Auparavant, le lever se passait ainsi :
Le réveil sonnait à six heures. Je m'extrayais du lit et me glissais vers le rez-de-chaussée, pour savourer mon petit déjeuner avec Christian. Le petit déjeuner est crucial pour moi. C'est l'instant de la journée que je souhaite le plus ardemment retrouver au retour d'un voyage. M'assoir devant un bol de lait au chocolat et tremper tranquillement des tranches de pain dedans est indispensable à mon équilibre.
Seulement voilà , depuis quelques années, je dois compter très fréquemment sur l'interruption brusque de petit déjeuner. Alors que le bol est chaud, les tranches de pain posées à côté, j'entends un cri. "Maman !" Garance est réveillée. Si j'ai un instant d'hésitation, Garance me rappelle. Tous les matins, je monte donc l'escalier le plus rapidement possible, mesurant le bruit de mes pas : ni trop, ce qui réveillerait les grandes sœurs, ni trop peu, de manière à ce que la petite dernière sache que j'arrive. J'entre dans la chambre, je la prends dans mes bras et tente de ressortir furtivement.
A ce moment, du haut ou du bas du lit superposé, j'entends une petite voix qui me demande : "Tu me portes dans les escaliers aussi ?" Invariablement, le matin, je descends donc l'escalier avec deux fillettes dans les bras. Mon chocolat refroidit. Et tout s'accélère.
Lise aime se lover dans le fauteuil poire gris, Garance préfère le canapé. Lise veut un biberon pas trop chaud, Garance pas trop froid, et Adèle des céréales bio. Garance préfèrerait que ce soit Papa qui prépare le biberon et Maman qui l'amène. Lise veut la télé. Adèle hésite entre prendre du lait dans ses céréales ou les manger sur le canapé. Mais surtout... il y a la couverture !
Nous avons quatre couvertures dans le salon : la couverture marocaine en laine, deux plaids, l'un beige et l'autre bleu, et un drap rose. Plus le plaid orange couvrant toujours le canapé. Mais, et c'est évident pour Lise comme pour Garance, seul le plaid bleu, celui avec un dessin de biches, est convenable. Les cris commencent dès que l'une s'en empare. Chacune est prête à proposer à sa sœur de l'avoir le lendemain. Le son monte. Et là -dessus, les biberons qui se finissent et qu'il faut remplir à nouveau ! Mon chocolat est froid.
Bien, mais tout cela, c'était autrefois. Il y a deux semaines, après une grande partie de cabane dans la chambre, une nouvelle couverture est descendue dans le salon. Elle est rose d'un côté et orange de l'autre. Elle était pendue sous le lit en hauteur depuis des mois mais n'avait jamais excité la curiosité ni l'envie de quiconque à la maison. Mais depuis qu'elle est dans le salon, elle est devenue le "must have" de ces demoiselles. Les biches ? Plus personne ne s'en soucie. Désormais, toutes plébiscitent la couverture rose. Et les matins où j'enlève mes oreilles de petite fille, il m'arrive de ne pas percevoir la différence avec les matins d'autrefois.
Dénouement
Vendredi matin, toutefois, je perçus quelques changements. J'étais installée devant mon bol de lait au chocolat, cet objectif inaccessible de chaque matin, quand j'entendis des pas d'éléphanteaux dans l'escalier. La porte s'ouvrit sur Garance et Lise. Les premiers mots de Garance furent : "Maman, on a trouvé une bonne solution." Elles s'installèrent calmement dans le salon pendant que Christian préparait leurs biberons. Je m'approchai d'elles, elles m'expliquèrent : Lise prête une place sur le fauteuil gris à Garance et Garance prête un bout de la couverture rose.
Epilogue
Samedi matin, elles découvrirent que l'une préférait le rose sur le dessus et l'autre l’orange. Mais comme elles sont pros de la résolution de conflits, leurs parents ne s'exaspèrent plus (n'est-ce pas ?)