J'ai dit un jour à Jacques que j'avais croisé un éléphant dans une ruelle. Je m'étais écartée pour le laisser passer. Mais le pachyderme m'a marché sur le pied. Heureusement, il s'agissait d'un éléphant bien éduqué. Il s'est poliment excusé et m'a offert, pour me dédommager, une petite tasse de tisane et trois biscuits aux épices. Mais mon pied a enflé. Alors l'éléphant, qui se prénommait Armand – j'ai oublié son nom de famille – a tiré une chaise et un guéridon d'une pochette qu'il tenait derrière son oreille droite. Je me suis assise pour boire tranquillement. Mais mon pied continuait à enfler, enfler, si fort qu'il a soulevé le guéridon. Je ne pouvais plus le bouger et il a coincé la ruelle, mon gros orteil pénétrant par une porte cochère, pendant que le petit orteil – mais pouvait-on encore l'appeler petit ? - frôlait le mur d'en face. Par chance la maison de droite était faite de pierres rugueuses et une aspérité a fait éclater mon pied. J'ai terminé ma tasse et balayé de la main les miettes de biscuits tombées sur le guéridon. Armand m'a souhaité une bonne fin d'après-midi et m'a assuré que nous resterions amis. Et voilà , disais-je à Jacques, pourquoi j'avais passé une bonne journée.
Quelques jours plus tard, Jacques m'a demandé un peu d'aide. Etait-ce pour déménager un piano ou pour repeindre sa cuisine ? Je lui ai dit - ce n'était pas tout à fait vrai - qu'un microbe s'était attaqué à moi, qu'il m'avait étendue KO sur le lit et que non, vraiment, je ne pouvais pas l'aider. Jacques n'a pas pu venir à bout de sa tâche seul. Il m'en a tenu grief longtemps. Et pourtant ce n'était qu'un minuscule, microscopique petit microbe invisible.