CR GRR, par Valérie

Dimanche 24 octobre 2004

Compte-rendu écrit par Valérie donc, et pas par moi. Je cite:

<< Eh bien je voudrais ajouter mon (gros) grain de sel à ce compte-rendu...

Comme c'est la première fois que j'écris sur le forum UFO, je vais commencer par me présenter. Valérie, épouse de Christian dit Ufoot, belle-fille de Jean-Paul (également inscrit sur le forum) et maman d'Adèle, qui est en photo sur la fiche de présentation d'Ufoot. Comme fait de gloire en course à pied, j'ai le trail du Pain d'Epice. Mais le 12 bornes, fait tout de même 5 mois après avoir accouché ! C'est tout, je ne cours pas beaucoup. Et ce n'est pas de l'ultra fond. Par contre accompagnatrice d'ultra fondus, c'est aussi de l'ultra fond, et je vais vous l'expliquer.

Pour moi le grand raid a commencé très tôt, puisque Christian et moi avons décidé ensemble qu'il le ferait. Ca demandait de mon côté de pouvoir assumer plus de travail à la maison lors de ses entraînements et ses déplacements pour compétitions intermédiaires. Ceci avec bébé (Adèle est née en janvier2004 ) puis gros ventre (nous attendons un petit deuxè¨me.) Mais j'ai immédiatement pensé que traverser la Réunion était un jeu qui en valait la chandelle. Ca devenait aussi mon rêve. D'ailleurs Christian n'a-t-il pas réussi à convaincre son père de l'accompagner dans ce périple à l'autre bout du monde ? Au début j'avais peur, c'est vrai. Mais j'ai lu un livre sur les dix ans du Grand Raid. Démistificateur dans le bon sens. J'ai fini par penser que même moi, si je m'entraînais, je pourrais faire cette course (en visant un temps proche du temps limite.) Et j'ai fermé la bouche à tous nos copains qui n'y croyaient pas.

Mais entrons dans le vif du sujet. Ca commence à minuit le vendredi (matin !) Accompagner les deux fous, Christian et Jean-Paul, sur le lieu de départ, à l'extrême sud de l'île. Nous réveillons Adèle, que nous n'allons pas laisser seule à la maison pendanrt plus de deux heures que dure l'aller-retour à Cap Méchant. Et en route. Je pensais que le stade de Cap Méchant serait évident à trouver. Mais finallement, s'il est évident que toutes les voitures qui circulent à cette heure dans ce coin de l'île s'y rendent, il est également évident qu'elles se perdent toutes dans la même zone... Ca y est, nous avons trouvé ! Je dois laisser mes deux champions, parce que la mini-pousse a besoin de retourner continuer sa nuit à la maison (elle est du même genre de bois que son papa, et ne dort plus dès qu'il y a quelque chose d'intéressant à faire, comme un voyage à Cap Méchant.) Le retour demande un peu de patience : une partie de la route est en circulation alternée pour cause de travaux est bloquée par l'embouteillage des participants se rendant au départ... J'espère ne pas attendre jusque4 h. En fait, j'attendrai 10 minutes.

De retour à la maison, les deux bonnes femmes s'endorment en pensant aux coureurs : ils ne courent même pas encore ! Mais ils seront largement partis quand nous nous réveillerons.

Le programme du vendredi est simple : puisque je suis accompagnée d'une petite de 9 mois, je ne pourrai pas voir les coureurs à beaucoup de postes. J'ai choisi Cilaos : la route est belle, ils passeront en fin d'après-midi et ça me convient. Christian m'a dit qu'en fonction de leur forme, Jean-Paul et lui passeraient vraissemblablement entre17 h et20 h à Cilaos. En attendant, Adèle a besoin d'une journée calme.

De temps en temps de regarde ma montre, la carte, le descriptif de la course et essaye d'imaginer où ils en sont. C'est l'inconnu. Je n'arrive pas à trouver de radio qui parle du grand raid. Le truc en ce moment, ça paraît être les Floralies dans la ville du Tampon (qui a dit "je m'en tamponne" ?) Pourtant sur le stade de la Redoute ou je serai le lendemain, j'entendrai la radio diffuser moults reportages sur la Diagonale. Mais jamais je ne réussirai à capter cette radio par moi-même.

La fin d'après-midi approche, en route Adèle, on va voir Papa et Papy ! Nous arrivons à Cilaos vers16 h45, mais où est le ravito ? C'est un gros poste mais quand on ne connaît pas... Je finis par croiser des coureurs. Le plus simple paraît de se garer. Ensuite j'en intercepte un : - "Le ravito est avant ou après vous ? - Je viens de le quitter" Dans ce cas, il me faut remonter le trajet des coureurs. Facile.

Bon, ensuite, c'est gros tout ça. Il y a les ravitos encas, le repas assis, la zone de massages, le comptage d'arrivée, le comptage de départ, les sacs que les concurrents pouvaient déposer... J'essaye de faire le tour de tout ça à la recherche d'un Mauduit. Pas évident. Bon, il est à peine plus de17 h, ils n'ont pas dû encore arriver. Nous nous installons donc juste en amont du comptage, pour voir les concurrents arriver. Adèle fait très vite connaissance avec 3 grandes filles et un petit garcon qui attendent leur père (et oncle pour l'une des fillettes.) Parfait, l'attente peut commencer sans souci, la petite est occupée. Au bout de quelque temps, la maman demande à une des filles d'aller voir s'il y a des nouvelles du papa coureur. J'apprends ainsi qu'il existe un poste auquel les spectateurs peuvent demander le lieu et l'heure du dernier pointage officiel d'un concurrent dont ils ont le dossard. Bonne nouvelle ! J'avais essayé de faire l'opération par SMS, mais ça n'a jamais marché.

La fille propose même d'aller regarder pour moi. Dossards 16 et 88 (plus son papa, dossard 1260 et quelques.) Elle revient quelques instants plus tard, désolée pour moi : le dossard 16 a quitté Cilaos à16 h47. Oui, bon, je l'ai raté, mon champion de mari, mais je suis tout de même folle de joie d'apprendre qu'il est en si bonne forme ! Quant à Jean-Paul, il a passé Mare-à-Boue à telle heure. Je ne note pas l'heure dans ma tête, parce que je me rends compte immédiatement que je n'ai aucune idée de la distance entre Mare-à-Boue et Cilaos ! Quand arrivera-t-il ? Mystère. De toute façon, on attend.

Au bout d'un moment les deux autres fillettes repartent aux nouvelles pour leur papa. Leur maman leur demande de penser aussi au88 . Elles reviennent 5 minutes plus tard. "Maman, le dossard 1288 il s'appelle Claude, on le connait même pas !" Eh bien oui, pour elles tous les coureurs ont un numéro de dossard commençant par1200 , comme leur papa et le collègue de leur mère !

Tout de même, il fait frisquet en altitude. J'ai pris un pull pour Adèle, mais je commence à me dire que c'est insuffisant. La nuit commence à tomber. Tant pis, je ne verrai pas Jean-Paul. Finallement il passera environ un quart d'heure après que j'aie abandonné les lieux. Cilaos ou l'art de rater les deux concurrents que je suivais.

Je me retrouve tout de même à descendre la route de Cilaos de nuit, seule avec un bébé. C'est aussi un challenge ! Je prends mon temps. Il est largement temps ensuite, lorsqu'Adèle est couchée, de spéculer sur les horaires d'arrivée de mes concurrents. Mon idée sur la question est très simple : pour Jean-Paul je n'ai aucune idée, sauf qu'il devrait arriver après Christian. Et pour Christian : ben je crois que c'est un réel champion. Donc je pense qu'il arrivera tôt le samedi. Pourquoi pas à l'aube ? Oui mais ça, Adèle ne va pas aimer... Bon, tant pis, coupons la poire en deux. Je partirai pour la Redoute sitôt Adèle prête demain matin. Et si Christian arrive avant, il comprendra qu'il doit attendre. Je prépare les affaires et pense à Christian. Déjà Mafate ?

Samedi matin, en route pour la Redoute. Heureusement que j'ai accompagné Christian et Jean-Paul au retrait des dossards. Aucune hésitation, nous y voilà. C'est grand, j'observe partout. Ca y est, j'ai trouvé le stand avec des bornes internet, pour connaître en temps réel les derniers passages des dossards 16 et88 . Christian a passé Dos d'Ane. Quand je me renseigne sur le temps qu'il lui reste, les gens me demandent : "quel Dos d'Ane ?" Je ne comprendrai qu'à son arrivée qu'il y avait une boucle autour du village...

Un plan m'apprend tout de même que le dernier comptage avant l'arrivée est Colorado, à 5 km de l'arrivée. Je me dis donc qu'en allant à la borne internet toutes les heures, je ne devrais pas rater Christian. Parce que je ne peux pas attendre à l'arrivée même : c'est en plein soleil et Adèle est une petite blondinette métropolitaine, même barbouillée de crème solaire !

En attendant je discute avec des coureurs, aillant abandonné, étant arrivés. L'un décide de me raconter les difficultés qu'il reste à mon mari, m'explique en détail où il peut perdre du temps et quelles performances il peut espérer. Dommage que je ne comprenne que la moitié, il est créole et parle créole !

A11 h30, enfin, grande nouvelle : Christian a pointé à Colorado. Jean-Paul lui a pointé à Roche-Plate. Je ne sais pas trop où c'est, mais c'est dans Mafate. En route vers le coin le moins protégé du soleil de tout le stade. Heureusement, Adèle a la bonne idée de tomber de sommeil dans sa poussette. Je peux donc la couvrir d'un grand drap pour la protéger des UV. Et me voilà à scruter les arrivants. Pourvu que Christian ait son bob vert à pois bleus !

Il l'a ! Et il arrive pile à l'heure que j'avais prévue,1 h après avoir pointé à Colorado. Il a l'air fatigué, mais sans plus. Je crie, je hurle je fais des grands gestes. Je suis si contente de sa superbe performance ! Lui soulève laborieusement la main. S'il me reconnaît, c'est qu'il n'est pas mort...

Ca y est ! Je peux m'occuper de lui, il peut se reposer. Je vais chercher son repas, je récupère ses sacs, je l'accompagne aux douches et massages. Bref je parcours le stade de long en large. Un kilomètre de plus pour les concurrents que personne n'attendrait à l'arrivée. Pendant qu'il se fait masser je vois un type s'endormir en plein massage. Je vois un femme-médecin expliquer qu'on voit la dégradation des pieds des concurrents de 50 en 50 (les 50 premiers n'ayant aucune sequelle.) Les pieds des concurrents ressemblent à des gros bouchons fripés, cette spécialité culinaire réunionnaise. En moins appétissant. Mais cela ne décourage personne, puisque le mari de la femme médecin, bénévole comme elle en équipe médicale à la Redoute, parle de faire le Grand Raid l'an prochain.

Et pendant ce temps Jean-Paul... Son dernier pointage est toujours Roche-Plate. C'est dans ces moments que je trouve les pointages vraiment trop distants les uns des autres. Pour moi, c'est comme s'il n'avait pas avancé d'un mètre. Où en est-il ? Dans la voiture en rentrant à la maison avec Christian, nous spéculons : connaissant l'heure de passage de Christian à Roche-Plate et son heure d'arrivée, on fait une règle de trois à partir de l'heure de passage de Jean-Paul. Puis on ajoute une petite marge de sécurité. Bon, on en déduit qu'il devrait arriver entre minuit et4 h à la Redoute. Mais nous n'avons pas compte une chose : les bouts de parcours faits de nuit par Jean-Paul ne sont pas du tout les mêmes que ceux de Christian et surtout, il aura deux nuit sur les routes et non une. Que de parcours sans visibilité. Sans compter les incidents possibles. Le seul incident impossible à nos yeux : qu'il abandonne parce qu'il est trop usé. Les médecins devrons le retenir de force et le ligoter pour l'hélitreuiller, ou il arrivera à pieds !

Nous décidons donc avec Christian qu'il restera à dormir à la maison pendant que je retournerai à la Redoute. Je serai rentrée dimanche matin pour m'occuper d'Adèle, Christian est trop fatigué. Il y a1 h 30de route entre notre logement et le stade de la Redoute. Si j'ai l'impression que Jean-Paul a pris du retard (par exemple s'il s'est arrêté dormir), je rentre à la maison dormir... Ca c'est la théorie.

La pratique, maintenant. Je pars pour la Redoute le soir. Mais je suis fatiguée, et suis obligée de m'arrêter en route pour dormir3 / 4d'heure dans une station d'essence. Je culpabilise en arrivant à minuit pile à la Redoute. Et si Jean-Paul avait repris du poil de la bête et était déjà là ? Et là pour arranger le tout, grosse déception : le stand internet est fermé pour la nuit ! Comment faire ? Je trouve un journaliste connecté qui accepte de me donner le résultat de Jean-Paul : Dos d'Ane pointé en début de soirée (20h et quelques.) Un rapide calcul m'apprend que je peux regarder le film diffusé sur écran géant : "les Choristes". Toutefois à une demie heure de la fin, j'ai peur d'un changement de dernière minute, je retourne à la zone d'arrivée. Et découvre par la même occasion qu'un bénévole peut donner les temps de passage quand le stand SFR de bornes Internet est fermé. En fait Jean-Paul n'a pas pointé à nouveau. Je retourne au film. J'ai vu la fin !

Et l'attente continue. Je décide d'aller demander des nouvelles des passages toutes les heures (une heure, c'est ce qu'il a fallu à Christian pour faire Colorado - La Redoute, et je ne veux pas rater Jean-Paul.) Et la réponse est toujours la même : Dos d'Ane à20 h. En attendant j'applaudis les arrivants, et commence à pleurer un peu. L'émotion de voir ces piteuses personnes arriver (enfin !)

Je rencontre les fillettes avec qui Adèle avait fait connaissance à Cilaos. Elles attendent leur papa. Leur mère me désespère en m'affirmant que Colorado-La Redoute, c'est3 h de nuit... De toutes façon,3 h, ce n'est pas assez pour que je me paye le luxe d'un aller-retour jusqu'à un bon lit. J'ai un copain à Saint-Denis. Je pense souvent à la bêtise que j'ai eue de ne pas lui demander un accès permanant à sa chambre d'amis pendant cette longue nuit.

Une heure passe. Jean-Paul a toujours le même pointage à Dos d'Ane.20 h et quelques. Le papa des fillettes arrive. Il avait pointe à16 h à Dos d'Ane. Je demande à d'autres coureurs : aucun n'y a pointé plus tard que17 h 30parmi les arrivants. Le constat est clair : j'ai froid, je suis fatiguée et Jean-Paul arrivera après l'aube : je vais dormir dans la voiture. J'ai bien essayé d'applaudir les arrivants pour me réchauffer, mais c'est tout de même clairsemé, ça ne suffit pas. Et puis c'est trop d'émotion, pour quelqu'un de fatigué. Dans quel état est-il ? Où ?

Je me réveille1 h plus tard. Dernier pointage de Jean-Paul :20 h à Dos d'Ane. C'est désesperant. Quel Dos d'Ane, en plus ? J'ai compris que la question se posait, même si je ne comprends pas exactement son sens. Le bénévole au pointage me persuade que Jean-Paul a dû faire comme tous les concurrents arrivés hier soir à Dos d'Ane : dormir. Il n'arrivera pas avant9 h. Je finis par retourner me coucher dans la voiture pour2 h.

En me reveillant à9 h je me dirige immédiatement vers une borne internet. Grande nouvelle : il a passé Colorado. Pour moi c'est clair : il est là dans une heure, il est reposé puisqu'il a dormi, il fait jour... Quoique... Je le connais, c'est de la carne. Si ça se trouve il est crevé, il marche, il ne s'est pas arrêté. Ne le voyant pas débarquer à10 h j'opte de plus en plus pour la deuxième solution, tout en ayant peur de l'avoir raté. Je cours de temps en temps aux bornes Internet : non il n'est pas arrivé. Mais pourvu qu'il ne débarque pas pendant les 30 secondes où je m'éloigne du parcours... Ce qui est sûr c'est qu'il n'a pas abandonné (qui aurait cru ça ?) et maintenant il n'abandonnera pas. Il sera là à11 h30.2 h30, c'est bien ce qu'il faut pour faire 5 km de descente quand on est au bout du rouleau. Je fais des aller-retour sur les 300 derniers mètres. Je me pose, je repars. Et j'applaudis bien sûr tous les arrivants, tant qu'à les dévisager !

J'attends. Je scrute les visages. Qu'aura-t-il comme tenue particulière ? Pas de bob vert à pois bleus comme Christian... Les concurrents à l'arrivée sont de deux sortes : fringants, ceux qui ont dormi à Dos d'Ane doublent allègrement les épaves debout depuis plus de50 h sans repos. Et tout à coup, parmi un groupe de "pas frais", l'un a un short rose et bleu, les couleurs du club de triathlon de Jean-Paul. Je scrute le visage, mais j'ai du mal à reconnaître une tête connue. Sauf que là il me fait un sourire ! Il a survécu ! Et quand on le voit ce n'est pas un vain mot. L'émotion est à son comble, je l'accompagne sur les 50 derniers mètres jusqu'à la ligne d'arrivée. Il est à bout de forces, et il faut que j'insiste 3 fois pour qu'il ne s'arrête pas dans la zone d'arrivée et atteigne la pelouse. Je téléphone à Christian et laisse un message sur son répondeur. Malheureusement, il ne l'entend pas, et n'a que du crachouilli à la place !

Et voila, j'ai recuperé les deux. Il est midi trente et j'avais dit à Christian que je serais de retour avec son père en milieu de matinée. Mais ils l'ont fait tous les deux !

Un peu de logistique : récuperation des diplômes, repas pour Jean-Paul... J'amène la voiture jusqu'à l'entrée du stade (elle était à 50 m mais c'était trop pour Jean-Paul) Hop au bercail. Je suis crevée, j'ai rarement été aussi longtemps les nerfs à fleur de peau ( 18h à attendre des rescapés dans un stade), mais c'est fini ! Les deux survivants sont là !

Epilogue : Deux jours plus tard, nous allons à Cilaos en voiture. La démarche de Jean-Paul le trahit dans une boutique de souvenirs. "Vous l'avez fait ?" Et une femme accoste Christian : "Je crois reconnaître votre bob, vous avez fait le Grand Raid ?" >>

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Mis à jour le jeudi 05 mai 2005.