Jeudi 9 mai - Mercredi 15 mai 2019
Les 6 jours de Hongrie au bord du Lac Balaton sont devenus, depuis une dizaine d'année, un rendez-vous important pour les coureurs de 6 jours. On y trouve habituellement une bonne partie du gratin de la discipline, et il paraît que le circuit est très roulant, propice à la performance.
Je prépare un double-déca ironman donc j'ai besoin de compétitions pour me chauffer un peu, et donc c'est idéal. Je pourrai courir plein de kilomètres, il y aura toute la logistique nécessaire, des copains, et puis des lièvres pour faire la course. Parfait.
Ne comprenant absolument, mais alors absolument rien à leur site web cryptique en Hongrois, j'ai décidé de louer une voiture pour aller de Budapest au départ, ce qui me permettra, au retour, d'aller me baigner dans une des innombrables piscine à eau chaude naturelle, ce sera je pense un très bon moyen de décompresser.
Mais bon pour l'instant on s'installe dans notre bungalow, on est 3. Moi, Marc, et un belge fort sympathique. J'ai regardé la liste des partants et il y a des grosses pointures, mais celui qui me paraît le plus susceptible de gagner c'est Tiziano Marchesi que j'avais rencontré aux 48h de Royan en 2017 et qui, hum, comment dire, avance bien. Il y a aussi Dan Lawson, l'anglais, qui est un peu nouveau sur la "distance 6 jours", mais en dehors de ça a un palmarès de dingue, ce n'est clairement pas un perdreau de l'année, il va falloir compter sur lui. Et puis Sten Orsvärn, un suédois, qui a de très bonnes références, en particulier sur 48h. Et il y en a encore d'autres, par exemple Johan van der Merwe, que j'avais rencontré en Afrique du Sud en 2015 . Et puis sûrement d'autres que je n'ai pas repérés, il y a toujours de nouveaux talents, c'est ça qui est chouette.
Moi de toutes façons je viens surtout pour me préparer pour mon triathlon du mois d'octobre, donc je vais profiter de la logistique, des copains, et de tous ces lièvres en puissance qui me serviront de motivation pour empiler un maximum de kilomètres. Si en plus je peux faire une place, c'est bonus, mais ce n'est pas ce que je suis venu chercher. Si c'était le cas je n'aurais pas fait un brevet 400 en vélo 4 jours avant. Dans tous les cas, c'est certain je vais mouiller le maillot !
Et pour mouiller le maillot, cette année, c'est simple, même pas besoin de forcer. Car autant, en général, la Hongrie au mois de mai, c'est les premières chaleurs, et les coureurs se plaignent de s'être fait tabasser la gueule à coup de 30 degrés, autant cette année, on a eu, dans 'ordre : de la flotte, de la flotte, de la flotte. Magique.
Je force un peu le trait, car certains jours, la flotte a été remplacée par un vent à décorner les boeufs. J'en profite pour revenir sur cette belle expression de la langue française: "un vent à décorner les boeufs". En effet moi je croyais que ça voulait dire qu'ils faisait un tel vent que les cornes des vaches s'envolaient. Mais apparemment, la raison serait plutôt que pour une certaine raison, on voulait enlever les cornes des boeufs. Et si tu le fais en plein soleil quand c'est pétole, après les mouches viennent se coller dans les plaies, et ton boeuf il meurt. Donc vaut mieux le faire un jour où ça souffle, comme ça pas de mouches et ça reste propre, ça sèche et c'est super hygiénique. Je ne sais pas si c'est une légende urbaine, pardon, rurale, mais l'histoire est rigolote. Mais je préfère quand même la version avec les cornes qui s'envolent. Elle est fausse mais plus sympa. Depuis quand se soucie-t-on de vérité ?
Ce qui me préoccupe pour l'instant, c'est mes pieds. J'ai ramé un peu avec une aponévrose rampante, j'ai le dessous des pieds douloureux depuis plusieurs semaines. Pour palier à cela j'ai mis des semelles dans mes chaussures de villes pour mieux amortir et diminuer le stress, ça a amélioré les choses, mais c'est loin d'être parfait. Et donc la sortie vélo du week-end quelques jours avant m'a bien ruiné les jambes, fort heureusement ce jeudi matin je suis "à peu près bien". J'ai eu mal aux cannes jusqu'à mardi, mercredi dans l'avion ça a commencé à diminuer, et là c'est bon, je suis presque neuf. Curieusement, ces douleurs sous les pieds ne m'embêteront jamais pendant la course. Elles ont disparu. Et n'ont pas reparu après. Intéressant.
Enfin bref j'ai pris, comme à mon habitude, un départ hyper prudent. Devant, les kadors mènent la danse. Le sud africain sera le premier à exploser en plein vol, au bout d'un jour et demi environ. Les autres ont l'air sérieux. L'anglais et l'italien ne sont pas là pour causer tricot.
Assez rapidement je me concentre sur ma course et m'occupe finalement assez peu des autres. Je rigole beaucoup avec les français et les françaises. Petit moment très sympathique où j'explique à Pascale et Béa que oui, j'écoute du rock Mongol mais aussi et surtout des chansons inouïes et improbables comme Pour l'amour d'un dauphin de Daphnièle. Je pourrais vous en parler des heures, j'adore ces musiques décalées, et pas qu'au second degré. J'ai vraiment une sympathie folle pour ces personnes qui osent, finalement, chanter librement, partager leurs créations. Il y en a d'autres, parmi les "très connus" (tout est relatif...) dans le milieu, on citera Michel Farinet ou encore Francis Sarlette qui, dans des styles différents, font ce qu'ils ont à faire et s'en foutent un petit peu franchement beaucoup du regard des autres. Et c'est rafraîchissant. Croyez-le ou pas, l'écoute de ce genre de musique légère et sans prétention me met de bonne humeur, et de bonne humeur, j'avance plus vite, et plus loin.
J'ai un souvenir très net, pendant cette course, d'avoir perdu un temps infini au réveil. Je me revois, regardant mon lit, comme un con, pendant 5 à 10 minutes. Éveillé, les yeux ouverts, je suis incapable d'agir. C'est là qu'un accompagnateur peut faire la différence. N'importe lequel de mes assistant(e)s habituel m'aurait botté le cul et je serais parti bien plus vite. Mais là , au fil des jours, se réveiller devient incroyablement dur. À noter que je ne suis pas le seul à rencontrer des difficultés, d'autres perdront carrément des heures. Je m'en tire à bon compte, avec quelques kilomètres perdus chaque jour, mais pas davantage. 3 kilomètres par jour c'est à la fois énorme et c'est aussi très peu. Tout est question de perspective.
Il y a eu aussi un soir mémorable, où j'ai pas mal "fait la course" pris en sandwich avec le suédois Sten Orsvärn devant moi et Fernando Soriano Rubio derrière. Je me suis énormément amusé. C'était une véritable ambiance de compétition, chacun suivait les évolutions de l'autre, au final on avançait bien, incapables de menacer les deux premiers au classement général, mais tout de même, bon rythme. J'avais envie de dire à Fernando "non mais tu devrais baisser le pied un petit peu peut-être car là , quand même, avec Sten, on va vite..." et puis évidemment, je n'ai rien dit. Il était 5ème, j'étais 4ème, pas vraiment en position de lui dire de ralentir. N'empêche qu'il a explosé au milieu de la nuit, et je n'avais donc pas totalement tord. Il a essayé, et il a eu raison de le faire je pense.
La météo peu favorable mouille tout, absolument tout. Certains concurrents m'ont confié avoir eu tous leurs vêtements trempés, sans même avoir besoin de les porter. Juste, à rester dans le bungalow, entassés dans le sac, ils ont fini complètement humides. Certains bungalows étaient chauffés, d'autre pas. À un moment mes compagnons de bungalow me disent que ma chambre étant chauffée, ce serait bien si j'ouvrais ma porte, comme ça tout le monde profiterait du chauffage. Moi, pas contrariant, je laisse ma porte ouverte. Mais il ne fait pas plus chaud dans le bungalow. C'est juste que comme elle était un peu à part, elle prenait moins le froid du dehors, mais clairement, pas chauffée. J'ai eu la chance de pouvoir compter sur mon duvet très chaud (jusqu'à -10 degrés d'après le fabriquant) et que j'ai testé sur l'Appalachian trail en 2018.
À un moment, Didier, très sympa, me propose de faire sécher mes habits car lui, il a vraiment du chauffage. Je commence par refuser puis accepte. Au moment de lui passer mon "débardeur chaud" (ahem) il est surpris car c'est une véritable serpillière, totalement imbibé de flotte et de transpiration, il pèse son poids. Un jour j'enrichirai ma garde robe avec des vrais vêtements chauds et résistants à l'humidité. Par moment, je donne dans l'amateurisme.
J'ai aussi fait une expérience intéressante sur cette course, j'ai testé pour vous le massage. Ça va paraître idiot mais je ne vais jamais sur les tables des masseurs, je n'aime pas trop ça a priori, et mon calcul a toujours été de dire "10 minutes de perdues chez le masseur, c'est 10 minutes de perdues". Mais pour le coup, sachant que j'ai pris le départ un peu usé par mes sorties vélos, que finalement je n'ai pas de véritable objectif ici, et qu'on ne vit qu'une fois, je me dis que s'il y a un 6 jours où je dois essayer, c'est celui-ci. Après tout, des coureurs bien plus rapides que moi s'y arrêtent parfois, alors pourquoi pas.
Verdict : c'est pas si désagréable, le gars qui fait ça là -bas connaît, je pense, son affaire. Donc on repart un peu mieux qu'on est parti. Ce qui est bien. Quand à rentabiliser l'arrêt, j'ai un doute. À part en cas de très grosse démotivation ou blessure, je ne vois pas comment on peut rattraper, sur le terrain, tout le temps perdu à rester immobile à se faire tripoter les jambes. Maintenant je sais, il ne faut pas que je m'y arrête, sauf cas exceptionnel.
Et puis la course avance, et le Suédois reste bien devant moi. Lors de la dernière nuit, je décide de tenter le tout pour le tout, et j'attaque. J'essaye de ne rien lâcher, je cours tant que je peux, mais il se défend le bougre. Il résiste. J'insiste. Et puis finalement, je crois que ça a été vers 3h ou 4h du matin, la dernière nuit, j'ai fini par exploser, complètement. J'ai vraiment pété une durite, je suis sonné au milieu du circuit, Christian vaincu par KO. Je sens que je marche très lentement, il faut reprendre des forces. J'hésite à aller dans mon bungalow mais il fait froid, et j'ai peur de me réveiller seul là -dedans, et manquer un peu de "pep's" si vous voyez ce que je veux dire. Donc je m'arrête chez le masseur, car sous son barnum, c'est chauffé. Je me fais faire un petit massage de principe et surtout je roupille un peu, je suis cramé.
Les copains français me ceuillent dans la matinée, apparemment ça se voit un peu que je suis fatigué. Je crois que j'aurai à peu près tout tenté pour gratter la 3ème place, mais là , c'est pas passé. Ça arrive, je me referai une santé au Mexique lors du double-déca.
La dernière journée de course se passe, en ce qui me concerne, essentiellement à la marche. Le suédois est trop loin devant pour que je puisse le gratter, maintenant. Et derrière il n'y a aucune menace. J'ai un 100 km dans quelques jours donc je vais éviter la blessure stupide. Je vais pouvoir terminer avec un peu plus de 800 au compteur, pour la 6ème fois, j'aurais tord de bouder mon plaisir.
Avec Didier et Denis, on a même réussi à ravir le prix par équipe/pays et donc la France se classe première, car à nous trois on a davantage de kilomètres que les autres pays.
Surtout, ce que je retiendrai de ce 6 jours c'est la magnifique victoire de l'anglais Dan Lawson. L'italien Tiziano Marchesi, qui menait la course depuis le début et sur lequel j'aurais parié les yeux fermés, a effectivement eu un problème de releveur l'avant-dernier jour. Juste à la fin. Et ça a suffit à l'anglais pour revenir. Lequel anglais avait eu le tendon d'achille tout rouge et gonflé en début de course, mais a su gérer. C'est compliqué le 6 jours. Il ne suffit pas d'être le meilleur physiquement. Il y a aussi deux ou trois choix tactiques qui font, sur la fin, une énorme différence.
Je garde en tous cas un très bon souvenir de cette course en Hongrie. Les rageux diront que c'était mieux avant, mais j'ai passé l'âge d'écouter les râleurs, c'est mauvais pour ma tension.
Vivement le prochain 6 jours !