Coach
Une fois n'est pas coutume, pour ces 24h de Rennes, en ce week-end du 9-10 avril 2016, je ne suis pas sur le circuit, mais dans les stands. J'ai comme mission (importante !) de veiller à ce que la course de Valérie Mauduit, (dossard #4) ainsi que Wilfrid Lancelle (dossard #3) se déroule sans accrocs. Simple, non ?
Je fais ça pour plusieurs raisons. En partie parce que ça me permet de mieux comprendre comment fonctionne la face cachée de la Lune, comment un accompagnateur réagit, quels sont ses soucis, ce qui me permet de mieux me comporter quand je suis coureur. En partie parce que c'est une façon de renvoyer l'ascenseur à Valérie, qui m'a aidé tant de fois... Mais aussi et surtout, je fais ça parce que je les aime bien tous les deux, et parce que, croyez-y si vous voulez, mais c'est assez sympa et prenant, de changer de posture et d'être sur le bord du terrain.
Le départ me tracasse peu. Tous les deux sont bien préparés, chacun à sa façon. Ils ont des plans de route qui sont relativement modeste sur les 12 premières heures, et en particulier ils risquent de se retrouver en toute fin de peloton sur la première heure. Pour Wilfrid c'est vite plié il est dernier dès le premier tour, Valérie est à peine devant. Tout est normal. Pour info, il m'est arrivé de gagner des courses en partant dans les 30 derniers pourcents. Le départ, c'est toujours piège, tout le monde part à 10 km/h. Mais 10 km/h, en moyenne, c'est 240 bornes, sur 24h. En vérité on ralentit toujours vers la fin, mais bon, raisonnablement, 10 km/h, c'est une vitesse bien choisie pour, par exemple, faire 200 bornes. Il suffit de regarder combien de participants font le premier tour en moins de 6 mintues, et combien finiront à 200 bornes, pour se dire que, hum, en majorité, ils sont trop enthousiastes au début.
Je surveille quelques tours histoire de valider qu'il n'y a pas de grosse embrouille, genre fringues totalement inadaptées, chaussures qui font des farces, puis au bout d'une heure, je pars faire des courses en ville. J'achète la moitié du magasin "au cas où", j'ai envie qu'ils ne manquent de rien, même si le ravito officiel a l'air très bien. J'oublie de prendre des gobelets en plastique... L'épouse de Wil me rendra bien service en allant en chercher plus tard. Merci ! Et surtout, je perds un temps infini à trouver... une cuillère. Pas de couverts en plastiques dans toute la superette. Je fais le tour des rayons pendant une demi heure. Rien. On trouve des louches, des ouvres boîtes, des plats à tarte, des casseroles de diverses tailles, des couteaux, mais pas de cuillères. De dépit je me rabats sur un set de couverts pour bébé. Il y a une cuillère, une fourchette à 3 piques qu'on peut se planter dans la gorge sans danger, et un couteau à beurre pour faire des batailles de purée avec ses parents. Cela me rappelle de bons souvenirs. Je rentre au métro vers le stade, il y a foule sur le quai, ça sent la lacrymo. Apparemment, une manif contre une mesure stupide du gouvernement (il y en a tellement ces derniers temps, on a du mal à se rappeler quelle est la dernière connerie en cours...) est responsable de ces petits désagrément. C'est bien la peine de faire 300 bornes de TGV pour retrouver le cocktail manif + métro. J'avais les mêmes à la maison.
J'assiste avec un oeil au début intéressé, puis médusé et admiratif, au duel entre Mickaël et Stéphane, qui termineront à 81,8 et 83,8 km, sur le "6 heures". Disons que moi j'ai lamentablement échoué, la semaine précédente à maintenir un rythme qu'ils tiennent... deux fois plus longtemps ! Cela me laisse rêveur. J'ai du pain sur la planche avant de choper un niveau pareil.
J'essaye d'encourager les autres coureurs, tout en me concentrant surtout sur mes deux poulains.
Wilfrid a mal aux genoux, ce qui n'est pas très rassurant pour la suite. Il est hyper au-taquet sur ses temps de passage, semble s'inquiéter de ne pas avoir de marge. J'essaye de faire baisser son stress à ce sujet, sans toutefois être convaincu d'avoir réussi. Il a eu une préparation un peu compliquée, à mon avis il lui manque surtout des kilomètres au compteur, cela ne fait qu'un an qu'il a découvert la discipline, et la course de fond est l'école de la patience par excellence. Bon, on verra bien.
Valérie, elle, va son petit bonhomme de chemin, j'ai remarqué qu'Anne, une des concurrentes devant elle va spécialement vite, au rythme où elle est partie elle devrait cogner les 210, j'en déduis qu'elle va sévèrement ralentir. Je l'informe de ce point, mais elle semble dubitative. C'est vrai qu'Anne a l'air bien gaillarde et très sportive, mais bon, tout de même, on ne se ballade pas comme ça, à 11 à l'heure, impunément, pendant des heures.
C'est un peu compliqué niveau météo. Un coup il pleut, un coup il ne pleut plus. Du coup je me retrouve assez souvent à donner qui un coupe-vent, qui une veste, et/ou à les reprendre. J'ai commis un impair avec les lunettes de soleil de Valérie. Impossible de les trouver ! Faut dire, je suis doué pour organiser un gros bordel avec les sacs. Je téléphone à l'hôtel. Les ont-ils trouvées dans la chambre ? Non. Bon, en cherchant bien, c'est au fond du sac. Ahem.
Je discute un peu avec les autres accompagnateurs. Je cause 6 jours avec Mireille, la compagne de Philippe. Et puis aussi, les premiers sont partis diablement vite. Il sont un nombre impressionnant à être sous les 10h aux 100 bornes. À St Fons il me semble bien que j'étais au delà , mais en vérifiant non, j'étais bien en dessous avec 9h45. Mais j'avais terminé à 220, du coup ici j'imagine qu'on va voir du 230 au minimum, vu le nombre de fusées en circulation.
Wilfrid fait une pause (prévue dans son programme) et se retrouve en plein soleil. Je lui colle une casquette (modèle Sud-Africain, adapté au grand soleil qui cogne très dur) mais rien n'y fait, il a un méchant coup de mou. Il a chaud. Il a froid. Je connais la musique, ça sent l'hypoglycémie à plein nez. J'essaye de lui faire avaler quelque chose, mais rien ne passe, il a envie de vomir. Je lui dis que s'il veut vomir, l'herbe est faite pour cela, ici, on est comme à la maison ! J'essaye de jouer la carte "allez hop en route un verre d'eau un sucre et c'est parti" mais le problème semble plus compliqué que cela.
Plan B, je l'emmitoufle dans tout ce qui peut ressembler à un truc chaud dans le secteur. On me prête une couverture. Top la solidarité. Mais le sol est froid. Saleté de météo pourrie. Les secours arrivent. On cause, on discute, et puis bon, Wil part sur une chaise direction le gymnase, où il fait plus chaud. Là , il est pris en charge par une équipe ma foi fort sympathique, avec des ostéos machin tout ça pouet pouet.
Bon, je vais passer pour une brute finie, mais le problème qu'il a, Wil, n'est pas très nouveau et compliqué à mon sens : un simple problème de carburant. Plus de jus, plus de pile, on fait une hypo, on s'arrête, on a froid, chaud, on tremble, on est tout patatra, on a envie de gerber, et plus ça va plus c'est pire. Il suffit en général de se reposer au calme, recharger les batteries avec du manger et de la boisson, et ça repart. Le plus efficace c'est la perfusion au glucose, mais c'est pas très politiquement correct et un peu compliqué à mettre en place. Le truc c'est qu'une heure d'arrêt l'a complètement refroidi, du coup il est contracté de partout. Les ostéos font des miracles. Deux heures plus tard, il est à nouveau d'attaque.
Enfin, plutôt, il est à nouveau sur le circuit. Niveau rythme on se calme, courir n'est pas très raisonnable. Mais marcher, il peut ! Valérie a été top, elle comprend que Wil devienne la priorité pendant ces quelques heures. Mais en échange, j'ai raté son passage des 100 km, elle est passée en 13h30 environ, explosant ainsi son record personnel.
J'accompagne un peu Wilfrid dans la nuit. Ce n'est pas tout à fait légal car le 24h, c'est une épreuve individuelle, mais bon, j'estime qu'il vaut mieux que je le surveille un peu plutôt que de le laisse faire une syncope au détour d'un grillage. Le risque n'est pas énorme, mais bon, hein. Et puis, sur un malentendu, ça peut toujours l'aider à passer le temps ! Il ne menace personne au classement, on va dire que c'est toléré de marcher discrètement à côté de lui.
Je suis très surpris car je ne vois pas (je ne vois plus...) la tête de course. Certains coureurs des 12 heures continuent à nous doubler régulièrement, mais des 24h, je n'en vois pas. Pourtant on lambine à 14 minutes au tour (4 km/h environ) donc on devrait les voir nous dépasser tous les tours, ils devraient en faire deux quand nous en faisons un. Mais, quasi personne. Étrange. À mon avis, le classement va bouger !
Valérie continue sa remontée. Je la vois, elle a fière allure. Enfin, disons, elle a une foulée pourrie toute ratatinée, comme il se doit à 2h du matin mais... Elle avance !
Wil a à nouveau un coup de bambou. Il tombe de sommeil. Je vois le rythme qui descend. Descend... OK, ça sert à rien d'insister, si on tombe à 30 minutes au tour, le jeu n'en vaut plus la chandelle. Direction le gymnase. Je prévois 45 minutes pour lui. En attendant je surveille Valérie. Au bout de 45 minutes il est toujours HS. Un petit rab' de 30 minutes, on n'est pas des bêtes. Finalement je le réveille, et on repart. C'est dur pour lui. Si vous ne vous êtes jamais levé dans un gymnase tout rouillé à 5h du matin pour aller faire des tours alors qu'il gèle dehors, vous ne vous rendez pas compte.
Il s'en sort très bien, en deux coups de cuillère à pot, le voilà qui tourne à nouveau. Un petit 3 ou 4 km/h, pas hyper impressionnant, mais bien régulier, tenu. Il ratera les 100 bornes, c'est à peu près certain, mais le double marathon, c'est crédible.
Enfin, le jour se lève.
Juste avant cet événement, j'ai "craqué" et j'ai fini par enfiler le t-shirt supplémentaire et le collant que j'avais gardé "au cas où il ferait froid" à mettre en dessous de toutes les couches dont je dispose déjà . Il pèle sa race, bon sang !
Valérie a fait du bon boulot dans la nuit, elle finira avec un superbe 154 bornes, et une place de seconde. Je suis très fier d'elle. Et de Wil aussi, même s'il devra faire un nouvel essai pour dépasser les 100 ou 120.
Le finish des premiers hommes sera très surprenant. Avec le second qui était premier au début qui repasse premier 50 minutes avant la fin. Et celui qui naviguait en 3ème position qui fait un finish d'enfer et termine... premier ! À cinq minutes de la fin. Assez rare et franchement passionnant à regarder.
Remarquable aussi la performance du copain Robert Miorin, qui termine à 199,6 km, à un tour de stade du 200. Sacré Bob ;)
Un petit goût de trop peu ? Lisez le CR de Valérie.