CR Double Déca

Vous pensez qu'un Ironman, c'est difficile ? Vous avez raison, c'est dur. Mais que penser d'un truc qui serait 20 fois plus long ? Oui, on parle de 76 km de natation, 3600 bornes de vélo, et 844 à pied. J'ai testé pour vous, et je vous raconte.

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Les joyeux cinglés
Photo prise lors de la cérémonie d'ouverture. Ne cherchez pas, ce sont tous des grands malades.

Le problème du double-déca, c'est que quand tu commences à écrire le compte-rendu, t'as déjà oublié la moitié de la course, sinon les trois quarts, tellement c'est long. Fort heureusement, autant je suis incapable de me rappeler où j'ai mis mes clés trois minutes avant, autant pour les courses, j'ai plutôt bonne mémoire.

Camp de base
Marc installe le campement.

Au départ, je pensais juste m'inscrire à un "déca" tout simple, comme en 2010 , le tout dans l'optique de réviser mes gammes en vue de la RAAM 2020. Mais au moment de remplir le formulaire d'inscription, voilà que je m'aperçois qu'il y a aussi, cette année, un double déca. Soit 76 km de natation, 3600 km de vélo, 844 km à pied. Temps limite 4 semaines. C'est tentant. Je vérifie que niveau congés ça passe, et ça passe. Tout juste, mais ça tient. Niveau budget, c'est serré, mais ça rentre aussi. Niveau famille, diable, par une coïncidence heureuse et fortuite les deux dernières semaines de la course sont exactement les deux semaines de vacances scolaires de la Toussaint. En d'autres termes on peut imaginer clore l'aventure par des vacances familiales au Mexique. OK, l'affaire est pliée, je m'inscris. Objectif 21 jours. Sur le papier, ça tient. 2 jours de natation, 9 jours de vélo, 8 jours à pied, et 2 jours de mou car on n'est jamais sûr de rien.

Breuvage local
Le secret de ma forme ? Le pot belge ! Pardon, mexicain !

L'assistance est critique si on veut performer un minimum sur ce genre de courses. Avoir un assistant pendant un mois, c'est compliqué. Donc j'ai opté pour la tactique dite "de la rotation". Marc, mon crew chief pour la RAAM 2018, fera la natation et le début du vélo. Paulo, mon père, prendra le relai pour le gros du vélo, et le début de la course à pied. C'est la tranche la plus grosse, 11 jours. Valérie, mon épouse, et mes filles Adèle, Lise et Garance, seront là pour la fin de la course à pied.

QG
C'est là que tout se passe, le quartier général, là que les tours sont comptés.

Donc c'est un triathlon, et ça commence par la natation. J'avais bien repéré, grâce aux photos envoyées par l'organisateur, Beto Villa, que la piscine était en extérieur. Protégée par un toit, mais fondamentalement, dehors. En octobre, à Léon, au Mexique, il fait plutôt beau. La météo annonce 27 degrés le jour, 12 degrés la nuit, et dans l'ensemble, ciel bleu. Il a plu un peu l'avant veille, mais rien de très alarmant. Je me dis que c'est une chance que la piscine soit dehors, ça évitera l'intoxication au chlore, au moins, ce sera bien ventilé.

Vapeurs
Ambiance générale la nuit, ça fume.

Lorsque nous arrivons avec Marc sur les lieux, il fait nuit. Le départ est donné à 7h00 mais le jour se lève seulement à 7h30. 3 nageurs et 5 nageuses sont déjà dans l'eau depuis la veille, 22h00. Il y a en effet deux vagues de départ, les "lents" le vendredi soir et les "rapides" le samedi matin. Je ne suis pas tout à fait certain d'être un nageur rapide, mais je préfère partir le matin, niveau sommeil, c'est plus simple. 5 minutes avant le gong, je plonge dans l'eau. Ferenc, vainqueur de l'édition précédente en 2010, me donne un ultime conseil avec des signes que j'interprète ainsi : "vas-y cool au début, pars tranquille, y'a de la route". Je suis bien d'accord.

Piscine presque couverte
La piscine est semi-couverte, avec juste un toit pour se protéger de la pluie.

Premier contact avec la piscine et, phénomène étrange, je ne vois pas le fond. Au moins sur les premiers mètres. Est-ce l'obscurité ? Non, l'eau est juste super trouble... Sur la partie moins profonde, je peux commencer à voir les carreaux et observer les dessins formés par les carreaux absents, qui ont été décollés par l'usure du temps. Ça m'occupe. Mais sans rire, c'est stressant de ne voir le bord que quelques mètres avant de l'atteindre. Surtout dans l'obscurité. À plusieurs reprises je manque de percuter le bord et oublier de faire demi-tour. Heureusement, c'est une 50 mètres.

À poil !
La première journée, j'ai tourné sans combi pour limiter les frottements.

Le jour se lève et la température monte. Je prends le parti d'enlever ma combinaison et nage en simple maillot de bain. Plusieurs concurrents me demanderont pourquoi. Il y a deux raisons. Un, j'avais trop chaud avec la combinaison, et comme ça, sur une première journée, j'étais bien en maillot. Deux, pas de combinaison signifie : pas de frottements. Or, les frottements, c'est la plaie, en natation longue distance. En éliminant la combinaison, j'élimine plein de problèmes. La contrepartie c'est que je risque de prendre froid si je tarde trop à la renfiler et surtout, je perds en vitesse. Les relativement mauvais nageurs comme moi flottent mieux et ont une meilleure glisse avec la combinaison. Je nage environ 9 heures "à poil" et je pense que j'ai du perdre environ une heure au chrono. Mais je ne le regrette pas. Quand je renfile la combinaison en soirée, je suis bien au chaud, et je n'ai aucune trace de frottement ni dans le cou, ni ailleurs, ni nulle part.

Ravitaillement
Manger, c'est important.

On attaque la nuit. J'étais très inquiet sur cette première nuit. J'avais souvenir, au déca, d'avoir eu très mal aux bras passé le 25ème kilomètre. Et je ne suis pas un super nageur, quelques semaines avant, je me suis fait sortir hors délais comme un malpropre à un 10km dans Paris . Mais là, rien. Je ne vais pas hyper vite, mais la mécanique tient, et niveau bras, rien à signaler. Oh bien sûr, je fatigue, mais je ne subis pas cette douleur intense au moment de ramener le bras vers l'avant. C'est une bonne nouvelle. En revanche, il commence à faire frais. Je n'avais pas envisagé les choses sous cet angle, mais 12 ou 13 degrés, c'est pas hyper chaud, pour nager. OK, l'eau est à 28, mais on sent tout de même la température de l'air extérieur et pour être honnête, ça caille. Et il n'y a nulle part où se réchauffer. Je pense qu'il faut dormir cette première nuit, ce serait passé "en mode l'arrache" mais c'est plus raisonnable de couper un peu. Je m'offre donc une heure (ou était-ce 90 minutes ?) de sommeil. Marc, qui veille sur moi comme une mère poule depuis le début, m'a préparé un petit lit douillet. On a attendu que les concurrents, qui avaient déserté la piscine, libèrent les matelas prévus par l'organisation. Des matelas confortables mais, évidemment, en plein air. Je suis bien content d'avoir emmené mon sur-sac en plus de mon duvet. Bien calé au chaud dans cette double couche, je dors à peu près bien, et surtout, au chaud, la tête dans mon bonnet. Ne jamais oublier son bonnet, pour dormir dans le froid, ça change tout. Le réveil est difficile. Enfiler la combinaison mouillée relève de la torture douce. Mais je n'ai pas le choix. Et mon raisonnement est le suivant : aucun scénario ne me permet de sortir de l'eau avant 36 heures donc tout ce que je ne nage pas cette nuit je devrai le nager... la nuit prochaine. Et ce sera encore pire. Autant bouffer un maximum de kilomètres de suite.

Ravitaillement++
J'ai dit que manger, c'est important. Et je le prouve.

Le dimanche matin, le soleil se lève et la piscine se réchauffe. Pas assez pour que je quitte la combinaison. Toutes ces heures passées dans l'eau, la fatigue, ont fini par avoir raison de mon arrogance, et je reste emmitoutfflé dans le néoprène. La piscine étant partiellement ouverte au public, et le départ du déca ayant été donné, les lignes d'eau sont réaménagées et nous nous retrouvons à 5 dans la ligne d'eau au lieu de 3. Ça bouchonne presque. D'autaut que Kristan Kristiansen nage vraiment vite. Par rapport à moi, c'est une fusée. Il avait prévu de sortir en 30h. Moi 40h. En le regardant nager, c'est légitime qu'il vise 30% de moins que moi, ça paraît hyper logique. Mais ce que je ne comprends pas trop, c'est qu'il semble souvent arrêté. Ça n'a pas de sens. De ce que j'ai compris, il a fait de cette course un gros objectif, peut-être même vise-t-il le record du monde, détenu par Vidmantas. Alors pourquoi glande-t-il ainsi entre deux sessions éclairs dans la piscine ? J'ai d'autres chats à fouetter, mais tout ceci me paraît étrange.

Calme
L'observateur attentif remarquera que l'eau est calme. À cette heure de la nuit, nous ne sommes pas si nombreux à nager.

Un autre problème commence à me tracasser. Le chlore. Depuis ce matin, passé 24h dans l'eau, je sens avec une acuité inhabituelle tous les contours des muqueuses dans ma bouche. Intérieur des joues, gencives, gorge, tout y passe. Je perçois le moindre centimètre carré exposé et devinez-quoi ? Ça pique ! Ça pique même sévère. Au niveau des yeux, je suis OK, j'ai des bonnes lunettes, et aussi un masque de natation pour alterner les surfaces adhérentes autour des yeux, et aussi bien les lunettes que le masque sont parfaitement étanches. Mais mon nez, ma bouche, baignent dans l'eau et le chlore, et je sens que quelque chose de pas tout à fait normal est en train de m'arriver. Je m'y attendais. J'avais vu, en 2010, les nageurs du double déca arriver sur le circuit vélo alors que je faisais le "simple" déca et tous avaient l'air attaqués par le chlore. Mais c'est une chose de le voir, c'en est un autre de le ressentir. La peau de ma main droite, aussi, par en lambeaux. À force de donner un ou deux coups de temps en temps dans les lignes d'eau, j'ai fini par ouvrir une demi douzaine de petites plaies qui se rappellent insidieusement à mon bon souvenir. Marc reçoit des messages par Internet. En France, quelqu'un se pose la question "et ils prennent encore plaisir à nager ?". Il répond qu'on est un petit peu au-delà de tout ça, et que la notion de plaisir est assez lointaine, maintenant (je n'ai pas les mots exacts, mais dans l'esprit, c'était ça).

Et ça continue...
Et c'est reparti pour un tour...

Et nous voici dimanche soir. Claire est sortie de l'eau, mais sachant qu'elle est partie à 22h00 la veille soit 9h avant moi, si je continue à nager au même rythme, je suis virtuellement premier. Mais où est donc passé Kristian ? J'apprendrai plus tard qu'il a jeté l'éponge, en prise à une méchante diarhée. Pas pratique ça, dans l'eau, la tourista. Sortir premier de l'eau, voilà qui est étrange et inédit pour moi. La nuit tombe. J'atteins le kilomètre 70. Il m'en reste 6. On pourrait se dire, c'est bientôt fini. Sauf que 6 bornes, c'est 3 heures. Je suis gelé. La température tombe. Je viens de m'apercevoir que ma combi est déchirée de partout, en particulier dans le dos, ce qui explique aussi pourquoi j'ai aussi froid lorsque la température extérieure tombe. Cette piscine est un traquenard, ma bouche est en feu, littéralement, et pour être franc, j'en ai vraiment ras la gueule, et suis impatient de sortir de là. Mon bras gauche commence à avoir du mal à revenir vers l'avant, musculairement aussi, je suis cuit. Pour lutter contre la sensation de froid, je m'imagine en train de courir en plein cagnard, ruisselant de sueur et luttant pour évacuer les calories. Et finalement, ça ne fonctionne pas si mal que ça. L'espace de quelques minutes, je goûte la fraîcheur de cette piscine dans la nuit, et mon hypothermie rampante. Mais le plaisir est fugace. La réalité reprend le dessus. Je suis frigorifié, mes gestes ralentissent, bon sang, mais quand est-ce que ce truc se termine ?

Manucure
L'année prochaine je change pour des nageoires.

Sur le principe, je m'en sors très bien. En un seul week-end, j'ai plus que doublé mon kilométrage annuel de natation. Depuis le premier janvier, je n'ai cumulé qu'environ 50 bornes de natation, avant de prendre le départ pour 76. Pourquoi si peu ? D'abord parce que je ne peux pas être partout, l'entraînement course à pied et l'entraînement vélo, combinés à un boulot plein temps, une famille, et une vie sociale que j'espère normale, me laissent peu de temps pour aller à la piscine. Ensuite, la plupart des problèmes, en natation sur de telles distances, ne relèvent pas d'un quelconque niveau ou style ou quoi que ce soit du genre. On parle d'avantage de froid, de lassitude, de chlore et autres soucis connexes. Ironiquement, Kristian, le meilleur nageur de tout le lot, et de loin, ne finira pas cette épreuve de natation, où il aurait raisonnablement pu espérer me coller dix bonnes heures. Inversement, Ferenc, qui nage comme une paire de tenailles, a été au bout. 60 heures, mais au bout. Au total, sur 12 partants, cette épreuve de natation écrémera le peloton de 2 membres, ne laissant que 10 partants à vélo. Niveau chrono, la natation, sur un ultra triathlon, c'est quasi négligeable, à part pour ceux qui tentent de battre des records. Mais niveau impact, c'est énorme, ça vous dézingue un participant comme de rien.

On en voit le bout
Rester positif. Il n'y a que ça qui marche.

Marc m'informe qu'il reste 300 mètres. Je n'ose y croire. Je fais deux aller-retour et annonce à mes camarades de ligne d'eau que c'est fini. Marc m'annonce qu'il reste 300 mètres. C'est une blague ? Si c'en est une, elle est de très mauvais goût. J'essaye de comprendre comment j'ai pu me tromper. J'ai entendu 300 au lieu de 500 ? Ou alors j'ai complètement rêvé 200 mètres ? Mais dans ce cas comment peut-il me dire deux fois la même distance ? Bon, je ne cherche pas à comprendre. 300 mètres. Le calvaire, sortez-moi de là, je suis glacé. Enfin, c'est la quille.

Natation finie.
En attendant la voiture qui me ramène à l'hôtel, je grapille quelques dizaines de minutes de sommeil.

Je sors enfin de cet enfer liquide, après 40 heures et une grosse vingtaine de minutes. Direction l'hôtel, en voiture, car la piscine est à 10 bornes du circuit. Nous mutualisons le taxi avec Norbert, qui vient d'en terminer avec les 38 km du déca. J'ai choisi de dormir à l'hôtel plutôt que dans ma tente sur le circuit, question de confort. J'ai envie de prendre une vraie douche, et veux un vrai sommeil rréparateur avant d'attaquer le vélo. Je ne sais plus si j'ai demandé à Marc de régler le réveil pour avoir 2h30 ou 3h30 de sommeil, mais on n'a pas trop traîné. Vers 3h30 du matin, on commande un taxi, qui nous amène, pour 70 pesos, à l'entrée du Parc. On économise 15 minutes de marche.

Selfie
Ma tronche après 76km de natation. J'ai connu des jours meilleurs.

Et donc, départ du vélo.

Sur le principe, j'avais prévu de faire, comme au déca 9 ans plus tôt, des "pauses casse-croûte" toutes les deux heures. On part donc là-dessus avec Marc. Le ravitaillement est très bien fourni. Marc fait un boulot de dingue, il prépare bien tout avant que j'arrive, et je ne perds pas de temps. On arrive même à descendre à 10 minutes la pause. C'est idéal. Mais assez rapidement je remonte à 15 minutes, impossible d'aller plus vite. Attention, 15 minutes, c'est le temps entre la descente du vélo et la remontée sur le vélo. Tout ce qui est entre les deux doit être décompté. Donc un passage aux toilettes, c'est facilement trois minutes, un café trop chaud pour être bu cul-sec, c'est deux minutes de perdues, etc. Et toute la subtilité de l'exercice consiste à faire comme si on prenait vraiment le temps, car c'est ainsi que la pause est, mentalement, efficace. Si on a l'impression de courir au ravitaillement, le repos, entre deux sessions pédalées, n'est pas effectif, et les pauses sont presque plus intenses et fatiguantes que le roulage lui-même.

À vélo
Autour du lac du parc Metropolitan de Léon. Zeu place to be.

En parlant de passages aux toilettes, ceux-ci se font fréquents pour moi, j'ai choppé une bonne vieille courante. Je ne sais pas trop quoi incriminer. D'aucun diront que c'est la limonade au resto d'avant course, à titre personnel j'accuserais plus spontanément l'eau de la piscine. Cette eau trouble, c'était pas le chlore. Le chlore est là pour corriger le problème. Certains accompagnateurs me diront qu'ils ont vu des responsables de la piscine balancer dans le bouillon de culture une poudre sortant d'un grand pot avec desssus dessiné un poisson crevé, flottant sur le dos à la surface. Je ne saurai jamais le fin mot de l'histoire, mais cette eau n'était pas nette. Et en attendant, j'ai la chiasse. Comme je suis parfois prévoyant, j'ai uniquement des cuissards sans bretelles. Le temps gagné lors des pauses logistiques est énorme. J'ai juste à baisser mon froc, pas besoin d'enlever toutes les couches du haut. C'est un détail, mais j'ai gagné des heures. En contrepartie, le bas de mon dos est parfois exposé au soleil en pleine journée, et je prends un petit coup de soleil "ligne" horizontal. C'est peu cher payé. Je demande à Marc de dire à Jean-Paul, qui prend l'avion mercredi, de ramener de l'ultra-levure. C'est ce que j'utilise pour reconstruire la flore intestinale, et la mienne, en ce moment, est manifestement décimée. Normalement j'en ai toujours en stock, mais là, exceptionnellement, je suis parti à sec. Il va falloir tenir trois jours avec les tripes un peu à l'envers.

Prise de tête
Je prends la pole position.

Ferenc est sorti de l'eau. Je le suis de près, car après l'abandon de Kristian, c'est le seul concurrent qui me paraît menaçant. Daniel le brésilien me semble franchenent y aller cool, de ce que j'ai vu dans la piscine. Idem pour Ronny l'allemand. Ils sont venus pour terminer, mais n'ont pas, de ce que j'observe, le couteau entre les dents. Ferenc, c'est une autre histoire. Il a gagné en 2010. M'est avis qu'il ne serait pas contre gagner en 2019. Et surtout, je le sais, ce type est une machine, un bulldozer, il a une gniaque hors catégorie, et ne lâchera jamais l'affaire, jamais, jamais, au grand jamais. Je sais aussi que c'est un très bon rouleur. Il a deux finish à la RAAM à son actif. Rien que ça. Mais pour l'instant, il est comme moi la veille. Totalement défoncé par la piscine, il arrive à peine à parler. Comme moi il a des aphtes plein la bouche. La plupart des concurrents ont été marqués par cette natation. Je vous passe les détails sur ceux et celles qui ont perdu des bouts de langue, de joue, c'était juste un carnage. Moi, je n'ai passé que 40 heures dans le bain donc je m'en tire avec une bouche ultra irritée qui se rappelera à mon bon souvenir pendant deux bonnes journées, des aphtes donc, qui mettront une petite semaine à disparaître, et un nez irrité qui se débouchera, lui aussi, au bout d'une petite semaine. Le plus remarquable en fait, c'est que j'ai réellement découvert tous les contours de ma bouche, des recoins auxquels je n'avais jamais pensé, mais qui deviennent omniprésents à la lumière d'une bonne intoxication au chlore.

La ligne droite
Vue typique de la ligne droite de la digue.

Le premier jour, j'ai à peine fait 400 bornes. 380 je crois. C'est mauvais. Il me faudrait faire au grand minimum 400. Idéalement, je visais 450. Pourquoi 450 ? Parce que sur la papier, au moins, ces kilomètres sont faciles. Très peu de dénivelé, aucun obstacle significatif hormis un raidillon et demi par tour de sept kilomètres, et une petite zone avec chicanes et trotinettes au niveau de l'entrée secondaire. En comparaison avec la RAAM, ce sont des kilomètres vacances, faciles, rien à voir avec les 45 degrés plombants du désert, les bandes d'arrêt d'urgence pourries agrémentées de vieux pneus et d'animaux crevés qui sont le "standard" des routes du coeur de l'Amérique. Donc 450 sur du "super facile" ça me semble l'équivalent de 400 en milieu hostile. Or, 400 en milieu hostile, c'est ce que j'ai fait, en moyenne, en 2018, et avec ce kilométrage, j'ai échoué. Techniquement parlant, si je veux avoir un espoir de finir la RAAM en 2020, il faut que je sois capable de démouler 450, de manière répétée, sur ce circuit "fastoche" de Leon. Or donc, premier jour à 380. OK, je peux sortir la liste d'excuses, la piscine gnagnagni, la tourista gnagnagna. Mais les excuses, ça ne fait pas franchir les barrières horaires. Tout au mieux, ça donne bonne conscience. Il reste que mon score est de 380. On fera mieux demain.

Zone à pique-nique
Sur la fin du parcours vélo, pas loin de la zone à pique-nique.

Le lendemain, je plafonne encore à moins de 400 bornes. Alors, les excuses du mardi, c'est quoi ? Crevaison ! J'en cumule 3, en une matinée. Une à l'avant, deux à l'arrière. À l'avant, j'ai percuté un cailloux et le choc a fait éclater la chambre. À l'arrière, c'est de la crevaison par petit cailloux, classique. Bonus pour moi, je me ballade avec tout le matos de réparation, en permanence. Chambre à air oplus outils. Donc chaque crevaison me coûte 10 à 15 minutes, mais pas plus. OK mon vélo est un poil plus lourd, mais ça paye d'être autonome, surtout sur un circuit plutôt long de 7 kilomètres. J'étais parti avec 4 chambres à air. J'en ai déjà consommé 3. Je demande, via Marc, à Paulo d'en ramener de France, il prend l'avion le lendemain. Par ailleurs, Beto, l'organisateur, nous en file 4, qu'on paiera plus tard. Il est bien, ce Beto, avec lui, tout s'arrange. Le suivi Internet de la course était minable, mais sur place, le gars, il gère, et bien. J'ai aussi carrément changé le pneu arrière, il n'est pas rincé mais les deux crevaisons successives laissent penser qu'il devient trop fin. Je crèverai une dernière fois le lendemain matin à l'avant, encore suite à un choc. Cette fois j'inspecte le pneu et il y avait bien un petit caillou coincé. Pas suffisamment enfoncé pour crever la chambre directement, mais suffisamment sournois pour éclater la chambre lors d'un choc.

Vers l'infini, et au-delà
À gauche, les deux voies pour les piétons. À droite, celles pour les cyclistes.

Les nuits sont compliquées. J'aimerais bien me coucher suffisamment tard pour avoir peu de route à faire le matin, de nuit, mais à chaque fois je craque en début de soirée, et vais au lit assez tôt. Je dors 3 heures chrono. Ce qui fait qu'entre le temps pour me bourrer le bide avant de me coucher - il faut absolument utiliser les heures de sommeil, passées immobiles, pour digérer - et le temps passé à émerger le matin, je reste arrêté 4 heures. En plus de ce sommeil nocturne, je case, soit au lever du jour, sois en début de soirée ou au plus chaud de l'après-midi, des micro-siestes allant de 15 à 50 minutes, en essayant de respecter un maximum de 1 heure par jour. Au total, tout mouillé, c'est 4 heures passées allongé, au repos, par jour, la plupart en train de dormir car j'ai la chance de trouver très vite le sommeil. Dans la vie "civile" je trouve facilement le sommeil, et là, étant en déficit permanent, c'est encore plus simple, je vous sers du ronflement en 3 minutes chrono. Marc fait un boulot du tonnerre, je me sens gêné car il se sacrifie et n'utilise même pas la tente la nuit, préférant dormir sur sa chaise, dehors.

Les chiottes
Les toilettes intermédiaires. Il y en avait plusieurs sur le parcours. Très appréciable. Et lavées régulièrement, avec ça.

Mercredi soir, Jean-Paul arrive. On ne va pas dormir à 3 dans la tente, et je ne vois pas Jean-Paul dormir sur une chaise avec Marc dehors. J'opte donc pour le luxe ultime, une nuit à l'hôtel. Il est à 1500 mètres du circuit, donc pas très loin, mais en course, on compte les mètres et les minutes. Beto nous avait dit qu'à n'importe quelle heure, on pourrait nous emmener à l'hôtel, et revenir à 7h du matin par la navette qui donne le départ du "un ironman par jour" (version 20X, 10X, 5X, 3X, 2X, c'est à la carte). Quand on lui dit qu'on souhaite rentrer à 3h30 il tique un peu. OK, n'importe quelle heure, mais 3h30 c'est quand même un peu n'importe quoi. Toutefois, un mexicain super sympa accepte de se réveiller exprès, rien que pour nous. Je vais donc dormir à l'hôtel sur le coup de 3h30, dors 3h d'un sommeil profond et réparateur, et le lendemain, c'est reparti sur le circuit.

Diététique
Alors on mange quoi sur un double-déca ? La réponse en photo. Le genre de petit plat que Marc, Jean-Paul, puis Valérie me concoctaient régulièrement. Tout était prêt à mon arrivée. Avec ça on tient 3 heures.

Marc passe donc le relai à Jean-Paul. Il était temps je crois, il a pris son rôle très à coeur, s'est investi à fond, mais pour faire court, en 5 jours, je l'ai plié. Et un accompagnateur cramé, un, à qui le tour ? Paulo donc, mon père, qui prend le rythme en cette journée de jeudi. J'ai enfin pu prendre une capsule d'ultra-levure la veille, et je jurerais que mon caca vire désormais du liquide au mou. Ce n'est pas très romantique, mais vous n'imaginerez jamais avec quelle attention j'ai pu observer mes selles pendant cette course. Le bide, c'est le nerf de la guerre. Encore plus que les muscles, ou le coeur, ou les poumons, ou quoi que ce soit d'autre. Si le système digestif tient, ça veut dire que la chaudière est en marche, et l'énergie afflue. Le reste coule de source, bien sûr il faut être motivé, bien sûr il faut éviter les blessures. Mais croyez-moi, un estomac en vrac, c'est un mental qui flanche quelques heures derrière, et tout le reste avec. S'il y a une partie du corps à protéger du froid, à préserver, à bichonner, c'est le ventre. Le reste, c'est du détail.

Alfonse
Ma monture m'attend, sagement garée. Il s'appelle Alfonse. Le vélo qui fonce. L'autre s'appelle Albert, comme le 5ème mousquetaire. Oui, je donne des noms à mes vélos.

La mission du jour de Jean-Paul et Marc, c'est de brasser une table, anticipant la course à pied. En effet, il y en aura besoin, c'est certain, autant c'est acceptable, en vélo, de s'arrêter de temps en temps pour un "vrai repas", autant en course à pied, il faut pouvoir picorer tour par tour, mouiller son chapeau, boire un verre d'eau, etc. Finalement Beto règle la question et nous amène une table, ce qui évite d'aller l'acheter à Wallmart ou ailleurs. Il est fort, ce Beto. Enfin, la nuit va tomber, et je dis aurevoir à Marc, qui s'en va se reposer à Mexico, et faire un peu de tourisme "normal". Il nous confiera que sa grasse matinée du lendemain était la bienvenue et aurait même pu être prolongée.

La nuit
Le parcours, de nuit. Il faut en enquiller, du kilomètre nocturne, il n'y a pas le choix.

Paulo prend donc le relai. Nous avons changé de rythme, je ne m'arrête plus toutes les deux heures, mais toutes les trois heures. Centré sur 14h00 car 14h00 c'est l'heure des pizzas, programmées pour 13h00, mais comme elles arrivent avec un brin de retard, 14h00 c'est parfait. Ça donne donc 14h00, 17h00, 20h00, 23h00, 2h du matin si j'arrive à tenir jusque là (rare), ensuite 5h, 8h, 11h, et à nouveau 14h00. Ça rythme mes journées. Je n'arrive pas à tomber à 10 minutes la pause, mais 15 minutes, voire même 20 minutes, toutes les 3h, c'est acceptable. De fait, je suis un de ceux qui s'arrête le moins souvent. Non, plus précisément, je suis, de loin, celui qui s'arrête le moins. Ferenc roule comme un avion mais il fait parfois de longues pauses, et au final, l'avance de 20h que j'avais en sortant de la piscine n'est pas en train de fondre. Au cointraire, je consolide. Lentement, mais sûrement, je creuse l'écart. Je suis repassé au-dessus de 400 bornes par jour. Clairement pas 450 comme je l'aurais rêvé. Mais il faut être réaliste, en ce mois d'Octobre, à Leon, je n'ai pas le niveau pour sortir 450 par jour. Pas avec 3h de sommeil. Peut-être que je pourrais gratter là-dessus. Mais il me reste encore plus de 10 jours de course, dans le meilleur des cas. Pas le moment de se griller. Dans la mesure où je me retrouve régulièrement, de jour comme de nuit, en proie au sommeil sur le vélo, et manque quelques jolies sorties de circuit avant de m'affaler pour une micro-sieste de 10 minutes, j'estime que je tire assez sur la corde. Et puis à un moment, il faut faire un choix, et assumer. J'ai opté pour 3h, je m'y tiens. Après tout, je suis premier, et en train de creuser l'écart avec le second, donc il n'y a pas de raison de bouleverser la recette.

À quoi tu penses ?
La pause réussie, c'est un équilibre entre efficacité et détente. Pas simple.

Avec Jean-Paul, nous avons réaménagé la tente. J'avais emmené une petite tente individuelle, une place, au cas où. Il se trouve qu'entre mes sacs de fringues et tout le bordel inhérent à ce genre de course, dormir à deux dans la tente de l'orga aurait été limite. Donc Jean-Paul a monté la petite tente, et c'est là que je dors. Il y a là juste un matelas de yoga acheté au supermarché du coin, mon duvet, mon téléphone pour servir de réveil, une frontale, de quoi m'habiller pour sortir pisser la nuit, et c'est tout. Tout le matos, les habits, chaussures et compagnie sont dans la grande tente, fournie par l'organisation, où Jean-Paul dort. C'est assez pratique, je peux ainsi lui déléguer toute la logistique. Moi, comme un nabab, je commande la veille "pour demain, un cuissard, un maillot comme-ci, des chaussettes conme-ça, et tu me réveilles à 3h35". Et hop, je peux me caler dans la tente et dormir de suite. Ça a l'air d'un détail, mais on gagne des heures grâce à ça. En contrepartie, quand moi je dors 3h, Jean-Paul ne dors que 2h30 car il se couche plus tard et se réveille plus tôt. Assez rapidement, il faudra que je lui impose de dormir à certains moments de la journée où j'estime pouvoir m'en sortir seul pendant deux ou trois heures. Car sinon, le rythme est intenable. En plus, il a une tranche de 11 jours à tenir, la plus longue, et vraisemblablement la plus frustrante car il ne verra ni le départ ni l'arrivée. Ce n'est pas une sinécure.

Père et fils
Avec Jean-Paul. J'ai oublié ce qu'il me racontait à ce moment là.

À force de faire des tours du Parc Metropolitan de Leon, je commence à bien le connaître. J'essaye de vous le décrire. En sortie des stands, une grande ligne droite d'environ 1500 mètres avec sur la droite la digue qui retient le lac, et à gauche des parkings, l'entrée principale du parc, puis encore des parkings, une usine avec des tuyaux bleus qui doit faire "un truc" avec l'eau du lac, une forêt avec des barbecues et surtout plein d'écureuil, et en sortie de piste un méchant raidar sur la droite qui oblige à changer de vitesse. Rien de méchant, peut-être 5 mètres de dénivelé maximum, mais suffisamment pour me faire sortir la danseuse. Certains passent en force. Grand bien leur fasse, moi je me mets debout sur le vélo, je ferai le fier une autre fois. Ensuite, une très courte descente dans un terrain pourri, avec bitume rugueux et nids de poule. C'est le seul endroit pourri du parcours, le reste est un billard. Le matin et le soir, de grosses dindes paresseuses traversent, mais c'est sans danger, elles se déplacent si lentement que pour en percuter une, il faudrait la viser. Juste après, la zone de tous les dangers avec un loueur de vélo, des marchands de glace, l'entrée secondaire du parc, et une succession de virages officellement limités à 20 km/h, mais la limitation se respecte manifestement "à la mexicaine", à savoir qu'il est de bon ton de ralentir, et que la priorité est aux véhicules lents, mais on peut foncer, personne ne va vous épingler. À titre personnel, j'y passe à une allure relativement cool, j'en profite en général pour récupérer un peu.

Logistique
Ça, c'est le linge lavé par tous les accompagnateurs, et qui sèche en attendant d'être réutilisé le lendemain. La logistique, c'est le nerf de la guerre. Tout un boulot qui se voit peu, mais fait une différence de dingue entre venir seul ou accompagné.

En sortie de cette zone, il y a un virage à gauche relativement aveugle où j'ai toujours peur de percuter quelqu'un venant en sens inverse, puis un virage sur la droite, le plus serré du parcours, qui a un profil parabolique ou assimilé, comprendre par là que le coeur du virage est plus serré que son amorce. C'est déstabilisant. On a vite fait de s'engager un poil trop vite et déborder sur la gauche en sortie. Comme la circulation est ouverte aux vélos dans les deux sens, c'est aussi une bonne occasion de se payer un bon choc frontal. Car oui, j'ai oublié de préciser, mais tout le tour du parc, qui est en fait le tour d'un lac, est équipé d'une voie vélo double-sens, et d'une voie piéton, double-sens aussi. Parfois elles se touchent, et la largeur est alors la largeur d'une route standard, chaque catégorie ayant un côté de la route, correspondant à une largeur de voiture normale. C'est pas clair ? Bon, tant pis. Retenez juste qu'il a deux voies pour les vélos, une dans chaque sens, et pareil pour les piétons. Les rollers, on sait pas trop si c'est piéton ou vélo. Ça dépend.

Mais continuons le parcours. En sortie de ce fameux virage à droite, il y a une grande zone où piétons et vélos se rejoignent, et elle est en léger faux-plat descendant. Un bon endroit pour relancer. C'est aussi l'endroit le plus froid du parcours, à l'ombre, au milieu des arbres, et toujours humide. Ensuite le parcours alterne lignes droites et petits virages, pour arriver dans une zone où parfois traversent des moutons. Ce n'est pas souvent, a priori une fois le matin, une fois le soir, mais quand les moutons traversent, on attend qu'ils aient fini de traverser. Le lac est omniprésent, toujours sur la droite, nous sommes en bordure de marécage. Cette zone se clot par un enchaînement gauche-droite assez facile à identifier, suivi par un léger faux-plat montant, et un carrefour "compliqué" qui si j'ai bien compris correspond à une troisième entrée du parc. C'est par là que sont donnés les départs des différentes courses populaires qui ont lieu sur le parc. Ensuite, le parcours est globalement à la descente, et sur la droite il y a d'innombrables emplacements pour faire des barbecues au bord du lac. La vue est superbe, en particulier le soir, avec la ville éclairée au loin, en hauteur. On en tirerait des cartes postales. Cette section se termine par ce qui ressemble presque à une station balnéaire, avec un loueur de voitures à pédales bleues, un phare, un marchand de glace. C'est ici qu'est donné le départ des épreuves "un ironman par jour", car ils nagent dans le lac.

Centre de calcul
L'informatique, c'est tout un art. Ici le système de comptage qui n'a, à ma connaissance, loupé aucun tour, et c'est tout ce qu'on lui demande.

Un tout petit coup de cul sur la droite, puis une bonne vieille rampe descendante qui nous ramène aux stands, qu'on franchit à 40 km/h sans faire trop d'efforts, pour peu que le vent pousse un peu dans le dos. Ce qui, soit dit en passant, est particulièrement dangereux car au niveau des stands il y a toujours de la vie, des gens en train de traverser, et même, au bout d'un moment, des coureurs à pied participant qu déca, qui ont déjà fini le vélo, mais passent sous la même arche de comptage. C'est p*tain de dangereux oui. Bienvenue au Mexique.

En parlant de danger, le parc est particulièrement dense le matin et le soir. Essentiellement des sportifs qui s'entraînent avant ou après le boulot, de ce que je comprends. Peut-être aussi ont-ils l'habitude de ces heures car en pleine journée, même en octobre, il fait bien chaud pour peu que le soleil soit de sortie, et il est, manifestement, souvent de sortie. Mais voilà que nous sommes samedi. Et donc samedi c'est toute la matinée que les gens font du sport. Et ils sont nombreux, les bougres. De ce que j'ai compris, le parc Metropolitain est le seul vrai parc de la ville. Un parc pour 2 à 3 millions d'habitants, on comprend que ça bouchonne un peu. Mais attention, après le samedi, il y a le dimanche. Beto nous avait prévenu, le dimanche, c'est blindé. À cet effet, il nous a proposé d'aller tourner sur un autre circuit, un circuit "rien que pour nous". Cela n'a pas trop de sens pour moi, s'il a un circuit "rien que pour nous", pourquoi est-ce qu'on ne tourne pas là-bas tout le temps ? Un transfert en voiture est prévu pour l'autre circuit. Je ne comprends pas bien à quelle heure. Jean-Paul non plus. Cela m'agace un peu, après tout c'est son rôle de se renseigner et de savoir ça. Mais en même temps bon, les infos à la mexicaine, c'est pas toujours très précis. En fait on y va "quand on veut". Mais c'est pas obligé. Je réfléchis. Mon point fort, ce qui me différencie, c'est que j'ai un taux de présence record sur le circuit, je suis toujours dehors. Si je m'enferme dans une voiture, je perds du temps, sec, que je ne rattraperai jamais. Je vois bien que Ferenc roule plus vite que moi. Si je m'arrête autant que lui, il va me rattraper, c'est mathématique. Dans la mesure où le parc est blindé, mais où ça me paraît encore gérable, je décide d'attendre le dernier moment pour le transfert. Et puis je décide de rester, quoi qu'il arrive. Je verrai bien à quoi ressemble ce parc, blindé de monde, et je crois que j'ai envie de voir ça, d'ajouter cette expérience à ma longue liste de trucs inédits et bizarres. Aller tourner sur un circuit désert, j'ai déjà fait, cela ne m'apportera rien.

En selle
Remonter sur le vélo, ce n'est pas toujours simple.

Le dimanche matin, donc, est déjà un cran au-dessus de tout le reste. Avec une course à pied organisée, celle des t-shirts roses, de mémoire. Tous les concurrents ont un t-shirt dossard de la même couleur. Mais le dimanche après-midi, c'est l'apothéose. J'ai comparé cet après-midi à une partie de Mario-Kart. Dans le sens où ça n'avait plus rien à voir avec de la course, mais davantage à une course d'obstacles. En y réfléchissant mieux, si je voulais comparer ce moment à un jeux vidéo, ce serait peut-être davantage un de ces shoot'em up où l'on vous envoie des ennemis qui apparaissent en haut de l'écran, et avec votre vaisseau vous devez soit les éviter, soit les défoncer à coup de laser ou de bombes spéciales et autres power-ups. Or donc, quels sont les vaisseaux et projectiles auxquels nous sommes confrontés ? Il y a bien entendu le standard, le tout venant, les cyclistes qui sont là pour faire de la vitesse. Certains roulent fort en file indienne, mais les plus intéressants roulent à deux de front. Donc un sur le côté, un sur la bande pointillée en milieu de route. Quand on croise, faut bien serrer sur sa droite, sinon choc frontal assuré. Heureusement la plupart d'entre eux sont des rouleurs aguerris, donc ça fait peur, mais le risque est minime. Le risque est plus perceptible avec les rollers. Surtout lorsque ces derniers apprennent à patiner, littéralement. Au milieu des cyclistes qui roulent à 35 km/h, ça surprend. Mais on a aussi des apprentis cyclistes, qui ne tiennent pas encore debout sans les roulettes. Et de tous les âges. Des bambins de 4 ans mais aussi des grands gaillards de 15 ans qui s'essayent au deux roues, manifestement pour la première fois. Le tout au milieu des cyclistes, rollers, et gamins pré-cités.

Jeu vidéo
Au début j'ai cru que ce dimanche après-midi était une partie de Mario Kart. Mais en vrai, ça ressemblait plutôt à un shoot'em up.

Les choses deviennent vraiment sérieuses lorsque les voitures à pédale bleues commencent à peupler la piste. Là, on est sur du lourd. Surtout qu'au niveau supérieur, elles se croisent, et même, se dépassent entre elles. Imaginez-vous débarquer à 30 km/h, avec 8 jours de course dans le cornet, au milieu de cette faune imprévisible, insouciante et joyeuse par un beau dimanche après-midi. La peur de me vautrer est réelle, et pas théorique. Je pensais avoir vu le clou du spectacle avec les voiturettes bleues, mais non. On m'envoie, en fin d'après-midi, le nectar du nectar, avec en particulier un gamin qui double, en troisième file, avec une cadence de pédalage de 150 tours par minute, au minimum. En soi, rien de très exceptionnel, ce n'est pas la première fois que je croise 3 cyclistes de front. Non, ce qui est remarquable, c'est qu'il double des adultes, mais lui, il doit avoir 4 ans et demi tout mouillé, et il roule en tricycle. C'est tellement exagéré que c'en est drôle. Au fond, quand on y pense, ces gens sont chez eux, c'est leur parc, et c'est moi l'intrus. À ma façon, je participe à ce tableau bariolé, car au milieu des promeneurs, des cyclistes en tenue de combat, des BMX de retour de leur séance de saut, des voitures à pédales, et de tout le reste, on trouve un petit français qui essaye d'en finir avec ses 3600 kilomètres de vélo, ce qui n'est pas le moins original. Fondamentalement, ces mexicains, avec leur barbecue alléchant, leur sympathique musique, et leur capacité à éviter l'accident au dernier moment, comme si de rien n'était, me sont très sympathiques. Nettement plus que leurs homologues nord-américains, qui en comparaison, sont franchement pète-sec. Désolé les ricains, mais au jeu du capital sympathie, c'est Mexique 1 - USA 0.

Pizza
Toi la pizza, tu vas mourir.

La fin d'après-midi est ternie par un vilain orage. La pluie s'abat sur les piques-niques et barbecues, sans pitié. Nombre de promeneurs rentrent très vite chez eux, c'est la queue dans le parking pour fuir cette météo hostile. Enfin bon, les locaux lâchent vite l'affaire, 15 minutes de pluie et tout le monde est barré, la même en Irlande, personne n'aurait bougé. Chacun ses références. Du coup le parc est quasi vide. Je me fais une ou deux dernières frayeurs. La première, c'est un gars en VTT qui, littéralement, regarde en l'air. Au dernier moment il baisse les yeux, me voit et m'évite. À 1 seconde près, c'était carton assuré. La deuxième, c'est entièrement ma faute, fatigué, en sortie de stand, je suis en train de pianoter sur mon compteur de vitesse quand je lève les yeux et m'aperçois que je roule à gauche. Le type qui arrivait en face de moi gère et m'évite. Un partout. Bon sang, que ce serait con de me planter maintenant...

Car pour être honnête, ça roule pour moi. J'ai enfin réussi à stabiliser mon kilométrage journalier légèrement au-dessus de 400 km. Mes tripes se sont remises dans le bon sens, et les séquelles de la piscine ont quasiment disparu. Je creuse très légèrement l'écart avec Ferenc, qui roule fort quand il roule, mais a lui aussi sont lot de problèmes, et fait plutôt de grosses pauses, comparé à moi. Je pense réussir à tomber le vélo sous les 10 jours sans trop de soucis, avec un peu de pot je dois même pouvoir accrocher 9 jours, ou tout du moins m'en rapprocher. Le temps limite est de 28 jours donc au rythme où je vais, je suis large. Mais il faut savoir que j'ai prévu des vacances en famille avant la remise des prix, je vous passe les détails, mais en gros il faut quasi impérativement que je finisse en 21 jours sinon j'hypothèque billets d'avion, hôtel, bref, faut que je me grouille.

J'observe un peu les autres coureurs, en particulier ceux du déca, et il y a certains phénomènes que je m'explique mal. En particulier, pourquoi les dossards 18 et 20 me doublent invariablement comme des balles, avec 5 voire 10 km/h de plus que moi, et pourquoi, sachant qu'ils ont commencé le vélo à peu près en même temps que moi, j'arrive à avoir 2400 bornes au compteur lorsqu'eux devraient avoir fini à 1800. Ça n'a pas de sens. Comment gèrent-ils ? Ils font des nuits de 8 heures ? Ils se pignolent dans leur tente ? Mystère. Moi, en bon diesel, je ne fais pas trop d'étincelles. Mes tours les plus rapides sont à 16 voire 15 minutes, mais la majeure partie d'entre eux sont entre 17 et 18 minutes. Du 25 km/h de moyenne. Pas dingo-dingo, mais efficace.

Un dernier petit tour ?
On ne s'en lasse jamais. Allez, encore un dernier !

Avec le temps, tout de même, je finis par marquer un peu. J'ai un petit moment de panique quand il me semble, confusément, que je baisse de plus en plus la tête. Serait-ce le tant redouté Shermer's neck qui me menace ? C'est une pathologie assez étrange qui frappe les cyclistes au long court. Ce n'est pas douloureux, mais on a les muscles du coup qui perdent en force et à force la tête tombe, bêtement, sans qu'on puisse la relever. À ce stade, j'ai seulement un doute... Dans le doute donc, je fais quelque tours mains en haut du guidon, plus relevé, car la position "couchée" sur les prolongateurs tire davantage sur le coup, c'est un fait. Car oui, pour l'occasion, j'ai mis des prolongateurs, avec repose-bras. À la RAAM je ne les avais pas, craignant que ça m'endorme. Mais c'était une erreur. La vigilance n'a pas grand chose à voir là-dedans. Et il faut le reconnaître, bien calé, les coudes bien posés, on a moins mal aux mains et surtout on gagne en aérodynamisme donc en vitesse. Je suis bien sur mon vélo, mais alors bien, vous ne pouvez pas vous imaginer. Certes j'ai mal au cul, mais après 5 ou 6 jours de selle, ce n'est pas surprenant. Ça doit être une de mes forces, j'adore rouler, et une fois que je suis au point d'équilibre, j'ai l'impression de pouvoir continuer toujours, encore et encore. En vérité il faut faire le plein de calories, vidanger le bonhomme, et la pause est souvent bienvenue. Mais je n'ai pas cette horreur du vélo que certains décrivent.

Un peu plus tard, alors que le vélo est vraiment presque fini et qu'il ne manque "plus que quelques centaines de bornes", je ressens une douleur dans le tendon d'achille droit. Mince. Au départ j'essaye de minorer, mais la douleur est vraiment présente et persiste. Pas horrible, mais il y a quelque chose. Je réfléchis. Bon, la bonne nouvelle, c'est que j'ai le temps, de réfléchir. Il n'est pas question que je prenne le départ de la course à pied avec un tendon d'achille foiré. Même pas en rêve, ce serait une catastrophe. Alors je cherche. Je cherche d'où ça peut venir. J'essaye d'écouter mon corps et comprendre ce qui se passe. Et puis j'ai une idée. J'ai la nette impression que mon pied droit est en train de "rentrer" vers l'intérieur, que la partie intérieure du pied est plus basse que l'extérieur. Ce ne serait pas surprenant, après tout ces chaussures ont 8 ans, elles ont fait des milliers et des milliers de kilomètres mes bonnes vieilles Sidi. Je décide de m'arrêter. Je demande à Jean-Paul d'aller me chercher les poches de liquide froid qu'il a mises au frigo. Première chose qu'on fait donc, glacer le tendon, pour refroidir le tout. Ensuite, je lui demandes de l'élasto, et lui suggères d'en mettre à l'intérieur de la chaussure, pour relever la semelle côté intérieur. Il me fait un montage au petits oignons, j'ai le pied relevé de juste quelques millimètres, ça m'a l'air parfait. Sur ce, je mange un coup, pendant que la glace continue de refroidir le tendon. Et puis on enlève la poche de froid, je remets mes chaussures, et repars. Au final, j'ai juste fait un arrêt prolongé d'une grosse demi-heure. Grand maximum 40 minutes. Disons que j'ai "investi" 25 minute dans l'affaire. Et les résultats sont là. Une ou deux plus tard, je sens la douleur qui s'estompe. Au bout de 6 heures, la douleur a complètement disparu, je ne sens plus rien. Alors peut-être que si je n'avais rien fait, elle serait partie toute seule. Peut-être. Mais j'ai préféré être prudent.

Ronde de nuit
Et un petit tour la nuit en vélo, un.

Plus la fin du vélo approche, plus j'ai peur de la chute à cause de la fatigue, ou de la collision par la-faute-à-pas-de-chance. Les deux menacent. Je vois d'ailleurs ce concurrent du déca, venant de Taiwan, faire une chute devant mes yeux, ivre de fatigue, il mange la bordure, et se vautre lamentablement dans l'herbe. Fort heureusement, il n'allait pas vite et portait 3 anoraks car il s'attendait plus ou moins à chuter et donc comptait sur cette carapace pour armortir la chute. De mon côté, j'avais aussi ralenti à son approche, car sa trajectoire ne m'inspirait pas confiance. Dans une autre catégorie, Konstantinos, qui faisait un malheur sur le double déca "un ironman par jour", fera une chute, au 15ème jour je crois, avec à la clé une fracture de la clavicule et donc un DNF, abandon sur blessure. C'est terriblement triste, car il avait le niveau pour exploser tous les records, et ne montrait aucun signe de fatigue. Une horlage, une machine. Mais voilà, en vélo, la chute peut tout arrêter, en une fraction de seconde vos rêves s'écroulent et tout est foutu. Donc, pour faire court, j'ai la peur au ventre, sur ces derniers jours. Je respecte scrupuleusement mes 3 heures de sommeil, même si la tentation de gratter 20 ou 30 bornes en dormant moins est très forte. Et le soir, quand je perds en vigilance, je fais une micro-pause de 10 ou 15 minutes histoire de me racheter, l'espace d'une ou deux heures, un semblant de lucidité.

C'est pourquoi lorsque je pose le vélo, c'est un soulagement. Non pas parce que j'ai réussi, au final, à tomber sous les 9 jours. Pas non plus parce que l'écart avec Ferenc est maintenant d'environ un jour et demi. Mais simplement parce que j'ai survécu, j'ai évité les balles, et je m'en tire sans bobos, avec désormais uniquement de la course à pied, mon domaine de prédilection, où "il ne peut vraiment plus rien m'arriver d'affreux, maintenant".

J'ai posé le vélo au début de la nuit, techniquement parlant je pourrais aller me coucher, mais j'ai encore un peu d'énergie en stock, je suis loin d'être mort de sommeil. Donc j'opte pour une transition rapide, environ trois quart d'heures, et j'enchaîne sur la course. Je démarre environ à 23h00, et je note cette info dans un coin de ma tête, ce sera intéressant de voir à quel kilométrage je suis, chaque soir à 23h00. Je découvre le parcours de course à pied. Un aller-retour, bête et méchant, le long de la digue. 1055 mètres dans un sens. 1055 mètres dans l'autre. À répéter 400 fois. Tout en finesse. Dans mon enthousiasme, tellement heureux de courir, je rate le tout premier demi-tour et c'est à grands cris que les autres concurrents m'empêchent de partir pour un tour de lac complet. Je tourne une heure ou deux, puis vais me coucher, on verra la suite demain.

La bonne nouvelle donc, c'est que je cours plutôt bien, OK c'est pas la foulée des grands jours, mais ça va. Ferenc a encore des centaines de kilomètres à faire en vélo, il suffit que j'avance bien et normalement, il ne reviendra pas, j'ai quasiment une journée et demi d'avance, ça laisse le temps de voir venir. Reste qu'il y a ce satané record du monde qui me fait des oeillères. Il "suffirait" que je rentre ces 844 kilomètres en 7 jours et demi, et c'est bon. Ce n'est pas impossible, il faudrait donc faire environ 115 km par jour. Sur des fins de 6 jours, même bien crevé, c'est une distance que j'arrive, en général, à boucler. Reste que pour faire 115 km de moyenne, il faut être capable de faire de temps en temps 120 voire plutôt 125. Enfin bref, j'ai des chiffres plein la tête, des jambes dans un état correct, je n'ai aucune avarie sérieuse, pas de soucis de digestion, j'ai échappé à la chute en vélo, alors hauts les coeurs, je tente le coup.

J'hésite vraiment sur le rythme à adopter, je sais que je veux alterner marche et course comme je le fais souvent, mais je ne sais pas trop comment doser. Je fais un ou deux essais puis me cale sur un rythme 30 minutes de marche, une heure de course. C'est bien car ainsi je cours plus souvent que je marche, et ces derniers temps je n'ai pas trop d'entraînement à la marche, donc mieux vaut miser sur la course pure. Par ailleurs, une heure de course, c'est assez court pour éviter les blessures et les surchauffes, que je redoute un peu sur ce circuit.

En route
Bon, allez, plus que quelques centaines de kilomètres. Jean-Paul en soutient. Pas un luxe.

Le circuit, parlons-en. Je l'ai déjà dit, c'est un aller-retour, le long de la digue, en fait c'est plus ou moins le premier kilomètre du parcours vélo, à faire aller-retour en boucle. Sauf que, détail important, il est en dévers. Heureusement, comme on fait demi-tour, le sens du dévers change. Mais ça reste bien pourri, impossible de courir à plat. Chers amis traileurs, vous allez me dire que je fais le difficile. Mais ne sous-estimez pas le côté pervers d'un parcours avec une pente latérale discrète, mais lancinante, et permanente. Je demande à Jean-Paul de commander des chaussures à Valérie, qui va bientôt arriver de France. J'essaye de penser à un modèle de chaussures que j'aime bien, et qu'elle va pouvoir facilement trouver dans n'importe quel magasin de sport. Je lui suggère deux modèles, Mizuno Wave Inspire, ou un modèle de chez Addidas dont j'ai oublié le nom au moment où j'écris ce compte-rendu, mais au moment des faits ça m'avait l'air vachement clair. Je suis venu avec seulement deux paires, dont une un peu usée, et je me dis que je ne finirai pas la course avec ça seulement. Par ailleurs, je "commande" aussi des semelles amortissantes, anti-pronation. J'ai idée que je vais en avoir besoin, vue la gueule du parcours.

Ça court
Suffit de mettre un pied devant l'autre.

Or donc, j'ai quasiment une journée à courir, seul, sur la piste. Enfin seul, non, car les joggeurs habituels du parc me tiennent compagnie tous les matins, tous les soirs, et il y a aussi les coureurs du déca "simple" qui pour certains ont même déjà fini de courir. Et puis la plupart des participants du double-déca sont encore sur le vélo donc je les vois passer sur la file d'à côté, ainsi que les participants du "un ironman par jour" que je cotoie désormais tous les après-midi. Tout ceci peut paraître compliqué, et ça l'est. Il y a des gens qui courrent, des gens qui pédalent, au bout d'un moment on connaît un peu sa tribu mais parfois c'est un peu compliqué de se rappeler qui fait quoi. En ce qui concerne la course proprement dite, le double déca, j'ai environ un jour et demi d'avance sur Ferenc, donc je peux donc compte sur une journée complète seul en tête, à pédaler derrière moi.

À pied, il fait nuit aussi
Passage dynamique de l'arche de comptage. C'est pas hyper glorieux, mais chaque kilomètre compte.

Mon plan de bataille avec une heure de course pour trente minutes de marche fonctionne plutôt bien. Mais je suis contraint d'ajouter une petite pause dans la journée. Cette pause n'est pas vraiment précisément prévue, mais c'est une cartouche que je grille quand vraiment, je suis hors service. Idéalement, ça me permet de soulager un peu les après-midi ensoleillés où le soleil bombarde. Mais dans l'ensemble, le soleil nous laisse tranquille. C'est plutôt la pluie qui s'invite à la fête. Je suis très, mais alors vraiment très, content de ne plus être en selle. Je regarde, jour après jour, les autres compétiteurs du double-déca se faire copieusement rincer. Ils changent de K-way, s'habillent, se reposent, repartent, mais au final rien n'y fait, ils sont trempés. Moi aussi je suis trempé, surtout la nuit, car c'est là surtout que les nuages se déchaînent. Mais en course à pied, ce n'est pas très grave, ça se gère bien. Enfin, chacun sa croix.

Tactiquement parlant, je me suis concentré sur "battre le record du monde" qui, au début de la course, était encore à ma portée. Puis j'ai rapidement constaté que chaque jour, à part le premier où j'ai eu un petit sursaut à 115 km, je faisais "seulement" 105 km. Ça peut ne pas paraître beaucoup, 105 bornes par jour. On peut se dire, wouah facile, suffit de faire du 6 km/h pendant 18 heures, le tour est joué et il reste 6 heures pour dormir. Théoriquement parlant, c'est vrai. Mais sur le terrain, c'est un peu différent. Déjà, 6 km/h de moyenne, ça suppose d'avancer au moins à 7 km/h. Parce qu'il faudra bien s'arrêter pisser, s'arrêter manger, refaire ses lacets, on perd un pouillème de temps sur le demi-tour, etc. etc. 7 km/h ça devient de la marche assez rapide, quand on est fatigué. Pour la plupart des gens, ça veut dire courir la moitié du temps, et marcher l'autre moitié. Essayez après 10 jours d'effort continu, vous verrez, tout prend une perspective très différente.

Ravitaillement
La table de ravitaillement fournie par Beto, et remplie par Jean-Paul. J'y trouve tout mon bonheur.

Je vois donc débarquer Ferenc le deuxième jour. Il a l'air en forme. Bougrement impressionnant. Il court... comme un avion. Enfin non, il court simplement à 9 km/h ou un truc du genre, mais à voir là, à notre niveau de fatigue, c'est remarquable. Je me dis qu'il va se tasser un petit peu. Et après tout j'ai plus de 150 kilomètres d'avance, soit un jour et demi, ça commence à causer. Je sens toutefois le record qui m'échappe. Merde, comment faire pour récupérer du rythme ? Pas simple, le soir je tombe littéralement de sommeil et j'ai beaucoup, mais alors vraiment beaucoup, de mal à dépasser les 23h00. Idéalement il faudrait que je tienne jusqu'à 1h ou 2h du matin. Mais là c'est ingérable, quand la nuit tombe je me prends à chaque fois une énorme, énorme claque, et je ne vaux plus rien. Jean-Paul commence à fatiguer aussi. Pour le coup, il est tout le temps sur le pont, et ça m'aide énormément. Mais parfois je préfèrerais qu'il dorme davantage, pour être au top quand il est réveillé, quitte à ce que je sois seul pendant quelques heures.

Notre organisation commence à être bien rôdée, une petite table est installée juste à côté du circuit, et pour dormir et se changer je vais à la tente qui est environ 30 mètres derrière. Sur la table j'ai de quoi grignotter et tenir une heure ou deux. Des crackers, un ou deux fruits, et des bidons avec au minimum un sucré (coca ou autre soda), et un nature contenant de l'eau plate. Jean-Paul a eu la bonne idée de ramener la glacière ici, une glacière en polystyrène tout bête, mais qui rend bien service car elle est étanche. Et donc je peux y planquer certaines fringues chaudes ainsi que mon casque et mes écouteurs.

Yo
Allez, un tour de plus, ça se fête !

Le chrono avance, et c'est encore à nouveau un week-end. À nouveau, des courses organisées, et le matin, c'est un peu le bordel, mais ça nous tient compagnie, c'est sympa. Ironiquement, j'arrive à peine à suivre la queue de peloton, mais bon, c'est déjà ça. Ils ne font vraisemblablement que 7 kilomètres, un tour du grand parc. Mais surtout, le week-end, ça veut dire que Valérie et les filles vont arriver ! Mais ça, ce sera pour demain. Aujourd'hui, ce sera encore juste Jean-Paul et moi. Ils annoncent du mauvais temps pour l'après-midi. Hum... du mauvais temps comment ? Mauvais, me dit Jean-Paul. Pluie en fin d'après-midi, puis la nuit. Bon, on fera avec. Et effectivement, il pleut.

OVNI
Mais quel est donc ce concurrent très étrange ?

Je suis à deux doigts d'avoir le moral totalement dans mes chaussettes quand Jean-Paul me dit "attends-voir, tu vas bien rigoler". Je suis dubitatif, pour me faire rire, là, va falloir être costaud costaud, car bon, le record du monde est en train de m'échapper malgré mes efforts, on se fait rincer la gueule quasiment tous les soirs, et bon, l'air de rien, à 15 jours de compétition, en continu, bien tassés, je commencerais presque à me sentir fatigué. Enfin bon, qu'est-ce qu'il y a de si drôle ? Et là, je le vois. C'est notre taiwanais. Il a enfilé... sa combinaison de natation. Et là, il est sur le circuit, en train de marcher avec. C'est assez surprenant. Et d'autant plus drôle que le temps qu'il l'enfile, la pluie a cessé, donc il marche au milieu de la piste mouillée avec sa combinaison noire, c'est totalement irréel. Et j'avoue, je suis pris de fous rires. Je n'en peux plus, c'est trop, j'ai jamais vu un truc pareil. Et je crois que c'est exactement pour ça que j'adore ces courses. On y rencontre des gars formidables, encore plus barés que tous ceux qu'on a pu rencontrer jusqu'ici. Car au delà de son évidente originalité, ce type est un monstre de motivation. Il titube jusqu'au bout de la nuit, comme un zombie. Oh si vous avez déjà fait un 24 heures ou un 6 jours, vous pouvez penser que vous avez déjà vu un coureur ainsi "zombifié" errer sur la piste. Mais non, vous n'avez rien vu. Lui, il est au delà de tout ça, et même encore un poil plus loin. Au bout d'un moment, l'organisateur, Beto, forcera notre ami taiwanais à porter un gilet fluo et un casque de vélo, la nuit. Le premier pour que les autres, en particulier les cyclistes, le voient, et le second pour qu'il ne se fasse pas mal s'il tombe, littéralement, de fatigue. Et il avance. 4 km/h. 3 km/h. 2 km/h. Il avance toujours. Il ne lâche rien. Au bout d'un moment, c'est évident qu'il gagnerait à se reposer. Mais il est comme ça, il ne veut pas lâcher le morceau. Il y a quelque chose de beau à le voir lutter comme ça envers et contre tout. Il veut le finir, son déca. D'ailleurs, il le finira, et c'est bien mérité. Incroyable. En 15 ans d'ultra, je n'avais jamais vu un jusqu'au-boutiste pareil. Record à battre.

Lumière
Quelques bons moments quand même, quand il fait beau, quand la machine tourne rond. En vrai, ce sont parmi les plus beaux moments de ma vie. Essayez, vous verrez.

L'autre personne qui m'a beaucoup marqué c'est Lia Sterciuc, elle aussi embarquée sur le déca "simple". Elle vise juste le finish au temps limite. Sur le papier ça a l'air simple mais elle s'aperçoit sur la fin que... mince, ça passe pas ! Et elle regrette. Elle regrette les heures qu'elle a perdues en début de course à se reposer un petit peu, parce qu'on a toujours l'impression, au début, qu'on a de la marge, et que ça va passer, et qu'une heure de moins ou de plus ça ne change pas grand chose. Et là, sur la fin de course, elle fait les compte et c'est dur. Mais elle s'accroche Lia, c'est une battante. J'ai le plaisir de la voir faire son dernier tour et finir la course. Graine de championne.

Mais cette nuit du samedi au dimanche fut particulièrement dure. Il me semble bien que c'est lors de celle-là qu'à un moment je me suis réveillé pour repartir vers 2 heures du matin. Puis voyant la pluie repartir de plus belle, je me suis recouché pour une heure. Je ne l'ai fait qu'une fois, de faire ainsi le lâche et de battre en retraite après ma généreuse nuit de 3 heures. Mais là c'était juste... trop. De la flotte, de la flotte, de la flotte. Putain de flotte de merde. Au Mexique, non mais sans déconner ? Et Beto qui nous avait garanti que "au Mexique, en octobre, il fait plutôt beau et sec, compter 27 degrés en journée". Ah ouais tu parles, là je suis trempé de la tête au pieds, et la nuit, il fait pas 27, ça c'est certain. Enfin bref, fini de se plaindre, le jour se lève, et les filles vont bientôt arriver. Jean-Paul a toutefois le temps d'écopper la tente. Car oui, pendant la nuit, sa tente, la grande, s'est tout simplement remplie d'eau, car il y a une petite fuite dans le fond. Donc ça s'est rempli, et il y a une grande flaque de 5 centimètres d'eau stagnante bien au milieu. Fort heureusement son duvet, placé sur un matelas, et mes habits, placés dans un coin, sont à peu près au sec. Mais il en a bien pour deux heures à tout éponger. La joie d'être accompagnateurs, si vous voyez ce que je veux dire.

Foulée
On peut admirer la foulée légère, aérienne... Quoi ? Pas d'accord ?

Autant vous dire que quand Valérie et les filles arrivent, la relève est plus que bienvenue. On expédie Jean-Paul se coucher pour la soirée, avec ordre de prendre un bon petit déjeuner le lendemain matin à l'hôtel.

J'avais rêvé d'une ballade en voiture à pédale de mes 3 filles avec leur papi (Paulo, donc) en ce dimanche après-midi. Sauf que... il fait moche, et on n'a pas trop envie de se ballader en vélo ou quoi que ce soit du genre. Comparé à la semaine dernière, c'est désert. C'est dommage, c'est mignon à voir cette joie de vivre mexicaine au soleil d'un dimanche après-midi. Enfin bon, ainsi va la vie, la météo, on ne la choisi pas, et très honnêtement, le pire est derrière nous. Certes c'est pas folichon folichon, mais ça reste correct, et heureusement, car pour mes filles, tout se passe essentiellement en extérieur. Ça me fait vraiment du bien de les voir. Elles font leur devoir. Et font corriger certains petits détails d'espagnol par Beto lui-même. Avoir le directeur de la course comme relecteur, c'est la classe américaine. Pardon, mexicaine. Adèle fera un tour du circuit en vélo, pour le plaisir. Elle a raison, c'est très joli. Lise s'attendrit sur tous ces petits écureuils trop mignons qui se cachent dans les bois et entre les cailloux de la digue.

Ravito en famille
Un dernier coup pour la route. Ma fille fait ses devoirs.

Et la sulfateuse, je vous ai parlé de la sulfateuse ? Non je ne crois pas. Ce que j'appelle la sulfateuse, c'est un camion qui passe toutes les nuits, sur le circuit, et bombarde avec de l'insecticide. Après-tout, c'est logique, on est près d'un lac, dans une zone a priori chaude, c'est donc blindé de moustique. Mais leur produit là... c'est du costaud ! Ils arrosent à une heure où normalement, le parc est vide. Sauf que nous, on tourne potentiellement 24h/24. Donc quand le camion passe, pschhhhh tout le camping en profite, ça arrose la petite assiette que tu avais laissé sur ta table de ravitaillement, et quand il passe juste à côté de toi *keuf* *keuf* ça fait tousser. Beto leur demandera d'arrêter de sulfater au moins la zone du camping. Merci. Parce que bon, je pense qu'en moyenne, les profils qui s'alignent sur ce genre de compétition sont plutôt résistants. Mais faut pas non plus pousser mémé dans les orties, on a nos limites.

Musique
Là, j'écoute du Shaka-Ponk. Sûr de sûr.

Il faut que je vous parle des filles aussi. Parce que sur cette course, on était 7 gars et 5 filles au départ, et à l'arrivée on sera 4 gars, 4 filles. Jolie représentativité. Mais ces filles, qui sont-elles ? Par ordre d'arrivée, vous avez la vainqueuse, Laura Knoblach, 24 ans. Oui, vous avez bien lu, 24 ans. Et elle a gagné, et au passage raflé le record du monde, d'une course de 76 km de natation, 3600 km de vélo, 844 km à pied. Et avec le sourire. C'est ça son truc. Elle est positive, c'en est incroyable. Je crois que chaque fois qu'elle a croisé mon regard, elle m'a souri. Et je la soupçonne de faire pareil avec tout le monde. À un moment, je l'ai vue marcher sur le chemin à côté du bitume. Je lui ai demandé pourquoi. C'était apparemment parce que c'était plus plat, plus à l'ombre, et plus "trail". Je lui explique que si elle veut faire du trail, c'est sur les gros rochers de la digue qu'il faut aller. Moi aussi, je sais faire le con, non mais !

La seconde, ce sera Shanda Hill. Shanda vient du Canada. C'est, comment dire... une grosse brute. Une grosse brute très sympa, amicale, végétarienne et avec une conversation charmante, mais une grosse brute quand même. Elle attaque les kilomètres le couteau entre les dents, et si t'as le malheur d'être au milieu, ben pas de bol, parce que c'est un bulldozer, et elle va passer. Elle a perdu du temps sur des trucs idiots, par exemple elle s'est aperçue très tard, en course, que certains antidouleurs qu'elle prenait - on peut comprendre qu'à un moment, ça pique un peu - avaient des effets secondaire comme, par exemple, la somnolence. Et ça, c'est pas bon pour le commerce, car on manque tous de sommeil sur une course de ce type. D'autant plus dommage qu'elle a un niveau d'énergie défiant l'ordinaire, et je pense qu'elle aurait pu taquiner Laura de plus près sans quelques petites erreurs de ce type. Mais c'est ainsi, elle a tout de même fait une superbe course.

Conseil de famille
Le clan Mauduit en pleine discussion.

La troisième, c'est Claire Smith, l'anglaise. À peu près aussi discrète et appliquée que les deux autres peuvent être exhubérantes. Claire, je l'ai vue marcher, courir, jour et nuit. Je pouvais être quasi certain de la croiser la nuit, sous la pluie, à n'importe quelle heure. On a souvent tourné à deux, seuls chacun à un bout différent du circuit, comme ça, pendant longtemps. Elle a fait une très bonne natation, un vélo franchement correct, et sur la course elle était consistante, mais peut-être pas assez rapide, pour le coup. Difficile d'accrocher les deux autres, qui tractaient bien. Elle a fait un sacré boulot.

Et la quatrième, c'est Georgeta Gruescu. Américaine, elle aussi. Georgeta, elle a eu une course assez similaire à celle de Lia, qui elle était le simple déca. Elle est partie relativement cool, à son rythme. Et puis elle s'est accrochée. Elle n'a pas spécialement un physique de coureuse, mais elle a enchaîné les aller-retours, avec les pieds pourris, en ayant mal partout, et avec le sourire. J'ai fait pas mal de tours en marchant avec elle. Un personnage. Et comme Lia, elle est allée au bout, jusqu'au bout. À peine plus de 28 jours. Chapeau Madame.

Conversation avec Giorgio
On que les italiens parlent avec les mains, mais sur la photo c'est pas si évident. Je suis ici avec Giorgio, qui a déjà fini un double-déca en 2010.

La cinquième à prendre le départ c'était Suraya Oliver, qui n'en était pas à son coup d'essai, elle a de nombreux ultra triathlons à son actif. Malheureusement elle n'a pas réussi à terminer l'épreuve de natation. Faut dire que cette piscine, c'était magique. A priori, elle aurait pris un coup de froid, d'après ce que j'ai compris.

Tant que j'en suis à tirer le portrait des participants, j'en profite pour vous parler aussi un peu des mecs. Je commence par Ferenc, dont j'ai déjà pas mal parlé, et qui mobilise pas mal mon attention car il est le plus sérieux concurrent. Ce type est une légende sur pattes, il nage comme une enclume, mais sur le vélo c'est une vraie brute, et chose rare, il se défend aussi très bien à pied. J'ai eu de la chance de tomber sur un Ferenc de plus de 50 ans, la version 10 ans plus jeune devait sacrément déménager. Il a un visage de gros dur mais un regard bleu très clair, et un sourire désarmant. Par ailleurs, c'est un petit rigolo, il a un bon sens du gag, je pense que je gagnerais à mieux le connaître.

Wayne & co
En plein ravitaillement. À l'arrière plan l'inénarrable Wayne Kurtz, toujours dans les bons coups.

Si on avait demandé à Madame Michu, avant la course, de dire qui allait gagner, elle aurait choisi Daniel de Oliveira, le brésilien. Ce type est taillé dans du bois brut, c'est une grosse masse de muscles, bien bronzé, avec le sourire. On le caserait sans problèmes sur une couverture de magazine. Il a bien géré, mais a peut-être un peu péché par optimisme sur la course à pied. La course à pied en ultra, c'est dur, c'est une vraie boucherie, surtout quand, comme lui, on emmène plein de barbaque.

En revanche personne n'aurait parié sur Al Manning, en quatrième position chez les hommes. Il n'est plus tout jeune, Al. Il a géré sa barque comme un chef. Doucement, tranquillement. Sans prendre de risque, sans perdre de temps. J'ai pris beaucoup de plaisir à taper la causette avec lui, surtout pendant mes tours de marche.

En bonne compagnie
À côté de Shanda Hill. En arrière plan, un concurrent vient vraisemblablement de finir sa course. Un "simple" déca peut-être. Et à gauche, on voit la jeune Laura qui s'élance pour un n-ième tour. Je trifouille ma playlist.

Parmi les abandons, ou plutôt, les hors délai, chez les hommes, il y a Ronny Rossler. Ronny, c'est l'insouciance faite triathlon. Il a - excusez du peu - posé une année de congés, ou au moins levé le pied niveau boulot pendant un an, pour... faire du triathlon. Il s'est envoyé plein de courses Ironman aux 4 coins du monde et clôt le tout avec ce double déca. C'est comme ça la vie, y'en a qui ont des rêves, et d'autres, comme Ronny, qui les réalisent. Il est cool, Ronny. On a finit par l'appeler "the lazy German" (traduction: l'allemand fainéant). Bon il n'est pas si fainéant que ça, il en a abattu des kilomètres, mais à la fin, à force de prendre une petite pause par ci, une petite pause par là, il lui manque des kilomètres pour finir dans les temps.

Temps final
J'ai pris cette photo pour me rappeler les chronos des derniers tours. 12:41 et 14:32, pour 2110 mètres. Environ 10 km/h pour l'avant dernier, et 9 km/h pour le dernier. Ça n'a l'air de rien, mais à 19 jours de course, on a l'impression de faire un sprint hardcore.

Et Giorgio ! Giorgio Alessi est, avec Férenc, un des rares à avoir fini le double déca en 2010. Il a le métier. Et il est super sympa. J'avais déjà sympathisé avec lui à Monterrey, donc on se connaissait un petit peu. En vrai, je rêverais de passer une après-midi en terrasse avec Giorgio, sans avoir besoin de m'acharner à aligner les kilomètres. Il a de l'esprit, il nous vient de Sicile, une de mes plus belles rencontres en ultra. Malheureusement des problèmes de pied auront raison de son implacable motivation. C'est triste.

Et le grand absent du double, c'est Kristian Kristiansen qui, tombé malade dans la piscine, s'est rabattu sur le déca "un iron par jour". Donc je le vois quasi tous les jours sur le circuit, mais il est sur une autre course. Assez impressionnant de le voir me mettre une branlée toutes les après-midi, le temps d'un marathon. Pendant qu'il faut 42 bornes, j'en aligne péniblement 25 ou 30. Mais bon, on n'est plus sur le même format, lui va se reposer tous les soirs à l'hôtel, tandis que moi je tourne 21 heures par jour.

Le jour d'après
Le lendemain, lavé, propre, je peux enfin sortir "en civil". À l'arrière plan Beto, organisateur de la course.

C'est sur la course à pied, à partir du 15ème jour je crois, que j'ai vraiment commencé à très sérieusement perdre du poids. Je ne sais pas combien j'ai perdu, je ne me suis pas pesé, ni avant, ni après, mais tout le monde me l'a dit sur le circuit : Christian, t'es en train de fondre. Effectivement, je reconnais que je vois mes bras, mon bide, mes jambes, s'amincir. Le tout s'accomapagnant d'une fatigue lancinante, je ne peux pas dire que j'ai mal, bien évidemment les jambes sont dures etc. mais rien de très impressionnant par rapport à un autre ultra. Mais cette fatigue est assez remarquable. Au fond, c'est exactement la même que pendant la Transpyrenea , il doit se passer quelque chose dans le corps au bout de deux semaines, et là, bien j'y suis. Cet amincissement s'accompagne très logiquement d'une faim de loup. J'ai faim, je mange, la seule limite c'est ce que j'ai le temps d'ingurgiter et le fait que je ne peux pas courir trop balloné, donc je dois limiter un peu la prise d'aliments sinon la digestion s'ajoute à la fatigue générale, et à la fin, on n'avance plus.

Ma famille
Les 5 fantastiques.

Les journées s'enchaînent. Chaque jour est un peu différent, certaines nuits il pleut plus que d'autres, parfois il fait très chaud l'après-midi et d'autres fois je m'en tire sans trop cuire. Mais en gros c'est toujours à peu près pareil, nuits froides et plutôt humides, désagréables. Matinées sympa, temps lourd en début d'après-midi, souvent je dois passer la période 13h00 - 17h00 à marcher car le soleil cogne trop fort, et puis c'est reparti pour une soirée un peu triste, avec souvent de la pluie. Je profite des matinées pour observer tous ces mexicains et mexicaines qui viennent s'entraîner autour du parc. Je les regarde. Cette dame fait des étirements. Elle prend soin de son corps. Nous sommes sur des planètes différentes. Je pense qu'un médecin dirait sans hésiter qu'elle a raison, et que je ferais mieux d'arrêter mes conneries. Je me dis qu'en temps normal, je ne suis pas si différents de toutes ces personnes. Moi aussi, d'habitude, je prends plaisir à faire un petit footing de 10 km, tout en souplesse, et je bois un bon demi-litre d'eau après, et je passe à autre chose. La dame discute avec une copine. Elles rient. C'est beau la course à pied. Bon allez Christian, assez rêvé, fais ton tour et pense à autre chose, toi aussi, un jour, tu pourras prendre le temps de te faire plaisir.

Finisheuses
Les 4 incroyables femmes qui ont fini ce double Déca. De gauche à droite Claire Smith, Laura Knoblach, Shanda Hill et Georgeta Gruescu. La prochaine fois que vous vous figurez que la femme est une petite chose fragile, réveillez-vous, et pensez à elle.

J'ai tenté à peu près tout et n'importe quoi pour passer au-delà des 105 km par jour et attraper un rythme à 110 ou mieux 115, qui m'aurait permis d'aller taquiner le record du monde. Mais rien n'y fait, ça ne passe pas. Ferenc, lui, est constant et plafonne à 100 km par jour donc je lui colle au moins 5 km par jour, ma première place semble donc sécurisée. Jusqu'au j'ai cru pouvoir rattraper un peu du temps perdu le dernier jour et aller gratter le record mais bon, le matin de l'avant dernier jour, je fais le bilan et m'aperçois qu'il faudrait augmenter le rythme de quasiment 50%. Ce qui peut se tenter quand on est pris dans le tourbillon d'une course folle, avec un lièvre devant et une meute en chasse derrière. Mais là, c'est pas vraiment le cas. En terme de "course folle" on a surtout des grandes après-midi dans cette ligne droit déserte, Ferenc est quasiment deux jours derrière, et devant personne. Je fais donc le boulot, mais c'est incroyablement dur de prendre des risques pour aller chercher les quelques dizaines de kilomètres qui manquent. Bah oui, je suis incapable de faire du 5 km/h de moyenne. C'est comme ça. Venez voir, vous verrez, au bout de 18 jours de course un tas de trucs qui paraissent super simples sur le papier deviennent très compliqués sur le terrain.

Tourisme
Et parce qu'on avait du temps en attendant la remise des prix, on a fait un peu de tourisme.

Dernier jour. Je sais que je vais finir aujourd'hui, plus précisément ce soir. J'ai été d'une régularité métronomique, à 5km près, toujours le même kilométrage par tranche de 24h donc à part si je fais une erreur tactique phénoménale, il "suffit" de finir le boulot. J'essaye d'aller au plus vite, mais sans risquer l'insolation ou la blessure. Je suis largement sous les 21 jours donc pas de problème pour choper l'avion samedi prochain. Je crois que c'est autant la perspective de faire un bon temps que la perspective d'en "finir" qui me motive à ne pas traîner. J'essaye un moment de suivre Kristian, qui fait le déca "un iron par jour" sur son marathon, mais décidément il va trop vite. La nuit tombe. Je fais un dernier arrêt au stand, il me reste 4 tours, soit 8 kilomètres. Je me dis que voilà, c'est plié, il me reste juste une heure, la messe est quasiment dite, je fais juste un dernier remplissage des niveaux avant le final. Mais là Valérie m'informe que non, il ne me reste que 2 tours. Comment est-ce possible ? Apparemment le logiciel de tracking des tours a été réglé sur 2,1 km par tour. Or en vérité c'est 2,11 qu'il faut compter, il faut rajouter 10 mètres pour qu'au final on obtienne bien 844 km correspondant à un marathon à 42,2 km. Les fameux 200 derniers mètres du marathon. Du coup je suis à 398 tours, soit environ 836 km, d'après l'affichage, mais en vérité je suis à 398 tours soit environ 840 km. Vous n'avez rien compris ? Moi non plus, sur le moment. Mais je comprends un truc, simple : c'est juste un problème d'affichage, il me reste 2 tours, et pas 4. Et ça change tout. Plus besoin de faire un vrai ravitaillement, je bois juste un demi verre, je me lève et bam, c'est parti.

Je fais les deux derniers tours "au carton" et bizarrement ça passe tout seul. Bon quand je dis "au carton" on parle d'un truc genre 10 ou 11 km/h, c'est pas non plus du sprint de gros calibre, mais tout de même. Je note les temps de passage, j'ai envie de m'en rappeler, de ceux-là. Ça pourra me servir un jour. Genre : "OK, même après 19 jours de course, je peux faire ça". J'ai fait un tour avec ma grande fille Adèle, et un tour seul, normal, les accompagnateurs ne peuvent pas nous suivre plus d'un tour de suite, c'est la règle.

Diplôme
Voilà, ça sert à rien ces papiers, à part quand même à se rappeler les temps, les distances, et se dire que tout cela n'était pas un rêve.

Franchissement de la ligne d'arrivée, 2 minutes pour ouvrir cette satanée bouteille de champagne. Nom de Zeus, c'est fini. 76 bornes de natation, 3600 de vélo, 844 à pied. C'est fait. Je vais pouvoir dormir. À l'hôtel. Dans des draps. Propres. Et vous savez quoi ? Pas une ampoule aux pieds. Rien. Juste une immense fatigue générale, plus de puissance nulle-part, mais sinon la caisse est quasi intacte. J'ai du perdre au moins 5 kg, mais à part ça, tout est normal. À croire que je n'ai pas forcé. Mais je ne suis pas dupe. J'ai toujours cette impression après les courses, que si je l'avais vraiment voulu, j'aurais pu etc. etc. Mais tout a l'air facile quand on regarde en arrière. Sur place, assailli de fatigue et dans le doute, c'est plus compliqué.

J'ai été très content, les jours qui suivent, de pouvoir revenir voir un peu les coureurs et coureuses encore en piste. On a aussi fait un peu de tourisme en famille à Léon, qui, fait remarquable, est la capitale de la chaussure. Au risque de choquer mes amis défenseurs des animaux, sachez que je me suis procuré une magnifique paire de bottes en peau de crocodile. Et puis pour finir, en attendant la remise des prix, on est allé visiter le Yucatan, les temples Maya, tout ça tout ça. Un superbe pays le Mexique, il faudrait que j'y revienne dans des conditions un peu moins extrêmes. C'est dommage de si bien connaître le tour du parc de Leon, et si mal le reste.

Alors ce double-déca, si c'était à refaire ? La même Patron ! Un grand merci à Beto Villa d'avoir organisé cette... chose.

Un truc de dingue. un truc de dingue.

Et si vous voulez en savoir plus, quelques ressources en ligne :

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Mis à jour le mercredi 02 septembre 2020.