BRM 300

Ils portent tous un gilet de sécurité. Les agents de sécurité de l'école ?
Ils ont leur casque sur la tête. Une réunion de chantier ?
Ils ont de grosses frontales au front. Des spéléologues ?
Ils sont munis de leurs deux roues. Des hells angels ?
Non, c'est bien plus pacifique, bien plus sympathique. C'est le départ de mon premier BRM.

Un BRM, c'est un Brevet de Randonneurs Mondiaux. Une randonnée cycliste organisée sur un parcours d'une distance validée, permettant d'homologuer la distance en question. A la fin de votre BRM, vous avez un petit papier qui le prouve : voilà, vous pouvez faire tant de kilomètres dans un temps donné (disons, à plus de 15 km/h de moyenne, en comptant les pauses.) Bien sûr, le petit papier, ça peut être utile. Ça permet de valider son inscription à une randonnée encore plus longue par exemple. Mais le BRM, c'est quand même un peu plus que ce certificat. L'ambiance randonnée, les contacts, et plus terre à terre : un parcours déjà tracé, voire des ravitaillements organisés.

Ravito
Quatre ravitos sur le parcours. Tous aussi chaleureux. Christian se remplit la panse.

Nous voilà donc partis, Christian et moi, pour un BRM de 300 km en tandem. Christian a réussi à me convaincre : ça facilite l'inscription pour le Paris-Brest-Paris 2011. Et puis ce sera l'occasion de faire une sortie tandem. Notre tandem n'est pas sorti du garage depuis plus d'un an. Ce sera en tout cas une découverte pour moi.

Le parcours

J'en ai parlé à des collègues, l'accusé de réception était détendu : "Chouette, tu auras du beau temps." Très différent de ce que l'on entend quand on annonce que l'on part pour un marathon. Le marathon représente la distance mythique, celle réputée ne pas pouvoir être dépassée, sauf par des fous s'abimant le corps sans aucune considération pour leur santé future. En vélo, cette distance n'existe pas. Vous annoncez que vous partez en vélo pour 20, 50, 100, 400 km. Vos interlocuteurs ont la même réaction : "Il fera beau, ce sera chouette" ou "Tu sors par ce temps instable ?", voire : "Quel courage d'être sportif !" Mais pour les réactions quant à la distance, jamais. Entre ma maison et mon travail il y a 5km et demi, les cyclistes du tour de France parcourent entre 200 et 250 km par jour. Aucune différence. Mon cher et tendre prévoit un déca-ironman en Novembre. Cela représente 38 km de natation, 1800 km de vélo et 422 km de course à pied. J'ai entendu des Ah! des Oh! concernant les distances en piscine, à pied. Mais le vélo ? Non, tout va bien. Il passera pourtant certainement cinq jours sur une selle, à pédaler, avec des repos réduits au maximum.

Je suis donc partie sans inquiétude pour ce que je considérais comme une grosse ballade. Et, comment dire ? J'en ai bavé.

Colza
Les champs de colza succèdent aux sillons de terre.

Quant à la ballade, je ne peux pas dire que j'ai été emballée par les paysages. J'aime les champs de colza au printemps, j'aime les sillons des champs qui défilent. J'aime les fermes perdues dans la campagne. Mais 17h de champs de colza, c'est un peu trop pour moi.

Heureusement, nos compagnons de route étaient plus variés que les paysages. Honneur aux travailleurs : les bénévoles qui nous chouchoutaient au départ, aux trois ravitaillements et à l'arrivée étaient des vieux de la vieille. Super papy qui se fait un point d'honneur à faire faire cent mille kilomètres à son vélo avant d'en racheter un. Bon, il l'avoue, finalement il a lâché le précédent à quatre-vingt cinq mille kilomètres. Des hommes, des femmes qu'un point commun rassemblait : un grand sourire si rafraichissant. Les cyclistes : des chevaux piaffant au départ pour rester les premiers (quelques-uns) mais surtout des trentenaires, des plus âgés, des couples, des groupes, des solos, des vieux de la vieille, des presque débutants, des vélos bien sûr, mais aussi un autre tandem, un vélo couché (fait maison), un vélo caréné qui ressemblait à une fusée de Tintin horizontale et même une trottinette (faite maison également.) Des bonjour, des "Bonne route", des "Pas de problème ?" dès que l'on fait une pause en bord de route. Un esprit randonnée que je ne connaissais qu'en montagne.

Parenthèses techniques

Dos
Quand j'en ai marre des champs, j'admire le dos de mon homme. Saint Exupéry l'a dit : "Aimer, c'est regarder ensemble dans la même direction."

Le tandem c'est du vélo. On pédale, ça avance. Il y a les freins, les vitesses se passent au guidon. En général, on pense que celui qui est derrière n'a qu'à se laisser aller. Le pilote fait tout le boulot. Le mythe est d'autant plus fort qu'en général, les tandems sont pilotés par des couples, l'homme devant, la femme derrière. Et c'est bien connu : les femmes sont des mauviettes. Relent de misogynie persistant même chez des esprits s'imaginant ouverts. Rappelons donc qu'il existe un autre type, important, de tandemiste : l'aveugle, qui a besoin d'un cycliste voyant pour le pilotage. Ceux-là avancent comme des fusées, ça file sur des distances incroyables. J'avais discuté à Saint-Tropez avec le club de Montreuil, descendu pour le week-end de l'Ascension. Chacun avait fait sa part du boulot.

Ombre
Ne sommes-nous pas mignons en ombre ?

Il n'y a pas de roue libre entre les cyclistes, sur un tandem. La roue libre existe, heureusement, comme sur un vélo. Nous pouvons arrêter de pédaler, mais ensemble. Nous devons toujours pédaler au même rythme. Il mouline ? Je mouline. Et comme monsieur est devant, qu'il pilote, il imprime le rythme. Depuis la selle arrière, j'ai plusieurs choix :

  • Laisser mes pieds suivre les pédales. C'est peu gratifiant, aucunement efficace, et pourtant fatigant. Il est à noter que la feinte est évidente pour le pilote : s'il sent du dur dans les pédales, c'est que je laisse tourner mollement mes pieds.
  • Lacher les pédales. C'est pire. Elles tournent, je ne sais où placer mes mollets, mes pieds. Récupérer ces maudites pédales est une opération acrobatique de l'extrême. Je dois m'avouer vaincue et demander grâce au pédalage, le temps de me remettre en jeu.
  • Pédaler, fermement, résolument. Le tandem avance grâce à nos efforts conjugués. Sur terrain plat, c'est un réel plaisir. En côte, la sensation est plus mitigée. Imaginez un vélo, vous dessus. Sauf que vous en avez un lourd, un bon gros cadre qui pèse le double de votre vélo précédent. Et sur le guidon, vous transportez un gaillard de 80 kg, assis entre votre sonnette et votre compteur kilométrique. Voilà, c'est un peu l'impression que j'ai quand je pousse sur les pédales du tandem en côte. Cette sensation que Christian se laisse porter, que c'est lourd, lourd, que s'il m'aidait ce serait tellement plus simple. Oui mais voilà, il fait comme moi et ressent comme moi. A vrai dire, le grand problème est que l'on ne sent pas l'effet de nos efforts sur les pédales : seul l'effort conjugué des deux cyclistes est transmis jusqu'à la route. Impossible de savoir qui fait plus, qui fait moins. Le résultat est la vitesse de montée. Si l'un des deux flanche, l'autre le sent. Mais de l'arrière, on ne sait jamais vraiment : est-ce lui qui pousse moins ou la côte qui devient encore plus raide ?

Et quand arrive le plat, voire une descente, j'aimerais arrêter de pédaler. Une seule solution : demander. Si je résiste avec les pieds à l'effort de pédalage, Christian pousse de plus belle. Il lui arrive de temps en temps de penser spontanément à arrêter la rotation, et dans ce cas, je ne force pas comme lui !

Imaginons maintenant la roue libre. Chacun pédalerait donc à son rythme. Mais nous porterions tous deux le poids supplémentaire du mécanisme ainsi que les risques de pannes associés. Christian moulinerait même en descente. J'arrêterais les efforts à des moments parfois inoportins. Et surtout, je recevrais des coups de talons dans les genoux dès que je ne serais plus en phase. Ouille ! Le seul endroit où je n'ai pas eu mal pendant cette randonnée.

La douleur

La douleur, en effet, m'a suivie pendant cette course. Elle est arrivée doucement, nuitamment, subrepticement et s'est installée dans mon corps. Elle a fait son nid, s'est étendue et est dévenue omniprésente. La douleur fut ma mauvaise compagne. Actuellement je cherche tous les moyens de la chasser de ma prochaine excursion. "Pain is inevitable, suffering is optional" Je ne souhaite que peiner en course.

L'Auberge Fleurie
L'Auberge Fleurie : déjeuner en terrasse, bon, reposant. On se serait crus en week-end.

Depuis quelques années déjà, j'ai pris la mauvaise habitude de tenir mon guidon non par la paume des mains mais par les phalanges. Je redresse ainsi légèrement mon dos, tout en gardant le guidon positionné à "hauteur conforme" d'après les cyclistes. Les avantages sont pour mon dos et mes poignets. Mes doigts résistent bien. A plus long terme, mon dos ne va pas très fort, en fait, et ne s'endurcit pas.

Il y a dix jours, j'accompagnais (à vélo) un coureur sur une course de 100 km à pied. Le dos avait souffert, le bras gauche aussi et ça, c'était nouveau. Eh bien ce samedi matin, ça ne me surprenait plus, mais j'avais mal. La brûlure montait le long du bras jusqu'au centre des homoplates. Je me redressais pour atténuer le mal, cambrais le bas du dos. Pendant un peu plus de 100 km, ce fut possible. Ensuite, je n'avais plus le courage. Je voulais une position antalgique, là, tout de suite.

Je bougeais les mains : paumes sur le guidon, tournées vers l'intérieur, vers l'extérieur, doigts sur le guidon. Lever une main. Lever la tête, la baisser. Petit à petit, plus rien n'était acceptable. Le milieu des homoplates me brûlait, le bras gauche était paralysé. Il ne se pliait plus et, à l'arrêt, ne se dépliait plus. Comment enlever ma veste à manches longues, comment boire ? Tous les gestes devenaient problématiques. Pourquoi continuer dans ces conditions ? Parce que je le voulais, pardi. Parce que j'étais partie pour 300 km en tandem et que je ferais 300 km en tandem. Mais bon sang !

Et bien sûr, les fesses. Sur un tandem, on ne se met pas en danseuse. On reste assis. On laisse son popotin là où on l'a posé. Exactement. Pour déplacer la chose, il faut appuyer sur les pédales. Ca ne paraît pas grand chose mais ça signifie prévenir son coéquipier, arrêter le pédalage un instant, faire osciller le cadre. On doit penser à tout cela en tandem. Et on laisse ses fesses bien plus longtemps qu'en vélo dans des positions douloureuses. Heureusement, je ne pensais pas trop au fesses : j'avais plus mal au dos.

(plome)
Vous avez dit plôme ? Ouf, nous les avons chèrement gagnés.

Etonnamment, au milieu de tout cela, les jambes tournaient, les pieds appuyaient, les genoux pliaient. Je me sentais endurante, prête à terminer ces 300 km. J'utilisais bien sûr mes fameuses ruses : "On va jusqu'au prochain point de contrôle, et ensuite j'aviserai", "Dans 20 minutes, je demande une pause debout à Christian." J'ai craqué, oui. Aux Clayes sous Bois. Ceux qui connaissent la géographie d'Ile de France comprendront que nous sommes quand même arrivés à notre destination : Villepreux. Nous avons pu voir apposé le tampon de notre brevet. Je me suis laissée aller à ma douleur et j'ai pleuré.

J'y pense. Je musclerai mon dos. Je me mettrai en condition pour repartir sur les routes. C'était une belle aventure.

Vous en redemandez ? Aller lire le compte-rendu de Christian.

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Mis à jour le lundi 24 mai 2010.