CR UTMB

Vendredi 25 août 2006

L'UTMB, ou plutôt, pour être précis "The North Face Ultra Trail - Tour du Mont-Blanc", si avec ça vous ne devinez pas qui est le sponsor principal de la course... Bon, enfin, l'UTMB quoi. C'est mon objectif de la saison, j'ai Embrun dans les pattes, fait 10 jours avant, et d'une manière générale ma préparation est un peu bancale. J'ai réussi à loger pas mal d'entraînements de course à pied, un Raid 28 , un 100 miles , un triathlon, mais zéro montagne, pas de dénivellé sinon des petites côtes de 50m à l'entraînement et Tiranges , bref, je suis "light". Mais bon mon entraînement reste très correct, et je suis confiant. Je compte en fait surtout sur une motivation sans faille et un moral en béton. Hé hé hé.

Parcours UTMB
Le parcours de l'édition 2006 du "North Face Ultra Trail - Tour du Mont-Blanc", AKA UTMB.

Les 9 jours avant la course, après Embrun donc, je décide de me reposer. Tout au plus je fais deux sorties d'une demi heure en vélo avec mes filles. Sinon, au programme: sieste, gâteaux, glandouille. Une heure avant le départ, je me tape un banana split en terrasse, avec l'intention ferme de m'envoyer un petit negative split pendant la course. Faut savoir rêver!

La ligne de départ est compacte. C'est bien serré. Un coureur manque d'éborgner la moitié du peloton avec ses bâtons attachés à son sac, pointes en l'air. Discours au micro, un petit mot pour Lapka Sherpa. Et puis l'instant fatidique arrive: départ! A cet instant je réalise que j'ai dans mon sac un tube de crème type Nok que m'a donné Jean-Paul, et j'ai oublié de m'en mettre sur les pieds. Faut dire, je n'en ai jamais mis de ma vie. Boaf, allez tant pis, la crème sur les pieds ce sera pour un autre jour... Premier virage sur la droite, au bout de 100 mètres, et j'entends "Allez Papa!" sur ma gauche, et oui, ce sont bien Valérie et Adèle. Je ne vois pas Lise mais elle est forcément là.

Pendant les premiers kilomètres, j'observe 1) le reste des concurrents, leur équipement, leur allure, et 2) les balises pour voir à quoi elles ressemblent. Pour l'instant, pas la peine de les chercher, le chemin est bondé, mais mieux vaut savoir tout de suite à quoi elles ressemblent et comment elles sont réparties. Le début du parcours est un vrai boulevard. Il y a du monde mais on pourrait doubler sans problème. Du calme, je trottine sans forcer. La montée au col de Voza est une formalité. J'en profite pour étrenner mes bâtons flambants neufs, jamais servi. De l'avis général, l'utilisation des bâtons est intuitive, donc j'ai fait le pari que ça allait être évident. Et ça l'est. Très vite je me surprends à m'aider de ces ustensiles, particulièrement efficaces en côte. C'est royal!

Je suis particulièrement introverti, renfermé, sur ce début de parcours. Je ne pense qu'à moi - ce qui n'est pas très sympa car je ne rends pas la pareille à Valérie qui elle, pour le coup, pense à son idiot de mari parti faire le zozo dans la montagne - et ne vois pas le temps passer. La nuit tombe sans que je m'en aperçoive, et les heures filent... J'ai néanmoins l'occasion de discuter avec Yann, avec qui j'ai eu l'occasion de papoter il y a deux ans à la Réunion. Curieux qu'on se rencontre à nouveau en ce début de parcours. Curieux et sympa.

Je commence à trouver que c'est un peu tristouille ce parcours tout en goudron et routes forestières, quand "une traversée à flanc en forêt sur un chemin étroit" (dixit le road-book) vient me rappeler que l'UTMB, ça se passe en montagne. Je manque plusieurs fois de glisser, et d'ailleurs même, je glisse. Un type derrière moi me donne un conseil en or: "appuie-toi sur le bâton aval!". Lui aussi découvre les bâtons en course aujourd'hui, mais il fait beaucoup de ski de fond. Le conseil marche à fond, j'arrête de glisser.

L'arrivée aux Contamines est tout simplement géniale, il y a une foule d'enfer, du monde partout, ça applaudit, le ravito est top de top, comme tous les ravitos d'ailleurs, mais c'est le premier où je marque un arrêt significatif, avec remplissage de poche à eau. Les ravitos précédents (Houches, Col de Voza) je les ai passés en coup de vent, pour éviter de perdre du temps. Je suis parti du principe que les ravitos seraient largement pourvus en tout ce dont je pouvais avoir besoin, et que la réserve alimentaire obligatoire ne devait servir qu'en cas de coup dur, que ce soit une panne du bonhomme ou une pénurie à un ravito. Peu probable. Donc j'ai entamé ma réserve alimentaire aux deux tiers dès les premières heures, et j'en ai gardé uniquement un tiers "au cas où" pendant le reste du parcours, ne consommant que ce que l'organisation proposait.

Je discute assez longuement avec Olivier. On parle de choses et d'autres. C'est vraiment sympa le concept Ultrafondus, avec le forum et toutes ces personnes qu'on connaît sans vraiment connaître - Internet, c'est bien mais bon... - et qu'on peut découvrir "en vrai" pendant les courses. On fait un bout de chemin ensemble, puis il préfère rester en retrait derrière pour s'économiser. Faut dire que ça commence à monter.

Moi j'aime bien quand ça monte. Je marche d'un bon pas. Commence à pas faire très chaud. Au col de Voza, j'avais enfilé ma polaire bleue "sans manches", mais en arrivant à la Balme, je sors l'artillerie lourde et ajoute la veste coupe-vent / pluie de chez Raidlight, dans ce matériaux exotique qui répond au doux nom de "MP+". Du coup je suis "à fond", à savoir que c'est ma tenue la plus chaude. Au total (pour le haut), j'ai un maillot manches courtes noir en carline, une polaire jaune assez fine et préhistorique qui a fait deux Raid 28, moults entraînements hivernaux, et pas mal de semaines de ski, un débardeur bleu en polaire assez épais, très volumineux une fois plié et assez lourd dans le sac, mais faut c'qu'y faut, et donc la fameuse veste noire de chez Raidlight, qui coupe bien le vent, pour la pluie je sais pas encore... Pour le bas, j'ai un vieux collant noir un peu trop court, assez largement troué. Mais revenons à nos moutons: à la Balme, il fait bigrement froid, il y a du vent, et mes doigts se glacent. Dans mon enthousiasme, j'ai négligé les "vrais" gants et suis parti avec des gants de cycliste (ne couvrent pas les doigts donc). Très efficace pour les chutes, pour s'accrocher aux pierres ou aux branches, très pratique aussi car on n'a pas besoin de les enlever pour fouiller dans le sac, mais là c'est juste. Pour être honnête, j'ai super froid aux doigts, j'espère sans trop y croire que ça va s'améliorer...

Contre toute attente, c'est le cas, ça s'améliore! Et pourtant, on a continué de monter. Mais en fait, le vent s'est calmé, et avec lui mon froid aux doigts. Chouette! Je discute un peu avec Bottle et Etienne (encore des UFOs) et puis Col du Bonhomme, Croix du Bonhomme, ça se passe tout seul, les doigts dans le nez. Ca a à peine bouchonné dans certains endroits, mais au total je n'ai même pas du perdre deux minutes. Ca me fait plaisir d'être enfin en montagne, jusqu'ici ça faisait un peu promenade des anglais 8-) La descente, en revanche, est loin d'être une partie de plaisir. Ca glisse, et on voit mal le relief (de nuit hein...) donc je tombe de mémoire trois fois, dont une fois mémorable où je finis à plat ventre, la tête en bas, avec un poignet douloureux, qui fort heureusement se remet tout seul en quelques minutes. Je baisse le rythme, prudence...

Je ne suis pas fâché d'arriver aux Chapieux, car en plus de mes gamelles en début de descente, j'ai très mal apprécié la fin de cette même descente. Pourtant c'est roulant, mais je n'ai pas le "jeu de jambes" qui va bien, et j'ai tendance à mal enrouler, je cogne trop. Pourtant j'essaye de faire des petits pas, ça marchait si bien à une époque... Mais ça fait des lustres que je n'ai pas pratiqué, je ne me suis entraîné presque que sur du plat, et voilà le résultat. Donc bon, Chapieux, ravito, miom miom, je mange, et je repars avec Bottle.

Il hésite à courir sur le début de la côte, je l'en dissuade. De fait, très vite ça devient suffisamment raide pour que toute vélléité de courir s'estompe rapidement. On papote, on papote... La montée au col de la Seigne est très sympa je trouve. J'espère que Valérie dors bien et ne se fait pas de bile pour moi, car ça va pas mal. Je remercie intérieurement tous ceux (organisateurs, bénévoles, sponsors...) qui nous permettent de faire les guignols dans la montagne la nuit, car c'est un plaisir rare. Franchement c'est dingue d'être comme ça au milieu de nulle part, avec plus de milles loupiottes en file indienne devant, et plus de milles loupiottes en file indienne derrière. Depuis le début du parcours, j'ai aussi ressassé des souvenirs du Grand Raid 2004, et c'est comme si c'était hier. Je finis par penser qu'un jour, il va falloir que j'emmène Valérie dans ce genre d'aventure, car la somme de souvenirs qu'on y accumule, et le plaisir qu'on a à terminer en valent vraiment la peine. Et pourtant, c'est dur... Mais ça ne se compare à rien, arpenter la montagne comme ça, à des heures complètement fantaisistes, et savoir qu'on est des centaines, des milliers, dans la même aventure, c'est fou.

Le jour se lève dans la descente du col de la Seigne. J'éteins ma frontale et profite du paysage. C'est bôôô. Au refuge Elisabetta, c'est clair, mes jambes ne me permettent plus de descendre normalement. Je peux courir sur le plat sans soucis, je peux monter sans trop me fatiguer - d'une manière générale j'ai tendance à gagner des places en côte - mais pour la descente, ouyouyouye! Je continue à profiter du paysage le long du lac Combal. C'est superbe, dommage que le glacier du Miage soit aux trois quarts fondu comme tout glacier alpin qui se respecte, car ça serait encore plus chouette.

Comme je n'ai pas trop mémorisé le road-book avant de partir et qu'il est boudinné au fond de mon sac, je ne sais pas trop ce qui m'attend. Il me semble bien qu'il reste une côte au moins, avant la descente sur Courmayeur, qui a la réputation d'être désagréable. Bon. Quand ça monte, je ne me pose pas trop de questions, j'appuie fort sur les jambes et les bâtons, quand c'est plat, je trottine mollement - c'est d'autant plus facile qu'on a le vent dans le dos - et quand ça descend, j'en chie.

Je fais connaissance avec le dossard 392 (dont j'ai oublié le prénom...) qui a un look sympathique (entre barbus on se comprend) et on cause de choses et d'autres. Lui a donc fini l'UTMB l'année dernière, et accessoirement fait une bonne dizaine de 100km de Millau. On bavarde on bavarde, et il fini par me lâcher dans un faux-plat descendant, je ne peux pas suivre.

Petite restauration à Maison Vieille (très bon le fromage!) et j'attaque la fin de la descente vers Courmayeur. Beurk, elle est nulle cette descente, même pas technique, juste pénible et trop longue. Je ne suis pas fâché d'arriver. Je m'étais dit un peu avant sur le parcours que le conseil qui m'avait fait réussir le Grand Raid de la Réunion en 2004, à savoir "arriver frais à Cilaos" pouvait se retranscrire ici en "arriver frais à Courmayeur". En clair, la course commence à Courmayeur, avant, c'est une (sacrée) mise en jambes. Donc voilà, à Courmayeur, le bilan c'est que j'ai certes mal aux jambes mais je peux sans problèmes bourrer dans les côtes, courir sur le plat, ou encore raconter des conneries, j'ai un moral du feu de dieu, et un appétit d'ogre. Tout va bien, j'adore quand un plan se déroule sans accrocs.

Les pâtes de Courmayeur sont très bonnes. J'hésite longuement à aller voir un podologue car oui, j'ai oublié de le dire, mais mes pieds, hum hum... J'ai mal à l'intérieur des talons, et n'ose ouvrir mes grolles de peur de voir de vilaines ampoules sur mes pieds. Je décide de laisser tel quel. Dans la descente du col de la Seigne, j'ai serré mes lacets comme une brute, pour que ça ne frotte pas trop. Du coup ça glisse moins mais j'ai mal sur le dessus du pied. Bref, j'ai les pieds en vrac, mais bon ça ne m'empêche pas d'avancer, je continue comme ça. Je laisse mon capteur de cardio (il indique 0 puls/min depuis le départ, or je suis toujours vivant) dans mon sac intermédiaire, sac dans lequel je ne récupérerai rien de particulier. Je n'ai ni besoin de vêtements ni de bouffe ni de rien. Je recroise le dossard 392 et mange mes pâtes avec lui. Il a l'intention d'arriver à Champex avant 20h00. Il est 9h30. Ca se tente. Je décide alors de passer aux toilettes mais entre le fait qu'il n'y a plus de papier, qu'un coureur est manifestement tombé dans le trou, et j'en passe, cet épisode dure presque 15 minutes. C'est vraiment pour pas nourrir les mouches italiennes que je fais l'effort d'utiliser les WC du ravito.

La montée vers Bertone est un régal. Enfin j'ai le droit de me fatiguer! Je recroise mon ami le 392. Je croise aussi L'Dingo du Zoo. J'ai chaud, j'enlève des couches. Il fait grand beau. Arrivé au refuge, je vois Phil. Aussitôt, j'en profite pour faire l'andouille et lui proposer de faire un bout de chemin ensemble. L'animal refuse "trop fatigué" annonce-t'il. Quid? L'a pas l'air vraiment cuit le bougre. Doit faire semblant. Mais bon il ne veut pas suivre alors je pars seul, après avoir expliqué à une bénévole que non, je n'allais pas jeter mon gobelet de café dans la nature, et de lui montrer le petit sac (bigrement pratique) fourni par l'organisation et qui permet de mettre gobelets, peaux de bananes et autres emballages naturels ou synthétiques en quarantaine le temps d'arriver au prochain ravitaillement. C'est un constat, le parcours était dans l'ensemble assez propre, même après le passage de plusieurs centaines de coureurs. Cool.

S'en suit la portion la plus agréable du parcours, où je me suis régalé, entre le refuge Bertone et le refuge Bonatti. On vient juste de passer l'heure de l'apéro. Parcours pas trop fatiguant, avec un ciel bleu d'azur et un soleil pétant, pas trop chaud, et une vue sublime sur la gauche. Vu d'ici le massif du Mont-Blanc est largement plus sauvage et hostile que côté français, en tout cas c'est mon impression. Et c'est alors que je profite du beau temps et des splendides paysages, insousciant, que je vois Phil débouler sur la droite et m'enfumer comme de rien. Piqué au vif, j'essaye de revenir, mais ce n'est pas si évident que ça de doubler les autres concurrents, et mon incapacité à avancer correctement dès que ça descend ne serait-ce qu'un peu achève d'enfoncer le clou: impossible de revenir sur lui. Arrivé à Bonatti, il m'explique qu'il aurait cru que j'allais essayer de le rattraper. Mpfff! Il me refait le même coup qu'à Bertone "ch'suis cuit, ch'peux pas te suivre", je repars donc seul.

Fin du rêve, et retour à la réalité, la descente sur Arnuva (heureusement sèche) achève de me dégoûter du dénivellé négatif, je ne suis pas fâché d'être au fond de la vallée. Ca commence à puer l'abandon aux ravitos. C'est vrai qu'Arnuva c'est un peu piège. D'un côté la route avec son alléchante perspective du retour à quatre roues, de l'autre le Grand col Ferret, avec grosso-modo 800 mètres de D+. Je croise plusieurs coureurs qui abandonnent pour des motifs assez bizarres genre "je suis cuit". J'attaque le bout de plat qui mène au col en marchant mollement, et décide d'en mettre un coup dans la côte. De fait je monte en 1h20, et rattrape plein de monde. Ca monte ça monte, c'est fatiguant et le ciel se couvre. Je sens quelques mini gouttes dans la fin de la montée. Argh!

La descente est ultra pénible en ce qui me concerne. La plupart des concurrents enroulent et descendent en trottinant, mais moi j'ai les cuisses atomisées. Je boitille, et discute avec un réunionnais qui a fait plusieurs fois le Grand Raid et est venu prendre la température ici. Il pense qu'ici c'est plus dur. J'en doute. On discute, on parlemente et... il me largue. Le seul point positif, c'est le petit passage un peu plus raide dans la descente après le ravitaillement de La Peulaz. Au moins c'est technique et je peux m'amuser un peu, ça me distrait et je pense moins à mes cuisses. Je discute avec une concurrente qui vise 35h, après avoir échoué sur 40h l'année précédente. Vu d'ici ça a l'air jouable les 35h, faut juste pas trop exploser sur la fin.

Enfin, j'arrive à La Fouly. D'après Jean-Paul, c'est un cimetière, dans le sens où ça abandonne par paquets. Vu que cette année c'est à partir de La Fouly qu'on est classé, ça ne devrait qu'empirer... La cerise sur la gâteau, c'est la pluie qui commence à tomber. Il est bientôt 18h00. C'est sinistre. Effectivement ça abandonne un peu, mais pas tant que ça. Je croise un copain de nos équipiers du Raid 28. Il a vu Jean-Paul à 11h00 à Courmayeur. C'est un peu tard par rapport à son temps de l'année dernière. J'imagine que s'il veut terminer il va falloir qu'il accélère - peut-être partir devant Isabelle? - mais d'une manière générale je ne me fais pas trop de soucis pour lui. Je quitte La Fouly avec un mal aux jambes carabiné, le temps est pourri, ouééééé!

Dans ma tête, Champex était à deux pas, facile. Ouais, ouais, ouais. Sauf qu'il y a une bonne trotte de route, de sentier à flanc de montagne, puis une satané côte dont je me serais bien passé (et où je recroise le réunionnais du col Ferret). Assez amusant, lors de la rébarbative marche d'approche, on traverse un village avec des habitants qui jouent ostensiblement au concours de celui qui aura le plus de nains de jardins moches. Ils sont très forts, les nains de jardins sont très nombreux et très laids. Enfin Champex, j'y suis. Je suis fourbu. Il est 20h15, je sais que je vais devoir repartir de nuit. Je change les piles de ma frontale au cas où, je mets une paire de chaussettes sèches dans mon sac-à-dos, mais ne change rien de ce que j'ai sur moi. Je mange et tente de partir le plus vite possible. Je mets un quart d'heure à trouver l'endroit où déposer mon sac intermédiaire, je vais chercher jusqu'au fond du bunker dans la zone des douches... Une bénévole qui me voit descendre les escaliers en boitant me dit "mais vous êtes sûr de vouloir repartir?". Et puis quoi alors, je suis pas venu faire du tricot moi, je suis ici pour faire 158 bornes, je ne vais pas brader la fin. Non mais!

Je suis tout seul, quatre coureurs loin devant qui finissent par disparaître, et derrière, personne. Je suis sur le bitume, c'est interminable, il fait nuit, et j'ai peur de louper le moment où l'on va revenir sur les chemins. Finalement je ne me perds pas trop. Fort heureusement, au moment (et ce sera le seul de tout le parcours) où le balisage n'est pas super clair, des coureurs sont revenus sur moi. C'est assez amusant, mais comme au Grand Raid en 2004, on se retrouve en face d'un bovin placide, qui occupe toute la largeur du chemin. On déloge l'obstacle et on s'achemine vers Bovine.

Il pleut légèrement, et on m'avait tellement dit de mal de cette côte que je la trouve plutôt cool. En fait, elle est rigolote, il faut chercher ses appuis, ça occupe. C'est moins rasoir que le col de Voza... J'ai une locomotive devant moi qui trace la route, un copain juste derrière lui, moi en troisième, et derrière une bonne dizaine de coureurs qui s'accrochent pour éviter de se retrouver tous seuls. Je dois reconnaître qu'à plusieurs reprises mon passé de cycliste me sers pas mal et que j'essaye de bien "coller" sans lâcher un mètre.

Ce que je vais vraiment trouver très désagréable, c'est le chemin sur le plateau en haut. D'après le road-book "une magnifique prairie d'alpages". Dans la pratique, un petit chemin tout caca, étroit avec des flaques d'eau tous les 30m, qui obligent à emprunter une variante un peu surélevée sur la gauche. Je vois les frontales devant qui regardent sur la droite pour savoir quand la flaque s'arrête, et quand donc le "chemin" devient repraticable. C'est super long, y'a rien à voir, il fait nuit, c'est interminable, on avance à 4km/h max, on est une vingtaine en file indienne, on galère sec. Le ravitaillement est salvateur, une des tentes est équipée d'un chauffage, on s'agglutine autour. C'est une véritable oasis de chaleur, et je ne remercierai jamais assez les bénévoles qui tiennent ce poste. Je reste 10 minutes à profiter du chaud et repars dans la nuit. Ca remonte un peu, il fait super froid, et je jurerais que ce sont de petits flocons qui tombent (c'est blanc, petit, ça tombe pas vite, et ça glace les doigts). Je bénis la descente...

La descente en question, on m'avait dit que c'était pas dur, mais de nuit, bien gras, c'est pas si facile. Je dérape plusieurs fois. Je rôde une technique de descente qui consiste à planter les bâtons comme une brute, histoire d'assurer le coup, et de voir ce que je peux faire avec mes pieds. J'ai les cuisses totalement atomisées, ça fait super mal... Je vois Martigny sur la droite et ses lumières qui me narguent, synonymes d'électricité, de confort, de chaleur. Enfin les derniers lacets avant Trient, super glissants, on ferait du ski presque. Mais bon là c'est pas dangereux. Je tente de me refaire une santé à Trient, et je repars, tout moisi.

La côte des Tseppes, avant le départ je m'imaginais foncer là-dedans, fort de toutes les forces que j'aurais économisées jusqu'alors. Bon, en vrai, je monte pas si fort que ça. Je rattrape un concurrent, on décide de faire un bout de chemin ensemble. Lui comme moi avons des hallucinations. Plus ou moins bizarres. Moi je vois le vide du mauvais côté, et j'ai aussi aperçu, assez nettement quoique la vision était assez brève, une espèce de tapis genre descente de lit faite avec une peau d'ours, en cuir, blanc avec des liserets rouges, qui flottait dans les arbres. Prudence donc, je ne suis peut-être pas forcément 100% lucide. Le raidillon se termine par un ravito où je retrouve mon copain le dossard 392. Cool! En en discutant, on était à peu près en même temps à Champex. Je suis arrivé plus tard mais je n'y ai pas traîné. Il est avec un copain et ils me proposent de les accompagner pour la suite. Banco, je me bourre un bout de gâteau dans la gueule, je bois un coca en 4ème vitesse, et c'est parti.

Et là, arrive cette portion du parcours où, objectivement, on ne peut pas dire qu'on se fasse plaisir. Il est dans les 3h30 du matin, ça caille dur, on est à 2000m, il pleut des cordes, et on a le vent en pleine face. Ca fouette, mes doigts son gelés, mais il n'y a pas d'autre choix que de serrer les fesses et s'accrocher en attendant la descente. De plus le chemin est gras de chez gras, c'est une vraie piscine. On restera très longtemps là haut, car on n'avance pas vite. Certains concurrents nous doublent mais je préfère la prudence. Mon compagnon de route ouvre la voie, je suis derrière, et son ami ferme la marche. On se dit qu'après un coup comme ça, on aura du mal à expliquer aux autres qu'on n'est pas des grands malades d'aller faire les zouaves sur des épreuves pareilles. Je pense à Valérie, j'espère qu'elle dort car si elle entend la pluie tomber, elle doit se dire que dans la montagne on doit en baver, et elle n'aurait pas tord. C'est gras, c'est boueux, il pleut, et on n'a plus vraiment d'autre choix que de mettre les pieds dans l'eau. On ne peut pas dire que ce soit la régalade. J'ai décidé de finir et il est hors de question de faire quoi que ce soit d'autre que de continuer, mais quand même, j'imagine que certains qui ont abandonné à Champex doivent se dire "on a bien fait!". Je me maudis de n'être pas meilleur et de n'être pas passé ici de jour, plutôt qu'en pleine nuit. Petit détail technique, ma veste Raidlight est nickel, et si c'est humide à l'intérieur, c'est uniquement à cause de la transpiration. Du bon matos.

La descente est réputée casse-gueule. Je ne tomberai pas mais on y va prudemment. Après tout, je commence à avoir l'habitude de la boue, des pierres glissantes, de l'obscurité, de la pluie sur les lunettes. C'est d'un banal 8-) Une fille qui s'est intercalée dans notre groupe se (et nous) fait une frayeur en quittant le chemin et en atterissant trois mètres plus bas dans l'herbe. Même pas un bobo, mais elle a eu sacrément peur... Enfin on arrive à la frontière franco-suisse. Mes doigts ont enfin réchauffé, et on entame une route forestière. Cool. Je garderai un très mauvais souvenir des chemins suisses. En plus on n'aura vu ni vache violette, ni marmotte avec son papier d'alu. La Suisse, c'est une arnaque!

La descente se complique un peu avant l'arrivée à Vallorcine, lieu où, c'est décidé, la course est finie. Le reste n'est plus qu'une formalité, c'est plat et pas en altitude (donc pas froid), aucune difficulté, du beurre. Un concurrent est en train d'abandonner, il est frigorifié. Tu m'étonnes, debout à rien faire en essayant de brasser un retour en car, il y a moyen de faire un sacrée hypothermie. Sincèrement, si j'attendais comme lui 20 minutes debout à rien faire, c'est clair que je serais absolument frigorifié. J'attends mes compagnons de route car bon, on a fait tellement de chemin ensemble qu'on ne va pas se séparer maintenant, mais sur le principe je partirais bien illico. En sortant du ravito, je pousse comme une brute sur les bâtons pour me réchauffer, je suis gelé!

La montée au col des Montets est facile mais très spongieuse (!), puis on amorce la descente sur Argentière. Le jour s'est levé. On décide de courir tous les trois. Ca fonctionne plutôt bien, mais je perds du terrain dès que ça devient roulant en descente. J'arrive avec quelques dizaines de mètres de retard sur mes collègues à Argentière. J'ai décidé d'aller voir Valérie et de lui dire que j'arrive bientôt. Il est à peine 7h00. J'explique mon cas aux bénévoles pour qu'ils ne s'inquiètent pas de mon départ dans la mauvaise direction, notre location est à 100 mètres. J'arrive à la location - au passage, partir en vacances à Argentière quand on habite Argenteuil, c'est vraiment trop la classe - et là, pas de Berlingo gris. Quid? Michèle est seule. Je fais le tour de la maison, tape au carreau. J'apprends que Valérie est partie chercher Jean-Paul à Chamonix. Ah? Je ne cherche pas d'explication, je me sauve, je suis quand même censé faire la course... Retour au ravito, mes collègues sont déjà partis. Je tape une petite causette avec les charmantes bénévoles quand soudain tûûûûût le klaxon du Berlingo se fait entendre. Valérie et Jean-Paul sont là. Jean-Paul a donc stoppé à Champex. Je suis surpris mais bon il doit y avoir une explication. Je fais la bise en coup de vent à Valérie, et rendez-vous à Chamonix!

Là je me sens pousser des ailes. Je cours je vole, je tente de revenir sur mes deux amis qui sont devant, il n'était pas raisonnable pour eux de m'attendre. Je double moult concurrents, j'ai une patate d'enfer, je brûle tout ce qui me reste en stock. La dernière côte parviendra presque à me faire vaciller mais non, j'ai la banane! Reste que ce finish est assez interminable. Mais j'en viens presque à me dire que j'ai fait semblant pendant le reste de la course. Heureusement la dernière descente me rappelle à l'ordre. Je souffre le martyr, j'ai les cuisses totalement atomisées, j'ai mal mal mal super mal.

Enfin Chamonix, un groupe d'UFOs sur la gauche me lance une dernière salve d'encouragements, virage à droite, et hop, la ligne d'arrivée. Je sors mon sourire le plus débile pour la photo du finish, et franchis la ligne aux alentours de 8h40, soit un total d'à peu près 37h40 de course. Je suis fourbu mais content, content, content. J'ai fait ce que j'avais à faire. Pas de super bonne surprise comme à la Réunion, mais une course honnête, qui correspond à mon niveau. J'ai très bien géré l'alimentation, mon estomac a fonctionné à merveille du début à la fin, et dans l'ensemble j'ai pris du plaisir à faire cette course, si on fait abstraction du passage des Tseppes de nuit, très pénible. Par contre, j'ai pu constater que lorsqu'on ne fait aucun travail spécifique en prévision des descentes, on le paye très cher. Aïe!

Pas d'UTMB pour moi en 2007, mais c'est clair, le trail de 150 bornes dans la montagne, c'est certainement le type de course que je préfère, j'y reviendrai certainement un jour.

En attendant, Jean-Paul et moi sommes en gros plan sur l'affiche du Raid 28 2007, de là à penser qu'on est obligés d'y aller 8-)

Et pour info, mes temps de passage:

   Points                            Heure pass. Temps course Classement
   [1]Col de Voza                    V-21:03     02h01mn56s   1439
   [2]Les Contamines                 V-22:53     03h52mn34s   1360
   [3]La Balme                       S-00:30     05h28mn52s   1242
   [4]Refuge Croix du Bonhomme
   [5]Les Chapieux CCAS              S-03:17     08h16mn12s   1202
   [6]Col de la Seigne               S-05:41     10h40mn11s   982
   [7]Refuge Elisabetta
   [8]Arête Mont-Favre               S-07:37     12h36mn44s   924
   [9]Col Chécrouit - Maison Vieille S-08:20     13h19mn41s   893
   [10]Courmayeur - Dolonne          S-09:10     14h09mn38s   915
   [11]Refuge Bertone                S-11:04     16h03mn30s   725
   [12]Refuge Bonatti                S-12:39     17h38mn34s   709
   [13]Arnuva                        S-13:51     18h49mn50s   690
   [14]Grand Col Ferret              S-15:25     20h23mn58s   650
   [15]La Peulaz                     S-16:07     21h06mn35s   601
   [16]La Fouly                      S-17:11     22h10mn30s   629
   [17]Praz de Fort                  S-18:54     23h53mn23s   574
   [18]Champex Lac                   S-20:15     25h13mn57s   563
   [19]Bovine                        S-23:33     28h31mn56s   451
   [20]Trient                        D-01:33     30h31mn49s   458
   [21]Les Tseppes                   D-02:55     31h53mn56s   401
   [22]Vallorcine                    D-05:06     34h05mn07s   416
   [23]Argentière                    D-06:55     35h54mn33s   426
   [24]Chamonix - Arrivée            D-08:42     37h40mn56s   424
Page générée par UWiKiCMS 1.1.8 le vendredi 29 mars 2024.
Copyright © 2006 Christian Mauduit. Document placé sous licence GNU FDL.
Mis à jour le vendredi 08 septembre 2006.