Les 24h de Saint Fons 2014 - compte-rendu

Agathe a stone in my shoe
Agathe a stone in my shoe. Agathe met en valeur la fin de l'allée de l'enfer. Vu imprenable sur une raffinerie. Moi j'adore les raffineries la nuit.

Vendredi 18 avril 2014. 13h14. Gare d'Argenteuil. Je suis assise dans le train omnibus en direction de la gare Saint-Lazare. La sonnerie retentit. Les portes se ferment. Je réalise que j'ai oublié mes chaussures de course à pied dans le salon de ma maison. Je suis en route pour les 24h de Saint-Fons. Mon billet de train en poche, je n'ai plus le temps de faire demi-tour. Je me sentais correctement préparée, malgré quelques faiblesses. L'adrénaline monte d'un coup.

J'ai donc passé ce trajet en train de banlieue à échanger coup de fil et SMS avec mon tendre époux. Il y a un Décathlon à Lyon Part-Dieu. Demain, je courrai dans des chaussures neuves. Bon et sinon :

  • Je suis un peu fatiguée. J'ai passé un moment à patasser debout dans le froid ce matin, au lieu de faire la grasse matinée dans mon lit. Dure vie de travailleuse.
  • Je suis grosse. Pas tant que ça en fait. Ou du moins, pour ma vie quotidienne, je m'en accomode pas mal. J'entre dans mes vêtements. Je me sens bien, merci. Malgré tout, je pèse 3 kg de plus que lors de ma première expérience sur 24h. Tout ça, c'est la faute à l'IED. Ou bien la mienne. J'ai décidé, il y a deux ans, de commencer des études de psychologie, une licence en cours à distance. Alors comme je travaille, que j'ai une famille, que la vie est pleine d'autres contraintes, je rogne sur le sommeil. Et moi quand je suis trop fatiguée, j'ai besoin de nourriture pour tenir. Et quand je prends deux petits-déjeuners, un déjeuner copieux et un dîner normal, j'atteinds mon "poids de forme de quand je ne dors pas assez". Et voilà, il est fixé à 72 kg. Alors en ce moment je pèse 72 kg.
  • Je ne me suis pas entrainée aussi bien que prévu. Vous savez quoi ? Quand je suis grosse, la course à pied me fait mal sur le devant, au niveau des tibias. C'est très net. A moins de 70 kg c'est OK. Au-dessus, c'est KO. Il y a un moyen de surmonter ça, c'est de courir doucement, d'alterner avec de la marche, jusqu'à avoir perdu un peu de poids et hop, ça décolle. Seulement voilà : cf. le point précédent. Ca n'a pas décollé. J'ai dû sucrer pas mal de séances de vitesse, même si j'ai réussi à en faire. J'ai surtout fait de l'endurance de qualité (c'est-à-dire beaucoup, et lentement.) Ma vitesse est pas mal. J'ai progressé globalement, du moins dans la confiance en moi. Mais bref, mon carnet d'entraînement le reflète assez bien : entraînement intensif et études intensives sont difficilement compatibles.

Mais aussi :

  • J'ai très envie de retourner sur un 24h. J'avais adoré l'ambiance à Grenoble en 2012. C'est la première fois de ma vie qu'un champion m'encourageait de bout en bout, pendant toute l'épreuve, alors même qu'il la courait. Piero Lattarico, si jamais tu lis ça, tu m'as accueillie avec tant de chaleur sur ton épreuve que ça m'a donné envie d'en refaire. D'ailleurs, quand mon cher époux Christian a décidé de venir courir lui aussi à Saint-Fons, je lui ai mis la pression : "Il faudra que tu m'encourages à chaque fois que tu me doubles, comme Piero." C'est mon standard de course, maintenant. J'attendais avec impatience de retrouver cette ambiance chaleureuse, peut-être quelques têtes connues, d'autres à découvrir. Alors, il est comment le cru Saint-Fons 2014 ? Sympa ?
  • C'est mon objectif sportif majeur de l'année. En 2013, je n'ai pas fait de course à pied (enfin si, seulement un marathon en fin d'année.) Et finalement ça m'a manqué. Mais avec les études, je ne peux pas placer trop d'ambitions sportives. J'ai décidé de me limiter à une course, bien choisie, pas trop près des examens. Pile c'est les 24h de Rennes, faces celles de Saint-Fons. Ce sera Saint-Fons. C'est la seule, alors ce serait bien de la réussir.
  • C'est un week-end en amoureux. Il n'y en a pas tant que ça, de ces petits week-ends romantiques à deux, sans les enfants. Alors on cherche à les rentabiliser. Nous, on aime ça les petits week-ends romantiques. Le genre qui défonce.
L'arche
Cette porte est une porte magique. Juste AVANT de passer, vous gagnez 882 m en points bonus.

Bref j'ai pas de chaussures, je ne suis pas en forme, mais j'y crois. Je crois que je peux faire mieux que la dernière fois (142 km en 2012). J'ai comme objectif principal de bien gérer ma course, c'est-à-dire de ne pas dormir (du tout. Pas 30 minutes comme la première fois), de minimiser mes arrêts techniques, d'être régulière et de rester positive. J'ai un ancien rêve d'une marque à cent miles mais là franchement, ce serait un peu de bol (à moins que la boucle soit en descente ?) Et un autre petit truc : j'ai regardé les perfs des autres concurrentes. Il en a trois qui ont une meilleure marque que mon 142 km. Sur un malentendu... en se bougeant un peu... le podium féminin, il est atteignable ? Si j'ai une chance, je la prendrai...

Voilà donc comment je débarque à Lyon vendredi à 16h. Je commence par un tour de shopping au centre commercial de Part-Dieu. Je l'agrémente de deux traversées de gare bondée. Après "Je ne connais pas ma gauche et ma droite", j'ai fait le remake : "Je ne connais pas mon est et mon ouest". C'est ballot, je sais où se situent les Alpes et le Rhône par rapport à Lyon, mais là cet après-midi, j'étais persuadée que pour aller vers l'ouest, il fallait prendre la sortie "Alpes". J'ai aussi fait tout le tour du centre comm. A Décathlon, ils ne vendent pas de Brooks. J'ai pris des Asics. Mais si je trouvais des Brooks ailleurs ? Les mêmes qu'à l'entraînement, ce serait mieux. Non, finalement, il n'y a pas de Brooks au centre commercial de la Part-Dieu. Moi qui étais censée me reposer, à la place j'ai piétiné.

Cathy
Cathy Muller est arrivée deuxième féminine avec 151 km. Derrière on voit Christian Mauduit en embuscade. Trop amateur de jupettes ?

Un tour à l'hôtel pour poser mon sac à dos, puis un tour au gymnase pour récupérer les dossards. Sauf que le stade Louis Girardet à Saint-Fons, celui indiqué sur la plaquette de la course, il n'est pas dans Google Maps. Alors je suis allée au stade municipal où, par chance, j'ai trouvé un charmant monsieur qui m'a dit que les autres années, le 24h se déroulait au stade de la Cressonnière. 2 km à pied, ça use, ça use. De retour à l'hôtel, j'ai les jambes lourdes, je dois encore attendre l'arrivée de Christian et, accessoirement, j'ai découvert que les lassi à la rose chez l'Indien du coin étaient faits avec un yaourt bulgare Carrefour. Demain est un autre jour.

Samedi matin, l'autre jour, commence par un trajet en taxi. Stop les conneries. Au moins, j'ai à peu près bien dormi, je ne marche pas, et le petit déjeuner de l'organisation est nickel. Je flemmarde, on papotte entre coureurs. Cinq minutes avant le départ, je ne connais pas la boucle (j'aurai bien le temps de la découvrir) et je ne sais même pas dans quel sens on va tourner. 9h59, le présentateur annonce enfin où est le point de départ et dans quel sens prendre la boucle. 10h plus epsilon : je franchis pour la première fois le portique et boucle mon premier tour. Je l'ai fait en marchant, comme toujours. Un bon moyen de ne pas se laisser prendre dans l'effervescence du départ et de garder son jus pour plus tard. En plus, je ne suis même pas toute seule. Jacques a mal au genou, il prévoit de tout faire en marchant. On discute un peu et je rigole quand il découvre mon cher époux qui fait aussi son premier tour en marchant... à la vitesse des coureurs. Ah ben oui, c'est pas vraiment le même calibre que nous.

Les Comte sont bons
Pascal et Chantal Comte. On vient souvent en couple sur un 24h. Quand je pense que pendant ce temps, des tourtereaux de ma connaissance se tenaient la main dans les rues de Saint-Malo et je faisaient des mamours au Mont Saint-Michel !

Que je vous décrive un peu le parcours, d'ailleurs. La première chose à faire, c'est de traverser les barnums des ravitos, le long du gymnase. Bifurcation à gauche, nous avançons de quelques mètres pour rejoindre les cours de tennis, devant lesquels nous tournons en chicane droite-gauche pour partir longer un mini terrain de foot, le genre de cage à ados qu'on fait aussi à Argenteuil. Pendant cette partie, le circuit est en double sens, séparé par une barrière centrale. Le contournement du mini-foot se fait un peu au large, de manière à former un triangle rectangle où les virages sont vers la droite. Puis nous revenons vers les ravitos, mais en passant du mauvais côté de la barrière. Virage à gauche, puis tout droit jusqu'à la voie ferrée. Nous tournons à gauche juste avant les rails. Là, on passe un portail qui, n'importe quel autre jour est visiblement fermé, avec un énorme panneau indiquant "Interdit - chantier". Sauf aujourd'hui. Portail ouvert, pas de panneau. C'est serré mais vu mes vitesses astronomiques, ce point est idéal pour relancer : ça descend. Pendant 3 m. Et on est déjà dans la caillasse. A ce point du parcours, le caillou est de type galet. Je me dis qu'il va se tasser sous les pas et c'est en effet ce qui se passe. Donc le choix c'est : rester dans le terrain stabilisé et ralentir autant que le gars devant, ou doubler par le non stabilisé en dévers. Finalement, j'ai pas mal doublé là-dedans. La ligne droite continue et nous entraîne en enfer : des petits gravillons noirs pointus dans lesquels on enfonce les chaussures. Cette zone-là ne s'est pas stabilisée en 24h, j'ai toujours eu l'impression d'avancer dans du sable (comme dans une aquarelle de Marie Laurencin). Enfin, en bout de ligne droite arrive ma grande honte : un cercle matérialisé par des barrières métalliques dans le coin d'un terrain de foot. Dès le premier tour j'ai pensé à la grosse marque que nous laisserions à nos amis footeux, et chaque tour j'ai observé avec un certain plaisir l'avancée des dégâts. Ça matérialisait le temps qui passe. Désolée pour votre terrain, les gars ! Enfin, retour vers la base vie, à nouveau dans les travaux, le long de la voie ferrée. Il y a 21 arbres qui séparent l'aller du retour. C'est trop peu pour compter les heures qui passent dessus. A Grenoble, au moins, il y avait un immeuble avec 24 balcons et ça m'avait été bien utile. Ce retour est caillouteux aussi. Je n'ai pas réussi à comprendre pourquoi ni comment les coureurs avaient tracé deux sillons stabilisés seulement à partir de 5 m après le début de la caillasse. Bah, on arrive au bout. C'est calme. Dans cette zone, on n'entend pas les hauts parleurs de l'organisation. Chicane droite-gauche. Longer l'arrière du gymnase. Tourner à droite. La musique vous prend d'un coup. Le tour est enregistré juste AVANT qu'on passe le portique. A droite, le chrono tourne. A gauche, le panneau indique les passages : nom, position et distance parcourue par chacun.

Chantal me double
Déjà dans l'après-midi du samedi, Chantal Comte jouait à me doubler.

1,1 km le tour. Pourquoi pas ? Je ne tique que lorsque je découvre que pendant la première heure, j'ai déjà parcouru 10 km. Avec un tour marché tous les quatre tours, et les trois autres bien tranquilles, l'air de Lyon paraît m'avait transformée ! Je croise Christian deux fois par tour. En tête de course, on dit que la distance du tour est fausse. En queue de peloton, on dit pareil. Nous sommes partis en même temps que l'épreuve du 6h. Sur celle-ci, plusieurs seraient partis sur une base d'un marathon en 2h40. Pour un 6h, le niveau est relevé. Alors la longueur du parcours ? OK ou KO. Vérification et confirmation de l'organisation. Re-vérification. Il y avait une erreur ! Finalement, personne ne cours à 16 à l'heure sur ce 24h. Les organisateurs rectifient la distance pour un 882 m bien plus réaliste, le font assez rapidement et nous en informent très clairement. Bon boulot. Et la bonne nouvelle, c'est qu'un tour plus court, ça fatigue moins. Comme ça, on pourra en faire plus. Le temps de plaisanter avec les gars qu'on croise sur notre "tour négatif" et c'est reparti.

Cul-sec
Ravitos et apparentés poitevins. Va falloir me descendre tout ça cul sec, les petits gars ! (Christian Mauduit à gauche, Anthony Garron à droite)

Heureusement que je suis de bonne humeur, parce que les jambes par contre, c'est pas vraiment ça. J'ai des courbatures dès le début. J'ai les pieds tout mous de mes patassages de la veille. Le corps, lui, je ne le sens pas très d'accord pour cette course. Le début me semble affreusement long. J'attends que les coureurs du 6h finissent leur course. Ils m'embêtent pas, n'est-ce pas. Mais ça signifierait le quart de la mienne, bref, que ça avance. Il fait beau, on rigole bien entre nous. Mais c'est long. Enfin, le présentateur annonce qu'il y aura deux coups de pistolet. Le premier une minute avant la fin des 6h et le second à la fin elle-même. Puis je n'entends plus rien. Je suis dans l'allée caillouteuse de la voie ferrée. Puis j'entends à nouveau le présentateur. Puis le pistolet. Les deux coups. On voit des coureurs s'arrêter. Le coup n'est pas bien fort. Comment ont-ils fait, ceux qui étaient dans l'allée des cailloux ?

Le deuxième quart peut commencer. On entend, au gré des portions de tours, la remise des récompenses du 6h. A ce moment, je me dis "Plus que trois quarts". Quand on fait se genre d'épreuve il faut savoir être de mauvaise foi avec soi-même. Ça marche. Je finis par me sentir bien sur la piste. La vie est belle. J'avance. Et j'ai le bide retourné à avancer comme ça. La chaleur, un peu de fatigue, plus rien ne passe. Je fais un tour marché avec un gars dont le ventre n'aime pas la chaleur non plus. Lui, il a fait trois fois le Norseman Xtreme Triathlon, un ironman en Norvège connu pour ne pas être des plus faciles : on nage dans un fjord, on commence le vélo par une côte de 1300 m de dénivelée et la course à pied est l'ascension d'un sommet local. Mais au moins là-bas, même au mois d'août on a des chances de faire une course au frais. Voilà, c'est un truc sympa sur 24h. Les gens avec qui on cause, ils ont fait plein de trucs rigolos, souvent. Tiens en passant : il y a même des sympatisants du Vénéré Bitard (__L.S.T.__).

Claire Deret
Claire Deret termine la course accompagnée. On sent encore la fraicheur du petit matin. Elle terminera première féminine avec 158,5 km au compteur.

Bon, j'en étais resté à mon ventre. Finalement, une petite purge et ça (re)part. Ce coup-ci, je pars enfin. Bon, je commence à avoir des heures dans les pattes mais là ça y est, je sens que je commence la course. La nuit va arriver. Les concurrents du 12h vont se pointer. On commence à en voir au stand. Ça fait plaisir tout ça. Riche idée que d'avoir situé ainsi le 6h et le 12h par rapport au 24h. Les changements dans le pelotons rythment l'épreuve. Nous sommes partis avec l'épreuve de 6h, nous terminerons avec celle de 12h.

Parmi les concurrents nocturnes, il y a Lapinou. Je suis toute contente. Elle avait participé au French Ultra Festival au Luc-en-Provence. Inscrite sur le 100 miles, en boucle, en un temps limité à 30h, la pression du chrono avait été très rude. Mais elle était si chaleureuse que nous chez les Mauduites, on n'avait rien pu faire d'autre que de l'encourager pour la pousser au bout d'elle même jusqu'à la victoire qu'elle avait arraché de haute lutte. Nous parlerons dans la soirée de cette pression du temps limite. Ceux qui connaissent savent combien c'est éprouvant.

Jeannick Lafont
Jeannick est la doyenne des féminines ce jour-ci. C'est un fou qui repeint son plafond... ou 47 fous qui tournent en rond ?

Plus la nuit avance, plus il fait froid. J'ai prévu le coup, j'ai mon anorak et des gants. Je les mettrai en temps voulu. Je repasse mon plan dans ma tête. Trois tours courus pour un tour marché jusqu'à minuit, puis un tour couru pour un tour marché. Je vise donc minuit pour me reposer relativement. Mais j'ai déjà perdu du temps. Je suis partie trop lentement parce que les jambes n'étaient pas vraiment là. J'ai fait pas mal de pauses toilettes. J'ai du mal à bien compter où j'en suis. En passant l'arche à chaque tour, je regarde le panneau d'affichage. Mais soit je lis le kilométrage, soit le classement. Rarement les deux. Et en général je me rends compte ensuite que j'ai oublié de regarder le chrono. Il me faut donc trois tours pour lire les trois infos. Pas vraiment du temps réel synchronisé. Le classement, d'ailleurs, reste bloqué autour de 38-39. Je ne m'en inquiète pas. Si je n'accélère pas, les autres eux ralentiront. J'ai dépassé le kilomètre 74 et ça déjà c'est une bonne chose. Au 100 km de Sologne, j'avais abandonné au 74. Alors, SI, je sais courir plus de 74 km. La question maintenant est de savoir si j'aurais pu le finir, ce 100 bornes. Un truc qui avait été dur (attention, retour d'un sujet déjà traité) c'est la pression du temps limite. Je passerai donc les heures suivantes à chercher à voir combien je peux faire sur un 100 km si mal démarré. Je croise Christian souvent. "Tu te souviens du temps limite en Sologne ? 15h ou 15h30 ?" Je réussis à boucler mon 100 km en 15h15 ici, toute contente. Mais Christian pense que là-bas en Sologne, il fallait faire moins de 15h. Qu'à cela ne tienne, je me sens ragaillardie. J'ai un peu vaincu la malédiction. Et je m'étais donné une heure de rab' au rythme de trois tours courus pour un tour marché. Je me donne enfin le droit de marcher deux tours de suite. Le froid tombe, la fatigue. J'hésite à faire une petite pause. Puis finalement, j'accroche Lucie, qui est sur son premier 24h. Elle vise les 100 km, avant d'aller dormir. Ce serait trop bête de prendre une pause maintenant. Je fais avec elle les quelques tours qui lui manquent avant d'arriver à sa distance objectif. Je tente de la convaincre de revenir avaler du kilomètre bonus après sa pause nocturne. Je serai toute contente de la revoir en effet au matin. Pas très fringante, mais bon, elle avalera ses 10 km de plus et plus de kilomètres, c'est plus de bonheur.

Stéphanie
Stéphanie, alias Lapinou, court sur le 12h. La cape de Batman deviendra supersonique vers la fin de la nuit. Et alors, plus rien ne l'arrête !

Mais quand Lucie part dormir, je ne peux plus résister. Je prends une pause de 5 min au chaud. A partir de là, j'en prendrai plusieurs. Les doigts s'engourdissent. Je n'arrive plus à courir. Je superpose les couches mais comme je n'ai pas le courage de changer le dossard de maillot, je n'ose pas fermer mon blouson, de peur que ça bippe mal au portique. Les main dans mes gants dans mes poches, je gèle. Pour l'an prochain :

  • Accrocher dès le début mon deuxième dossard à mon vêtement le plus chaud.
  • Prendre des grosses moufles de ski et pas seulement des gants de laine.

Je sais que le matin arrivera à 6h45. D'ici là, il faut avancer. Je gagne des places. Et là, je ne sais plus comment exactement, je comprends que je suis troisième féminine ! Le truc jamais arrivé ! Bien sûr la quatrième, Chantal, est dans le même tour que moi. Je n'ai pas une avance terrible. Mais je me sens compétitrice tout à coup. Ce n'est plus uniquement la course avec moi-même. Je suis avec les autres filles et on joue au chat. Elle est sympa, Chantal. Ça m'émoustille encore plus. Je suis vannée, j'ai froid. Mais il y a peut-être un truc à tenter. Je n'en peux plus. 3 min d'arrêt. Mais qui vois-je entrer dans le gymnase pour se reposer ? Chantal. Je repars en piste et oh, chose miraculeuse, je prends un tour d'avance sur elle. Lentement, péniblement, mais c'est toujours 882 m. Chantal revient sur le terrain. Je suis gelée. Elle est plus reposée. Elle a de la bouteille (elle a 100 marathons dans les jambes. Je vous ai dit qu'on rencontrait plein de gens qui avaient fait des trucs originaux sur un 24h ?) Elle prend les choses en main et me repique mon tour. Le jour arrive et je vois Chantal s'éloigner. J'aurais eu ce petit plaisir de lui avoir piqué les fesses en fin de nuit.

Valérie Mauduit
Et là c'est moi qui cours. Tout simplement. Elle est pas belle, la vie ?

Avec le matin arrive ma lassitude des cailloux. Ils ne rentrent pas dans mes chaussures et c'est un bien heureux hasard. J'ai un pantalon large, qui recouvre ma cheville presque aussi bien qu'une guêtre. Mais les cailloux roulent, s'enfoncent suivant les portions de terrain. Je ne suis pas fana de trail. Ni même de trail urbain en banlieue chimique de Lyon. J'en viendrais presque à compter les tours. D'ailleurs je les compte, en portions de trois tours courus pour un tour marché. Si je fais quatre fois ça, je dépasse ma marque de 2012. C'est reparti pour courir. Comme je n'ai jamais regardé mon temps au tour depuis le début de la course, je ne sais pas si l'objectif est atteignable. Mais je sens que oui, c'est faisable. Un lot de quatre tours passés. J'ai oublié de regarder combien de temps il m'avait pris. Douze tours à faire. Je n'y crois plus beaucoup. Quand je marche la douleur remonte le long des jambes. Je me répète "Douze", "Douze", "Allez Valérie, douze", "Encore douze". Un tour monomaniaque. J'en pleure même. Mais j'arrive au onze dans mon compte à rebours. Je repars en courant. J'y crois à nouveau. Dix, neuf. Non, finalement, plus de tours marchés. Je ne sais pas si ça passerait. Le chrono ne m'attendra pas si je n'ai pas bouclé mes 142 km. Je me fais doubler dans les zones stables, je double dans les cailloux. Quatre, trois, deux. Je cours et Jacques me double en marchant. Il me reste une demi-heure pour un tour. En courant, j'ai enfin regardé, je mets 8 min par tour. Ça ne casse pas des briques, mais je peux marcher un tour. D'ailleurs, je vais plus vite ainsi. J'ai pas mal salué, encouragé les autres concurrents pendant 23h30. Ce tour-ci, je répète en boucle "Allez", "Allez Valérie", "Vas-y ma fille". On n'est jamais si bien encouragé que par soi-même. A 9h45, le panneau d'affichage m'indique 142,002. J'ai réussi. Je fonds en larme et un organisateur me dit : "Tu ne vas quand même pas t'arrêter là !" Bien sûr que non ! Il m'accompagne sur 100 m. A vrai dire, si, je comptais m'arrêter. Merci à lui de m'avoir un peu poussé. Je pense ne pas réussir à arriver dans l'allée de l'enfer une fois de plus mais je la passe. Le tours suivant s'arrêtera sûrement avant la fameuse allée. Non, c'est tout au bout des cailloux que je n'entendrai pas le coup de pistolet (on n'entend pas l'organisation dans ce coin reculé du parcours) mais que je saurai, avec les autres, que la course est finie. Et tout près de Christian, en bonus. Ça me picote à l'avant de la jambe gauche. Je pose mon dossard, rentre au gymnase. Ensuite, je n'arriverai plus à lever le pied gauche de la journée. Le releveur, OK, je sais où c'est maintenant.

J'ai fait 143,5 km alors que je n'étais pas en forme, grâce à une course beaucoup mieux gérée que ma première. Je sens que j'ai des progrès à faire, qu'il y a des distances à aller chercher. Chaque kilomètre de plus a sa signification. Je suis heureuse.

Vous en voulez encore ? Du différent ? D'autres coureurs ont écrit un compte-rendu de la course :

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Copyright © 2014 Valérie Mauduit. Document placé sous licence GNU FDL.
Mis à jour le mercredi 03 septembre 2014.