CR 48h Evreux

Le tapis, pourquoi le tapis?

Et pourquoi pas? Après tout, j'avais déjà touché à la course sur route au triathlon, à la course sur circuit, au trail , mais le tapis, jamais. Il n'est jamais trop tard pour essayer ;)

Donc je suis inscrit à cet événement unique : 48 heures sur tapis. Non-stop. Le chrono ne s'arrête jamais. Merci Gégé et Mica. Nous serons 6 au départ:

Des profils assez chargés.

Préparation

Globalement, j'ai appliqué la même règle que pour tous les autres ultras. Beaucoup de km en prépa de fond, de l'endurance, de l'endurance, plein d'endurance, et deux mois avant la course, un peu de spécialisation. En l'occurrence, début janvier, j'ai pris un abonnement d'un mois dans un club de gym en face de mon boulot. Je pouvais y aller à la pause à midi, par exemple. Début février, j'ai placé deux grosses "sorties" longues sur tapis (une de 6 heures, une de 8 heures) où j'ai répété le début de course et validé que je résistais bien à l'ennui qui pourrait, si l'on si prend mal, s'installer à force de courir sur place. L'exercice a été concluant.

Niveau chaussure, je refais la même erreur de débutant stupide que j'ai faite en septembre dernier, 10 jours avant la course je n'ai en stock chez moi que des chaussures trail (pas vraiment adapté...) et des chaussures routes usées jusqu'à la moëlle (environ 1600 bornes). Donc j'en ai acheté des neuves entre temps, à peine plus d'une semaine avant la course. Le jour J, elles brillent, elles n'ont que 30km. Sur le principe c'est une très mauvaise idée, mais bon tant pis je ne peux pas non plus les user en 3 jours. D'un autre côté, j'ai pris des bonnes vieilles Saucony dont j'ai l'habitude et qui devraient être sans surprise.

Stratégie

Le plan
Mon plan, qui prévoyait du dodo la nuit (ce que je n'ai pas fait) et qui affiche en bas à gauche l'ultime conseil de Wayne Kurtz "Stay on the bike!" (no matter what).

J'ai vite constaté qu'à tourner exactement à la même vitesse sur un tapis pendant... trop longtemps, on s'ennuie, et puis surtout on s'use. J'imagine qu'en conditions réelles on croit tourner à 10km/h mais au bout d'un moment on tourne à 9,9 ou bien 10,1 ou encore la route monte, ou descend, le vent tourne, bref, l'effort produit varie. Mais là, si on commande 9,5km/h on a du 9,5 calibré, sans variation.

Donc, j'ai introduit un peu de variété. À Antibes en 2010 j'avais opté pour des cycles de 3 heures, dont 2 heures courues et une heure marchée. Là, j'ai choisi des cycles de 2 heures, décomposés comme suit:

Au bon kilomètre
J'avais préparé ce petit menu pour le mettre par-dessus le cadran du tapis, histoire de ne pas avoir les chiffres sous les yeux tout le temps.
  • 1/2 heure à allure lente
  • 1/2 heure à allure normale
  • 1/2 heure à allure rapide
  • 1/2 heure en marchant (la plus lente de toutes les allures)

Et puis, globalement, j'ai anticipé une décroissance de ma vitesse car à force, on fatigue. Donc au départ je tablais sur une "allure normale" de 9km/h. Et 8km/h à la fin. Idem pour l'allure marchée, elle était de 7km/h au début et 6km/h à la fin. Surtout, j'ai essayé d'éviter les allures entre 7km/h et 8km/h, qui sont souvent la moyenne qu'on réalise, mais sont difficiles (au moins pour moi) à maintenir sur le terrain. En marchant, 7km/h, c'est vite. En courant, 8km/h, c'est lent. Tout ce qui est entre, j'essaye d'éviter car c'est une zone de non-efficacité pour moi. Mieux vaut marcher plus lentement, courir plus vite, et alterner pour faire une bonne moyenne.

 

Conditions de course

Briefing
Calme et détente avant la course. Le tableau dans le fond... il est désormais dans mon salon ;)

Je ne ferai jamais assez l'éloge des organisateurs : nous avons été accueillis en grande pompe par Euro Fitness, et les conditions de course furent, d'après moi, excellentes. Il y a des ajustements à faire, par exemple avoir un meilleur suivi temps-réel du kilométrage et de l'allure des coureurs, mais dans l'ensemble, la recette actuelle est une recette qui marche, tout était pour que nous puissions enfiler les kilomètres avec la plus grande facilité, je n'ai manqué de rien. Je n'ai manqué de rien, c'est aussi grâce à Valérie qui m'a assisté pendant toutes ces heures. Les tapis Pro-Form étaient disposés sur deux rangés, face à face. En face de moi Jean-Pierre et l'autre Christian. À ma droite Sharon. Les deux autres (Olivier et William) étaient un peu loin, j'ai moins échangé avec eux pendant la course.

Top départ

En route!
Premiers tours sur le tapis. J'ai mis mon beau débardeur de l'USA (Union Sportive Argenteuillaise) mais je finirai par l'enlever, mes aisselles frottent trop.

Les 8 premières heures se sont passées comme à l'entraînement. J'ai fait quelques kilomètres en plus (3 je crois) parce qu'avec Valérie j'ai pu manger et boire plus facilement. À l'entraînement il fallait que je quitte mon tapis toutes les 2 heures pour aller ouvrir mon casier et sortir des victuailles de réserve, par exemple. Bon bref, c'est passé tout seul. À ce stade je vois Olivier qui est parti comme une bombe. Je me doute que cette affaire n'ira pas très loin. D'une part il est venu au pied levé, d'autre part, depuis la 1ère heure, on voit qu'il est fatigué, alors que pour l'avoir vu à Antibes, en général il a l'air plutôt à l'aise. Sharon a la foulée la plus élégante de nous 6, cela ne se conteste pas. William a des problèmes gastriques, il est malade, c'est vraiment dur pour lui, il n'a pas tout ses moyens. Christian Fatton et Jean-Pierre cavalent bien, ils sont devant moi.

Ils sont partis par là!
Voilà typiquement ce que l'on pouvait voir pendant... 48h.

Moi, je ne me pose pas trop de questions.

Enfin si, je m'en pose, car au bout de 8 heures, je n'arrive plus à maintenir mon plan. Alors je fais des ajustements, je relève certaines vitesses, j'en baisse d'autres, en prenant garde que la vitesse globale reste la même. En vérité c'est Valérie qui vérifie pour moi. Elle est partie se coucher en début de soirée pour être là au plus dur de la nuit, vers 3h du matin, lorsque l'assoupissement menace.

First jeudi

Jeudi, c'est *la* journée complète que nous aurons à faire. Ma progression est régulière. C'est amusant de voir que sur les graphiques ma courbe est lissée et assez droite car les demi-heures se compensent, mais en vérité, je suis un de ceux qui a le rythme le plus haché, je continue à faire certaines portions à plus de 10km/h et ce n'est pas le cas de tout le monde.

Copeaux
Mes chaussures étaient neuves au départ (rodage de 30km c'est tout). Est-ce à cause de cela ou bien à cause de ma foulée "rasante" que tant de gomme s'est accumulée à l'arrière. Joli petit tas en tous cas.

A ce stade, j'ai trouvé mes marques, et j'attends patiemment la nuit. La nuit qui devrait, je l'imagine, être terrible. Une 2ème nuit, ca fait toujours mal. Surtout quand on ne dort pas. Olivier a perdu son avance, je suis au coude à coude avec Jean-Pierre, Christian Fatton mène la danse. J'attends, je continue mon programme, je ne change rien. Mes portions rapides sont, paradoxalement, presque les plus agréables. C'est là que je m'autorise à mettre mon casque audio sur les oreilles, plein pot, et que je rentre en état second, shooté aux endorphines, et je cours, je plane, je suis bien. Pendant les phases de marche je blague avec Jean-Pierre.

Court de salsa

Bon, j'ai dit "cours de salsa" mais en fait c'était pas de la salsa, un autre truc avec peut-être bien un "Z" dans le nom. Peu importe. Entre 19h00 et 21h00, c'est la fiesta, la musique, les filles qui dansent dans la salle de sport. Eurofitness en fête, moi j'adore! J'ai appris après-coup que certains concurrents n'avaient pas apprécié ce bordel ambiant, moi j'ai trouvé ca génial, et même, j'attendais ce moment. Le maire est même passé courir un peu avec nous. Mais lui il a pu se doucher et remettre des habits propres. Nous, on court toujours comme des débiles.

J'ai Manu Conraux au téléphone. Je lui demande des supers conseils pour la 2ème nuit qui se rapproche dangereusement. Il m'explique qu'il "faut tenir" et que ce sera vraisemblablement un "moment difficile". Ca va jambonner!

Il fait une chaleur assez impressionnante avec tout ce monde dans la salle, un ventilateur a été installé et qui me donne un peu d'air. Plusieurs coureurs font la même chose. Thierry et Hélène sont passés me voir. Ils prennent le relai de Valérie le temps qu'elle se repose un peu avant le coeur de la nuit. C'est ca qui est magique dans ce sport, on croise et on recroise des gens formidables qui vous aident et vous enrichissent.

La traversée du désert

Cette nuit, je l'ai, je pense, plutôt bien gérée. Christian Fatton cale. Je le vois, assez rapidement après son passage des 24h, il ralentit. À vue de nez, je juge qu'il est passé sous 8km/h, la magie n'opère plus, la biologie le rattrape, il coince. On a beau l'encourager, il ne peut plus, il est bloqué. À l'impossible nul n'est tenu. Je le rattrape lentement, kilomètre par kilomètre. Puis il va se coucher. Je me retrouve seul avec Jean-Pierre. Jean-Pierre ne va pas dormir. Du coup, moi non plus. Et je décroche. Ma tête décroche.

Pour moi, nous sommes dans un garage. J'ai du mal à trouver les toilettes lorsque je fais une pause. Valérie a noté sur un papier mes propos, dans le texte, j'ai donc dit: "soyons clair, je me paume depuis qu'on a déménagé". J'ai du mal à trouver mon tapis au retour, je manque de monter sur celui de Sharon, qui est partie dormir. Je suis au radar, je mets du temps avant de trouver le bouton vert "Start". Je réfléchis pour ne pas le confondre avec le rouge. C'est typiquement le genre de situation où, en trail, j'aurais clignoté et fait une sieste sur le bord du chemin. Mais là on s'en fout, je peux prendre le risque de continuer, alors je continue. Bizarrement, je ne tomberai jamais du tapis, aucune chute, rien. Un miracle. Ou alors l'habitude. Mécaniquement, je cours. Au passage, merci à Jean-Pierre qui a très vite capté mon état hallucinatoire, et a conseillé à Valérie de m'accompagner partout. Ce n'était pas un luxe. On sent le vieux routier qui a l'habitude de voir les coureurs partir en vrille. Encore merci.

Vers la fin de la nuit, tout de même, je m'octroie 5 minutes de répit allongé sur une banquette, je déraille trop je trouve. C'est salutaire, au "réveil" j'ai les idées plus claires. Je ne me suis pas endormi, j'ai juste laissé aller la machine pendant quelques minutes. En contrepartie, je grelotte, et j'ai les jambes dures, dures, aïe j'ai mal. Je remonte au plus vite sur mon fidèle tapis. En route vers le matin, le soleil, la vie, l'arrivée!

Le duel

En face de moi ce matin, Jean-Pierre et Christian. Jean-Pierre chasse après Christian, pour lui ravir, éventuellement, la seconde place. Mais ce dernier s'accroche, trouve des forces pour recreuser l'écart. Les deux sont au bout du rouleau, c'est franchement sympa à regarder, du beau spectacle, et du coup, en plus, c'est motivant pour moi!

Depuis cette nuit, et sachant que je n'ai pas dormi, j'essaye de voir si le record est accrochable. Bon, surtout, je cours et je marche, mais j'essaye de rester lucide et voir s'il est dans mes cordes. Le problème, c'est que dès que je force le rythme, je suis extrêmement fatigué. Grosso-modo j'arrive à boucler un peu plus de 7km par heure, arrêts (rares) compris, mais il faudrait que je fasse plus de 8km par heure. Donc il n'y a qu'un petit kilomètre par heure à combler, mais 1km/h, c'est énorme à ce stade. En revanche je suis en ligne pour un peu plus de 390.

Final
Sur la fin, j'ai enlevé mon cache-tableau de bord et enfin, je m'autorise à lire l'écran. Ici, un petit 10,6 km/h en cours. Pas si mal au-delà de 40h.

Au km 360, alors qu'on m'annonce que c'est bon, j'ai la 1ère prime en poche (merci Techni Chauf!), j'ai un petit coup de barre. Valérie me dit "bon alors, Manu (Conraux) il a dit quoi, il a dit après le 360 on se repose, ou bien après le 360 on s'arrache pour aller plus loin?". Merci Valérie, merci Manu. Ca c'est du team sur lequel on peut compter. Alors j'ai placé deux bonnes heures de remontée avec de grosses tranches à 10km/h, entre 13h00 et 15h00. Du coup je remonte sur mon objectif. Mais je suis rincé, lessivé. Et puis ces 4 dernières heures me paraissent interminables. Avant il n'y avait ni début, ni fin, je courais, point. Mais de voir l'arrivée se profiler, les minutes me paraissent interminables. Je mélange tout, j'essaye de faire des équivalents entre la durée de mes morceaux de musiques (les écouteurs pein pot!), le temps, les kilomètres. À ce stade j'empile les heures sous forme d'étage, dans ma tête il y a une rangée par heure, je fais des rangées de 7, des rangées de 8, et je les remplis avec des kilomètres. Est-ce que si je cours plus vite ca augmente le nombre de méga-octets que prend le morceau sur la carte SD du smartphone, ou bien est-ce que ca diminue? Et un morceau, c'est combien de kilomètres? Pour les 8 dernières heures, j'ai retiré mon cache et je vois l'affichage du tapis en direct. C'est bleu, lumineux, hypnotisant. Je crois que je perds la boule.

Ayé
C'est bon, c'est fini. Enfin je peux vaquer à mes occupations sociales.

Et puis les meilleurs choses ont une fin, des copains fanfarons sont passés me voir (merci POD!), je vois Christian Fatton faire son sprint final. Moi je me contente d'accélérer doucement (je monte tout de même à 12km/h) pour aller chercher le 395. Et puis ca y est, c'est fait, le tapis s'arrête. C'est Valérie qui appuie sur le bouton Stop. Moi je me précipite sur ma chaise.

Une bonne chose de faite.

Bilan

Si c'était à refaire? Je recommencerais!

À noter, parce que c'est rare, j'ai très peu mangé sur cette course. Moins que les autres, alors que d'habitude mon estomac engloutit deux fois plus de quantité que celui des concurrents. En revanche j'ai bu de la boisson énergétique (parfum ananas-passion de chez Vit'effort) dans des proportions assez exceptionnelles. En gros je tournais à presque un bidon par demi-heure, sachant qu'il y avait 96 demi-heures dans l'épreuve et que le bidon faisait 600ml, j'ai du boire entre 40 et 50 litres...

Un grand merci à tous ceux qui ont rendu cette aventure possible, et bravo à Tony Mangan d'avoir placé cette belle marque à 405, qui continuera de nous faire rêver un certain temps.

Vidéos

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Mis à jour le vendredi 02 mars 2012.