CR Grand Raid 73

Bon, le Grand Raid 73 ça fait un certain temps que je voulais y aller. D'abord parce que mon ami Gilbert Codet fait partie de l'organisation (Gilbert, habitué des 6 jours, et qui m'a accompagné en Irlande en 2013 ). Ensuite parce que, bah, sur le papier, la course elle a l'air bien. Un je-ne-sais-quoi qui respire le truc familial, rien qu'à consulter le site Internet de la course on se dit qu'on va tâter de la tomme et du produit régional aux ravitos.

Par ailleurs, la course a des caractéristiques intéressantes : 73 km et 4 800 D+. Si vous multipliez par 12 vous obtenez environ 870 km et 54 000 D+. Comme par hasard. On dirait une traversée des Pyrénées. Donc, en gros, si vous faites un GR73 par jour, au bout de 12 jours, vous avez fini l'équivalent d'une Transpy. Comme on a forcément des jours "sans", et que les multiplications de ce type, ça marche jamais vraiment, il me semble qu'il faut véritablement être capable de "rentrer un GR73 par jour", pour finir la Transpy. Avis personnel.

Je prends donc le pari de faire ce GR73 avec un équipement cible Transpy, à savoir une tente, un duvet, tout un tas de bordel utile ou obligatoire ou les deux. J'ai opté pour mon vieux sac Karrimor SF (la gamme militaire de la marque) 35 litres (modèle "Delta 35") qui a le défaut de commencer à être un peu usé, certains élastiques sont tous détendus etc. etc. En revanche, je connais ce sac comme ma poche, j'ai baroudé avec pendant des heures, des jours, et ça ça a une certaine valeur. Il est un poil lourd mais pour un 35L c'est pas non plus la catastrophe. Et, avantage certain, il est hyper costaud, impossible de le déchirer sur une branche. J'ai pas hésité à charger, je n'ai pas vraiment optimisé, j'ai pris 3L d'eau, à manger, j'ai transporté 2 téléphones, des piles de rechange, 3 sandwichs, bref, y'avait du monde. Disons qu'il pesait, je pense, ce qu'aurait pesé mon sac en sortant d'une base vie la Transpy. Après, c'était surtout pour me rendre compte "comment ça fait".

La veille de la course, c'est grève SNCF. Petite panique à Lyon, vais-je avoir mon train pour Montmélian ? Non, il est annulé. Mais il y en a un autre. Heureusement que j'avais un "téléphone intelligent" avec moi. Sans lui, j'aurais loupé mon train. Agents SNCF surchargés, il y a à notre époque une véritable privatisation de l'information. On "suppose" que vous avez un téléphone avec un accès Internet et tout le toutim, c'est considéré comme acquis. Je me rappelle d'une époque où il y avait des panneaux d'affichage... Bon, j'arrête de faire mon vieux con.

J'arrive donc sans encombres à Montmélian. Et là, sur le parking de la gare, alors que je constate que non, même si (honte à moi...) j'ai la flemme de marcher 6 bornes pour rejoindre Cruet, il n'y a aucun taxi, une dame m'interpelle.

  • Vous allez où ?
  • À cruet !
  • Vous voulez qu'on vous emmène ?
  • Vous y allez ?
  • Non, mais on peut vous emmener !
  • Ah, euh, oui, euh, merci Madame... Ça ne vous gêne pas ?
  • Non non, allez, on vous emmène.
  • D'accord, mais alors vraiment, merci !

Et c'est ainsi que j'ai rejoins Cruet en voiture sans même faire du stop, c'est le monde à l'envers, on m'a demandé de monter en voiture, la dame s'est pliée en 4 pour moi, on a poussé le pot de fleurs dans le coffre pour rentrer mon énorme sac (celui du tour du Ben Lomond , le 100L). Bref, le monde est rempli de gens sympas et formidables, et cette dame, accompagnée de sa maman et sa belle-maman, en fait très naturellement partie.

C'est donc d'une humeur excellente que je rentre dans Cruet, je retire mon dossard, tape le carton avec Gilbert, et en sortant, me dirigeant vers l'auberge, je croise un type avec une tête qui me dit quelque chose mais je sais pas trop qui c'est, je n'arrive pas à le remettre. Lui, il me reconnaît. C'est Éric "Coureur Solitaire" de feu le Forum UFO. Mais si, rappelez-vous Frank Braine, l'écrivain. On est, me semble-t-il, réciproquement contents de s'être croisés, du coup nous dînons ensemble à l'unique auberge de la ville. Un établissement simple mais efficace, on y mange bien, la bière est bonne avec des bulles, et j'ai dormi comme un loir. Et la patronne est sympa. Que demander de plus ?

Petit déjeûner
Organisation efficace, rien à redire. Validé !

C'est donc d'une excellente humeur, sur le coup de 5h du matin, que je prends le départ de ce trail familial. Assez rapidement, au bout d'environ, hum, 3 mètres, je suis dernier. Dernier car j'ai farfouillé un truc dans mon sac, et puis voilà, ils sont tous partis devant. Bon, je ne suis pas très pressé, mon train pour le retour est demain, je n'ai rien à faire ce soir ni cette nuit, je crois me souvenir que le temps limite est dans les 18h ou un truc du genre, ça me semble, vu d'ici, hyper méga large.

Je discute dans la montée, car comme tout trail digne de ce nom, on commence par une montée, avec différents coureurs, puis je croise Sandrine, la compagne de Manu "Le Sanglier". On cause on cause et puis hop on cause plus parce que Sandrine est partie devant. Elle est partie devant car nous avons traversé un secteur avec, hum, comment appellent-ils ça déjà ? Ah oui, des lapias. Il a neigé en altitude avant-hier, aujourd'hui il fait beau et il va faire chaud, mais en attendant, tout est trempé. Et ça glisse, nomdoudiou. Je reste prudent et passe à un rythme de sénateur, point n'est besoin de prendre de risque, imaginons que je sois sur la Transpy, je n'aurais même pas couru un seul mètre depuis le début de la course, le but n'est pas de se vautrer dès la deuxième heure.

Je calcule que je dois être à 10 places de la fin. J'imagine que je vais remonter du monde plus tard. Ou pas. Je m'en fiche un peu je crois. Il fait beau. Je profite de l'instant, je jauge mon matériel, je respire, je souris. Je m'entraîne à me décontracter en descente, prendre le bon côté des choses même si, vraiment, j'aime pas ça, descendre...

Certains passages sont ultra roulants, d'autre un petit peu foireux, mais rarement très longs. Parfois il y a de la bonne boue mais là, astuce, j'ai chaussé mes grosses godasses de rando, et la flotte reste dehors. Je pense que j'étais le seul coureur à l'arrivée avec les pieds secs ;) OK elles pèsent 800g pièce mes grolles, mais les pieds au sec, sur une Transpy, moi, je fais le pari que c'est utile. Je peux me tromper. Je peux aussi avoir raison. À voir. Pour l'instant j'ai toujours un doute sur les ampoules au niveau du talon, ça frotte quand même un peu. Mais rien de dramatique. Elles ont bientôt 400 bornes et semblent à peine rôdées.

La vue sur la vallée, en amont de Chambéry, est juste superbe, avec les montagnes toutes blanches au loin, le Mont-Blanc quelque part planté au milieu. On en prend plein les mirettes.

Vue les montagnes là-bas en face
Sur une bonne partie du parcours nous avions vue sur cette magnifique chaîne. Inoubliable.

Mais le massif des Bauges, en lui-même, est aussi très joli. Avec des chemins un peu farceurs, ça me fait, toute proportions gardées, penser au Perche en vélo. Sur le papier on se dit "c'est pas de la vraie montagne !". Et sur le terrain, ouaaahhhh pinaise, ça monte et faut pousser dru pour s'arracher à cette incontournable attraction universelle qui nous clou au sol.

Sans surprise, je refais souvent un peu de retard sur les autres dans les montées, et je perds tout en descente ou sur le plat. En descente parce que j'ai une technique dite "du parisien pas bien entraîné" (je revendique !) et en plat parce que, entre mes pompes de pêcheur à la ligne et mon sac-à-dos de randonneur au long cours, bah courir, c'est pas le plus naturel. Le sac, c'est bon, j'ai compris, je vais l'optimiser. Sans déconner, gagner 2 ou 3 kilos là-dessus, ça me paraît juste... fondamental. La tente, je crois que bon, hein, je la mettrai dans le drop bag "au cas où" en fonction de la météo prévue sur la semaine suivante et/ou de mes expériences les premiers jours. Mais là, gagner 1,5 kg, j'achète de suite. Bon, j'ai joué au con pendant ce Grand Raid 73, j'ai systématiquement fait le plein de 3 litres d'eau à chaque ravito, histoire de bien être certain d'être en mode "gros porteur" la plupart du temps. Mieux vaut tester pour de bon, quitte à le faire. Mais j'ai appris des trucs. Par exemple : les mousquetons que j'ai pris pour bloquer mes gourdes, c'est une bonne idée, mais j'ai acheté des modèles pourris qui ferment mal, s'ouvrent tous seuls, et je perds un temps précieux à poser mon sac, maniper les machins, bref, les tests terrain, y'a que ça de vrai. Et je ne m'étais pas aperçu de tous ces détails en Écosse.

Premier ravito. Ah... Je mange, je bois, y'a du saucisson, il fait un soleil d'enfer, la vie est belle. C'est cool. Je repars tranquille, apparemment il y a une grosse bosse puis on descend puis c'est le ravito suivant. Dans 24 bornes ou un truc du genre. Négligent comme je suis je n'ai pas du tout regardé le parcours avant, pourtant bien documenté sur le site de la course et au retrait des dossards. A priori c'est plus long que ce que nous avons déjà fait. Ah ? Du coup ça fait... plus que 3 heures ? Et on serait à peine au delà de 40 ? Tiens. C'est pas très rapide. Une idée traverse mon esprit embrumé "faudrait pas se dépêcher par hasard ?". Mais je reste sur mon rythme de base, de toutes façons accélérer est très coûteux, je l'ai déjà dit mais le poids du sac et les grolles ne permettent pas les pointes de vitesse.

Je confirme, il y a une belle bosse. Avec une vue imprenable. Zut, j'oublie de faire une photo. C'est ballot. S'en suit une descente et un point d'eau intermédiaire. Point d'eau où une concurrente, juste derrière nous, dossard 69, que j'ai croisée plusieurs fois, semble très inquìète sur la barrière horaire. Ah bon ? Mais pourquoi ? Moi, naïf, trop sûr de moi, convaincu qu'en rando-course sans trop forcer, je vais rentrer large à la maison. Les messieurs dans le véhicule nous disent qu'il y a 7 gros kilomètres. Et la limite c'est 14h30. Huh ? Je calcule rapido. Oh boudiou, ça veut dire qu'il faut... accélérer... En gros on a fait du 4 km/h sur le dernier tronçon, et là faut aller plus vite que ça. Normalement ça devrait être bon car le tronçon qui vient est relativement plat mais tout de même, ce serait stupide de se retrouver bloqués pour 5 minutes de trop. La sympathique concurrente numéro 69 prend très au sérieux cette alerte et met les bouchés double. Moi j'estime que bon, ça devrait rentrer sans se faire mal. Je n'ai pas envie de souffrir aujourd'hui, j'ai envie de prolonger cette belle journée. Point. Qu'on me fasse pas chier avec ces histoires de chrono, mince alors !

On longe un peu la route. Une ambulance s'arrête à mon niveau. "Vous allez bien ?". M'enfin ? Un peu que je vais bien, mais là c'est du sérieux, la voiture balai ne semble pas loin. Ahem ahem. Bon, finalement je me pointe au ravito du "40 et des poussières" avec 20 minutes d'avance sur la barrière. Tranquille quoi. Manu Sanglier est là.

  • t'as déjà fini ?
  • oui, et je suis revenu applaudir les copains !

Mince alors, là, je me sens nul. Je sais bien que les premiers ont déjà du arriver, mais y'a pas longtemps. Pour être là, ça veut dire qu'il est super méga bien classé, OK, Manu le trail il connaît bien, mais je ne me voyais pas *à ce point derrière*. Enfin, pas grave. Je mange, je cause un peu, et suis finalement assez cool car le parcours a été tronqué de 3 km de distance et 300 m de D+ à cause de la neige pas tout à fait fondue etc. etc. Du coup, ça devrait dérouler tout seul.

Je repars, content d'être planqué sous les sous-bois, car le soleil cogne bien. Mais nous sommes plutôt bien protégés par la végétation. À la sortie de la forêt, avant le dernier "grand col" je pose mon sac et un concurrent me propose de faire une photo. Diable, l'idée est excellente ! Je médite sur cette barrière horaire, sur laquelle, finalement, j'ai assez peu d'avance. Si on avait eu les 3 km et les 300 m prévus, j'aurais du renoncer à la photo, aux petits bavardages aux ravitos, et me fouetter davantage dans les descentes et les plats. Mais c'est décidé, aujourd'hui, je vois le bon côté des choses et tout se passe à merveille.

Il a neigé hier
Aux alentours du km 50, on voit ici la neige en arrière plan, avec le cagnard ça avait bien fondu, mais y'avait des restes, quand même.

Le ravito suivant est au sommet d'un petit monticule, a l'arrivée d'un télésiège. Sur la fin c'est assez interminable. On le voit, mais on n'y est pas. On le revoit, mais on n'y est toujours pas. C'est long et dur. Comme ma bite. Quoi comment ? Non je l'ai pas dit ! Bref, je m'égare, je crois que je fatigue un peu. On sert des diots et du poulet à ce petit ravito. Et de la soupe et on peut même, si on le désire, avoir un massage, qui, aux dire de ceux qui en ont profité, mérite indiscutablement le détour. Le massage très peu pour moi. Je discute un peu et file discrètement vers la suite du parcours.

25 minutes plus tard, il y a un truc. Quelque chose qui manque. Oh.... non... mes bâtons... ils sont restés là-haut. Bon alors là, hors de question d'aller les chercher, minimum 40 minutes pour remonter, plus la descente à nouveau, je vais *vraiment* finir hors délai. Je fais le pari que l'organisateur va les voir et les ramener. Et puis faudra que je pense à virer ces dragonnes dont je ne sais que faire, à part emmêler les bâtons entre eux quand je les porte d'une seule main, je ne vois pas l'utilité du bidule. La traction tout ça en côte, j'en ai rien à caler, ça pousse très bien comme ça en attrapant les poignées à pleines mains.

Je cause un peu avec un concurrent dans la descente, tiens marrant, il connaît Dominique et Patrice, que j'ai rencontrés à la reco de L'Ultrathlétic Ardèche il y a quelques semaines. Le monde (de l'ultra) est décidément petit.

Le jour commence lentement à décliner. J'enlève mes lunettes de soleil. Oh tiens, encore un peu de boue. Sans les bâtons, là, ça devient intéressant, ça fait un peu "épreuve de patinage libre". J'aurais peut-être du mettre les guêtres, à force il y a quand même un peu de saleté qui rentre par le haut des chaussures, au niveau de la cheville.

Enfin le dernier ravito, 5 kilomètres avant l'arrivée. Ça c'est cadeau. Là c'est sûr je suis dans les temps, avec un chrono pourri mais si ça m'intéressait j'aurais du m'en préoccuper avant. Je cause donc 5 minutes, bois, mange, bref, je savoure ce GR73 jusqu'au bout.

Et puis la descente finale, où je rencontre un gars tout sympa qui lui aussi, fait du vélo, a même touché du cyclo-cross (assez rare, en fait), on cause on cause, on se fait doubler par 2 ou 3 gaziers qui sans sprinter, courent, a minima, sur la fin, tandis que nous marchons d'un bon pas.

C'est ainsi que j'arrive avant-dernier ex-aequo de ce Grand Raid 73 édition 2016, en presque 17h00. Et mes bâtons sont là, à m'attendre, ainsi que mon Opinel de finisher, le gadget totalement indispensable au citadin endurci que je suis. Manu m'a bien eu, en fait, il avait simplement abandonné a 40 sur blessure, et moi qui avait cru qu'il avait eu le temps de finir prendre une douche et revenir sur le parcours en bagnole. Ma crédulité me perdra. Et je suis déçu pour Manu.

Est-ce que je recommanderais cette course à mes amis ? M'enfin oui, sans hésiter ! Et pour moi, la suite, ce sera à la 6666 dans 3 semaines.

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Mis à jour le mardi 24 mai 2016.