même de doubler un concurrent qui lui, marche. Enfin dans l'ensemble je dois bien perdre 4 places en 2km.
Retour sur les chemins. Je prends la décision d'allumer dans les descentes. C'est suicidaire. Option "burn baby burn", je mise tout sur le fait que la concentration requise pour ne pas faire de mauvais pas va me faire oublier la douleur. Ca marche plus ou moins bien. Ce qui est sûr c'est que je descend plus vite que les autres. Ce qui est sûr aussi, c'est que ça fait super mal. La technique est simple: j'hyper-ventile, je monte à 130 ou 140 au cardio, et je joue à "vas-y trouve ton appui au dernier moment sur un joli caillou". Je rattrape des coureurs qui doivent se demander ce que c'est que cet illuminé qui tout à l'heure se traînait et maintenant passe comme un cabri. Enfin, cabri, pas vraiment, je suis plutôt un éléphant-sprinter. Mais bon on peut critiquer le style, n'empêche que ça paye, je reprends des places. Je suis toujours dans mon trip "essayer de finir dans les 200 1ers".
Vient ensuite une période d'écoeurement, où j'étriperais bien un des traceurs du parcours, voir tous. On m'a annoncé que ça descendait, ben en fait tous les 500m ça monte. Donc si ça monte, derrière ça redescend. Moi j'avais calculé que j'avais plus que 800m de descente, mais s'il en reste 800 + 400 dus à ces remontées surprise, je suis mal, ma technique de jouer mon va-tout dans les descentes en fusillant ce qui me reste de cuisses risque d'être fatale. J'en ai marre. Bon sang mais ça va descendre enfin oui ou merde?
C'est dans cette portion qu'à un moment je suis surpris par le ciel à droite. Sauf qu'à droite y'a pas de ciel c'est la montagne avec des arbres. OK, j'hallucine. Objectif numéro un, ne pas se prendre les pieds dans une racine, ne pas tout foutre en l'air si près de l'arrivée. Faire attention. Très attention. A un moment je ne sais plus où est le parcours. On m'appelle à droite "c'est par là !". Hein? Je titube. C'est un photographe. Paye ta photo, celle-là on la confondra pas avec une photo du départ, je suis cuit. Par acquis de conscience, je demande "c'est loin Colorado?". "5min en courant!". Ah ouais super. Je mettrai presque 1/4 d'heure.
Arrivée à Colorado. Traverser la base de loisir est un supplice, faire 500m me paraît un exploit. J'ai mal, je suis cuit. Au ravito, on me re-propose de me reposer, de m'allonger. Mais qu'est-ce qu'ils ont tous, ils se sont passé le mot ou quoi? Dites-donc les amis je suis sur un gros coup là , je risque de rentrer dans les 200 1ers et vous me proposez de dormir? Ca va pas la tête, z'êtes vraiment fous sous votre scalp! Je montre du doigt la table de ravito pour leur faire comprendre que j'ai plutôt l'intention de manger. J'évite de parler je ne serais pas crédible. Je ne demande pas mon classement, ça ne me fera pas aller plus vite.
Départ de Colorado avec comme objectif de me brûler les cuisses dans la descente, tout doit partir, c'est les grandes soldes, je brade ma monture et n'ai pas l'intention de la ménager. Ca met du temps avant de vraiment commencer à descendre mais finalement je ne suis pas déçu. Aïe ouille ça fait mal! A la moitité de la descente je constate que malgré mon intention de descendre "à fond" je ne tiens pas le rythme. Je me laisse aller, au bout de 2 minutes je ralentis toujours et me mets à passer les raidillons au ralentis, j'ai trop mal. Lorsqu'il y a des passages raides, je me laisse litéralement tomber sur les pierres d'en dessous et chaque réception est douloureuse, je sens que je n'ai presque plus la force de me retenir. La souplesse d'un éléphant, la puissance d'une souris, telle est ma démarche. Malgré cela je double quelques concurrents. Je repasse les féminines de Deux-Bras. Hé hé hé. Une fusée créole me double. Mais vraiment une fusée sur ce coup-là .
Puis arrive le dernier kilomètre. Là j'en peux plus, j'arrive plus à foncer, trop mal, trop longtemps, trop dur, trop tout. Je me retourne régulièrement pour voir si quelqu'un ne va pas me doubler. J'entends des tagadap tagadap derrière moi mais personne. Je dois encore avoir des hallus. J'ai l'impression d'être une bête traquée. C'est sûr le 201ème est derrière moi et il va me piquer ma place. Nooooon c'est trop dur je veux pas! Encore un photographe.
Et bientôt une vision qui me tient chaud au coeur: des ordures! Plein d'ordures partout, des sacs plastiques, des déchets: la civilisation! Ca veut dire que La Redoute est toute proche. Il reste tout de même 2 ou 3 lacets qui sont un vrai supplice. Puis je reste scotché au bord de la route. C'est où? Les bénévoles et les spectateurs: "ben c'est là !". Hein quoi, où? Je perds une minute à comprendre qu'il faut que je tourne à gauche et passe sous la route. C'est le même type qui a trouvé son chemin la nuit dans Mafate et la Rivière des Galets qui est maintenant, à 500m de La Redoute, incapable de trouver le parcours. Je ne dois pas être loin de toucher le fond.
Dans la dernière ligne droite avant le stade, je vois deux concurrents devant moi: ceux-là sont pour moi, ce sont les 200ème et 201ème, c'est sûr, je la tiens ma place dans les 200 1ers. Je fais donc un sprint mémorable qui doit plafonner à 11km/h, je double les deux p'tits gars, et prolonge le simili-sprint sur le petit bout de stade avant l'arrivée, où Valérie m'attend.
Ouf, c'est fini.
Sans regrets, jamais j'aurais pu faire mieux.
Une fois franchie la ligne d'arrivée, je manque de fondre en larme, la bénévole à ma gauche a l'oeil et le bon et sens qu'il se passe un truc, mais bon rien de grave finalement je ne me répandrai pas en gros sanglots hoqueteux, ce sera pour une prochaine fois. Je suis super content que Valérie soit là , elle s'occupe de tout, récupère mes affaires, m'amène une assiette de bouffe à laquelle je touche à peine car finalement je n'ai pas très faim ni très soif: ça fait 32h27m07s que je mange et bois en continu, j'ai eu ma dose.
Etonnement en enlevant mes chaussures, pas vraiment d'ampoules ni de trucs horribles. La corne sur mes talons est toute gonflée, humide et blanchâtre, mais sinon ils sont en bon état. J'ai juste un peu mal sur le dessus du pied droit. Le lendemain il sera bien gonflé, et la douleur persistera longtemps. Je ne sais pas ce que c'est, un médecin à l'arrivée n'arrive pas à savoir non plus. Dans le doute j'accuserai un laçage trop serré de ma chaussure droite. Je me traîne jusqu'aux douches où je me rince les jambes pour avoir "droit" au massage. Moi qui n'y vais jamais au massage, je décide que sur ce coup-là , j'ai tellement horriblement mal aux jambes que j'accepterais n'importe quoi pour peu que ça ait une micro-chance d'avoir un soupçon d'effet positif. Le masseur est très sympa. Le massage ça fait plutôt mal et c'est pas ma tasse de thé mais j'ai l'impression qu'après ça va plutôt mieux. Ca pouvait pas être pire. Je me fais violence pour faire les 20m qui me permettront de signer le grand panneau avec les photos des raideurs, puis direction la voiture, plein Sud vers St Pierre, bugalow et piscine.
Arrivé à bon port, je prends une douche et me couche, mais n'arrive pas à trouver le sommeil pendant 3 heures... Je dormirai seulement le soir à 20h, moment auquel Valérie repart pour la Redoute chercher Jean-Paul. Où est-il? D'après les temps de passage qu'on a, soit il a eu un passage à vide ou fait une grosse pause de nuit, et dans ce cas il peut arriver avant minuit, soit il est en train d'exploser et là il arrivera très tard...
Valérie l'attendra pendant plus de 12h sur place. Ca a pas du être facile. Une fois de retour à la maison, j'hallucine quand je le vois marcher, il est vraiment complètement HS. Y'a pas photo, ça a du être très très très dur pour lui. Enfin il termine, l'abandon, c'est pas trop le genre de la maison 8-)
Bilan pour moi de ce GRR: si c'était à refaire, je recommencerai! Je ne regrette rien, même pas mon accélération dans la descente du Taïbit et après Marla. C'était tellement grisant de filer dans la nuit. Si je voulais garder un seul souvenir, ce serait l'arrivée Côteau Kervegen, c'est là que la course a vraiment commencé. Ce qui m'a été fatal, ce sont les montées/descentes à répétition dans Mafate, mais je ne peux pas dire que je n'étais pas prévenu. Au final, je finis 179ème, ce qui est nettement meilleur comme classement que tout ce que j'aurais pu espérer. Rétrospectivement, c'est incroyable comme cette course peut être riche et variée. Quand on y pense, j'ai failli faire de la corrida à minuit dans Mafate, j'ai manqué de faire 368 000 000m de D+ supplémentaire pour aller décrocher la lune, on peut le dire, ce furent 140km intenses, et croyez-moi, ils valent bien quelques petits mois d'entraînement 8-)
Mais attention, l'histoire ne s'arrête pas là !
Aujourd'hui, je me suis déjà fixé deux nouveaux objectifs. Les 100km de Normandie, en Juin 2005. Et pour Novembre 2005, j'ai en réserve un petit "Off" de derrière les fagots, que je prévois de faire en solo à priori, et qui devrait aller taper dans les 250km de sentiers mêlés de bitume. Une seule belle et grosse étape. Normalement, avec ça, j'en ai dit trop ou pas assez...