24h de Rennes 2016

Le 24h course, c'est un principe simple : un circuit d'environ 1km, le chrono mis en route à 10h du matin, une puce à la chaussure, qui permet de compter automatiquement les tours. Et À 10h le lendemain, on relève les compteurs. Les 9 et 10 avril derniers, j'étais à Rennes, avec 67 autres partants. Christian, mon époux, avait pris son survêtement de coach. Ça faisait toujours un concurrent de moins devant moi. J'étais en forme physiquement, bien entrainée. Il ne restait plus qu'à dynamiter mon précédent record de 143 km, il y a 2 ans à Saint-Fons. En plus, à force d’aller trainer sur les bords de courses, voire dans les pelotons, je finis par connaître du monde. Je n’avais pas regardé la liste des partants. Je découvre donc en installant mon sac qu’il y a :

Plic ploc
Une tenue de pluie confortable et "courable" - checked.
  • Patrick Pierre, remarquable, pour ceux qui ne le connaissent pas, à sa jambe raide et sa barde blanche. Et pour ceux qui le connaissent, à son répertoire de blagues et sa capacité à toujours trouver un acolyte avec qui bavarder en avançant ;
  • Philippe Emonière, le genre de gars qui ne ralentit pas. Il ne part pas très vite, mais ensuite il reste pareil. Son gros défaut finalement, c'est d'avoir arrêté l'organisation des 24h d'Arcueil juste avant que je me mette à la discipline ;
  • Bob Miorin, celui à qui j'ai donné le nom de mon programme d'entraînement "Courir avec dignité de Bob Miorin". Il m'avait conseillé d'éviter de trainer les pieds, même fatiguée. Je m'y suis efforcée et effectivement, j'arrête de fournir de l'énergie à la force tangentielle de frottement et c'est payant ;
  • Jacques Moutier, avec qui j'ai fait mon premier tour à Saint-Fons ;
  • Mais aussi la grande Françoise Perchoc. Elle m'a donné des sueurs aux 48h de Royan en octobre 2015. Je sais qu'elle va être d'une constance inébranlable. Tant mieux, ce sera impossible de chômer, chez les filles.

Il y a aussi, ça je le savais avant, Wilfrid Lancelle, un collègue de Christian. Il souhaite atteindre la marque de 100 km. C'est pour nous deux que Christian est là, en zone d'assistance.

En peloton
En peloton autour du terrain de foot. Avec Françoise Perchoc au premier plan à gauche. Quand je disais qu'elle était grande, il fallait bien entendu comprendre "en course à pied".

Je commence à m'imprégner des lieux. Je ne fais pas le tour du circuit, je le ferai bien assez tôt. Mais la zone des ravitos est bien fichue, avec de grands barnums pour les espaces personnels des coureurs et des petites cases numérotées dans le ravito commun, pour nos gobelets réutilisables. Les barnums sont attachés solidement, des gouttières sont fixées au niveau des jonctions. Visiblement, dans le coin, ils prévoient du mauvais temps. C'est aussi ce que dit la météo. Pas très rassurant tout ça, pour moi qui aurais abattu un nuage à la kalach à Royans, si j'avais pu. Mais là, j'ai décidé d'être zen et plus forte que la pluie. On verra qui va gagner.

Mon plan de marche a été difficile à mettre au point. Je voulais améliorer ma marque de 143 km à Saint-Fons. Mais je ne peux pas non plus me griller dès les premières heures. Finalement, j'ai décidé de partir sur un rythme à peine différent des dernières fois. Au lieu de compter en tours, je vais compter en durée. Je commencerai chaque demi-heure par 5 min de marche, puis je courrai 25 min. Pour le reste, je compte sur ma perte de poids de l'an passé, même si j'ai repris et que je n'ose pas monter sur la balance pour mesurer les dégâts. Et sur ma vitesse de base qui a augmenté, ça c'est sûr. On va aussi essayer de ne pas se fixer un kilométrage de manière rigide, mais plutôt "Faire le mieux que je peux". C'est parti.

Ravitos
L'aller-retour devant les stands. L'inconvénient, c'est le demi-tour serré. Les avantages, ce sont de voir 2 fois ses accompagnateurs, de pouvoir reposer son gobelet, l'accès aux toilettes facilité...

Les premières heures sont un vrai bonheur. Le parcours de Rennes est très agréable. J'apprécie particulièrement de passer autour d'un terrain de foot (bien grillagé), sur le bord d'un skate-park et d'un anneau de vitesse. On voit du monde venu se détendre, nous ne sommes donc pas seuls au monde. Mon rythme est excellent. Je me suis fait une marque mentale "C'est là que j'arrête de marcher", à 450 m du bip puce. Puis je cours 3 tours et demi avant que le chrono au niveau puce m'indique qu'il est à nouveau temps de marcher. Le marathon en 5h, c'est parfait.

Je fais connaissance avec Christine David. Le genre de fille qui a l'air sportive, affutée. Mais je ne me fie pas aux apparences. Et puis je ne connais pas le nom des grandes coureuses. On discute des commentateurs. "A Brive, le commentateur m'avait dit que si j'atteignais 200 km, il me portait." Je suis, comment dire... surprise : "Et alors ?" Christine : "Il l'a vraiment fait !" C'est à ce moment que j'ai compris, moi, qu'elle avait vraiment fait 200 km. Le genre de distance qui vous place, pour une femme, dans les sept premiers pourcents mondiaux. En France l'an dernier, seule une femme a fait cette marque. Alors OK, Christine n'est plus à son niveau le meilleur, mais elle a des choses à m'apprendre, et elle va me montrer qu'elle n'amuse pas le terrain, je le sais. Une chance de rencontrer un fille pareille. Elle a été, pendant toute la course, un moteur, un soutien, une concurrente, bref, un bonheur.

Françoise et moi
Françoise et moi, parce que c'était un plaisir de tous les retrouver : elle, son sourire, son allure régulière.

Il y a aussi une nénette qui carbure, Anne Fournier. Elle bolide carrément, elle est en tête des femmes. Christian me dit qu'elle ne tiendra pas à ce rythme-là, que je peux l'avoir. La bonne blague. Elle est taillée pour la course, tout en elle respire la compétition. Et moi je trouve qu'elle avance. Bon, en attendant, je me retrouve troisième féminine et, plus remarquable, dans la première moitié au classement scratch dès le premier soir. Il va falloir vraiment consolider tout ça.

La pluie ? Oui, il y a eu. Et j'ai gagné contre elle. Déjà, ça n'a été que des averses, pas des heures en continu. Ensuite, je me suis armée d'une meilleure veste de pluie qu'à Royan : légère, mais vraiment étanche. J'ai aussi troqué la capuche contre une casquette à visière. Ça donne un look de beauf américain, mais les lunettes sont protégées et on n'a pas le bruit de la capuche. Avec ça, je garde ma bonne humeur. Je fournis le décompte officiel des averses aux autres concurrents. Je me marre quand le présentateur annonce que la pluie a cessé, j'ajoute : "Ce n'est plus que de l'eau qui tombe du ciel." Je garde le sourire, je sais que j'ai gagné contre la météo, ce coup-ci. Continuons.

Patrick et Philippe
Patrick et Philippe. Méfiez-vous de ces filous. Ils abattent du kilomètre comme de gros bucherons.

C'est qu'elle carbure, Valérie. Je m'épate. C'est vrai que j'ai amélioré ma vitesse de base. Mais j'avais quelques craintes. Après tout, ça a été un entrainement quasiment sans sortie longue. Mais les kilomètres défilent et je suis toute joyeuse d'exploser mon record aux 100 km. Je les parcours en 13h30. Christian n'est pas là à ce moment : il est au gymnase, en mission d'assistance à Wilfrid. Dommage pour moi. Quant à Wilfrid, je n'arrive pas à suivre : j'ai vu les secours autour de lui. Qu'a-t-il ? Tant pis, je me centre sur ma course et fais une croix sur l'assistance personnalisée. Ce n'est pas si grave. Les bénévoles sont aux petits oignons. Rapides, souriants. Soupes, cafés, je m'en sors. Ah et puis côté gobelets, c'est bien fichu : on prend le sien en passant et 100 m plus tard on repasse dans l'autre sens devant le ravito. Il suffit de le poser sur une table pour le retrouver au ravito au tour d'après. Vous savez quoi ? C'est plus écolo que les dizaines de milliers de bouteilles jetées aux marathon de Paris, pourtant badgé "développement durable".

Avec Christine
Avec Christine, quand je découvre que là, je suis en train de partager un bout d'asphalte avec une grande.

La nuit est bien entamée à mon passage aux 100 km. Il va falloir continuer à avancer. Pendant 3h, j'arrive à garder un rythme très honorable. Je crois que c'est ça, "faire du mieux que je peux". Je ne fais plus qu'un tour sur deux couru, l'autre marché. J'ai réussi à vaincre pas mal de problèmes, en particulier ceux de ma course précédente. Il y a des toilettes juste sur le bord du circuit. J'y vais avec ma petite trousse personnelle et je m'occupe très soigneusement de ce moment. Je ne me mets pas la pression aux ravitos, pour grappiller 1 min. Le résultat, c'est que je reste suffisamment sereine.

Anne Fournier
Et pendant ce temps, Anne fait chauffer le bitume.

Vers 3h du matin, je rentre dans le dur. La nuit est claire. C'est bien, il ne pleut pas. Mais un froid glacial nous tombe dessus. Tout est gelé autour de nous. Je rajoute couche sur couche à mes vêtements. Je suis fatiguée pour courir et les vêtements deviennent gênants. Qu'à cela ne tienne, il faut avancer. Je m'autorise une petite pause au vestiaire toutes les heures. Ca réchauffe. Les accompagnateurs sont emmitouflés sous des tonnes de chiffons. Les coureurs, pas tous. C'est des durs. Mais ils ne sont pas non plus tous là, sur la piste. Les moins durs, au gymnase. Heureusement qu'il y a une course de 12h aussi, cette nuit, sinon il est possible qu'on se soit sentis isolés, nous les 24h qui avançons.

Wilfrid
Wilfrid a eu une avarie technique :(

Christine est épuisée. Je me rends compte que j'ai de la chance de ne pas sentir la fatigue, cette fois. Je n'ai bu des cafés que pour le transit intestinal. Anne a dû stopper plusieurs fois. Nous avons fait quelques tours toutes les trois ensemble. Anne fait du 3000m steeple, en général. Pas vraiment la même discipline. Le 24h, c'est pour le plaisir. Alors elle est partie trop vite, pour les sensations. Elle préfère s'arrêter plutôt que d'hypothéquer sa saison à venir. C'est plus rassurant que de se dire qu'elle a complètement raté sa gestion de course en partant tel un chien fou. J'apprécie beaucoup son côté positif. En fait, je me demande un peu ce que je fais dans le trio de tête des filles avec ces deux sacrés numéros, deux championnes au profil très différent, mais bon, des vraies championnes, pas des mémères qui font leur footing le midi, comme moi. Plus je fais de tours avec elles, et plus j'ai envie de les voir faire de belles marques. Bon, et aussi envie de me faire un joli kilométrage assorti aux leurs, quand même.

Nuit
La nuit est froide / Elle est sauvage / La nuit est belle / Pour ses otages

Le matin arrive enfin. Le ciel rosit. Ce que je veux, c'est que le mercure monte, que j'enlève des couches, que je me sente l'énergie de recourir. Eh bien, autant la nuit a été claire, autant le matin est couvert. Pour la chaleur on repassera. Malgré tout, si je fais 5 km par heures, j'assure ma marque à 150 km. Je ne veux pas l'avoir de justesse. Je suis crevée maintenant. Courir demande de puiser dans son reste d'énergie, marcher fait remonter les douleurs depuis la plante des pieds. Il faut avancer. Je veux un peu de marge, me sentir assurée de dépasser 150 km. Je ne pense plus qu'à cela. Me laisser un petit matelas de temps en cas de besoin. La pression monte. Je craque. Je m'assieds un instant au stand et pleure.

Trois filles
Au matin, on se retrouve trois filles à discuter et à avancer.

Il faut reconnaître un beau geste sportif quand on en voit un. Anne était assise quelques mètres plus loin. Elle avait déjà retiré sa tenue de course. Elle n'en peut plus, tant pis pour le finish. Elle se lève et vient me voir : "Allez Valérie, je t'accompagne." Nous sommes reparties toutes les deux ensemble. J'étais à nouveau dans la course. Nous avons marché à bonne allure. J'ai même couru à la fin.

Sprint final
Une foulée longue et aérienne pour mon sprint final. Enfin, je veux dire, la meilleure qu'il me restait en stock.

Le finish d'un 24h, c'est un moment assez spécial. J'ai tout donné sur la dernière demi-heure, ce qui donne un foulée pénible et une vitesse de 6,5 km/h. Les spectateurs vous encouragent (je crois que pas un n'avait conscience que j'étais la deuxième féminine, que j'étais 19ème sur 68, bref que j'étais en train de faire une perf pas dégueu.) Et moi aussi je m'encourage. "Allez ma fille. Allez, c'est bien. Vas-y. Continue. Allez ma fille." Je ronchonne dans mon menton. Et j'avance. Enfin, coup de pétard. Dans une minute, c'est fini. J'accélère encore (peut-être à 7 km/h ?) "Allez ma fille. Allez, c'est bien." Deuxième coup de pétard. C'est fini, je pose mon dossard sur la piste. Je m'appuie à une barrière. Je pars en pilote automatique. "Allez ma fille. Allez, c'est bien. Vas-y. Continue." Je dois débrancher deux fois de suite le "magnéto". Dès que je me déconcentre, je reprends ma petite litanie. Le disque est rayé.

Podium
Sur le podium. Je suis 2ème féminine, entourée de supers coureuses. Je me sens un peu usurpatrice, très contente de moi et charmée d'être là avec Christine et Anne.

Au final, je n'ai pas tout à fait réussi à faire simplement ma meilleure course. J'ai bien vu que j'avançais à l'objectif. Sans mon envie d'atteindre les 150 km, mes pauses auraient été plus longues, ma vitesse moindre. Mais je surmonte de plus en plus de problèmes connexes : l'alimentation, le froid, la pluie, les frottements, les pensées négatives. Au final :

  • 154 km, soit 11 de mieux qu'à Saint-Fons ;
  • L'envie de retourner me mesurer à un 100km sur route, confirmer un beau temps ;
  • Bon et puis je suis montée sur la balance : il y a en effet quelque chose à faire de ce côté-là, si je veux atteindre les 100 miles.

Pour le plaisir, voici mes temps de passage aux semis.

  • Semi 1 : 2h30
  • Semi 2 : 2h40
  • Semi 3 : 2h50
  • Semi 4 : 3h10
  • Semi 5 : 3h30
  • Semi 6 : 4h
  • Semi 7 : 4h15
  • Semi 8 (si on extrapole au-delà de 24h) : 3h45

Enfin, un 24h, c'est beaucoup plus que tout ça. Des beaux moments, des moments difficiles, du rire, de l'émotion. Des étoiles dans les yeux pendant les jours qui suivent. Merci à tous les concurrents, aux organisateurs, aux bénévoles, aux accompagnateurs et aux crêpes-saucisse de créer tous ensemble cette petite magie.

Et vu du bord du terrain, c'est Christian qui raconte.

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Mis à jour le jeudi 28 avril 2016.