L'Ultrathlétic Ardèche c'est un gros 200 bornes (205, 208, 210, on va pas chipoter, c'est plus de 200) sur route, dans l'Ardèche. Avec, en prime, du dénivelé. Un gros 3000 on va dire.
Le format de course est celui du Spartathlon dans le sens où on part le matin, on arrive le lendemain soir, les ravitaillements sont entièrement gérés par l'organisation.
J'avais fait l'édition zéro en 2016 , bouclée en 28 heures, avec un climat plutôt frais. Cette année, on anticipe une bonne vieille chaleur. Avant la course je fais des blagues qui parlent de "grillades" avec une "belle brochette de coureurs". Enfin, on verra bien.
La course part le vendredi. Un peu chaotique, car on devait, avec Valérie faire les 100km de Steewerck la nuit du mercredi au jeudi. Valérie en coureuse et moi en accompagnateur. Pour N raisons, en particulier, elle n'était pas inscrite (!) on a juste fait un saut de puce dans le Nord. L'occasion de croiser les Wepierre (habitués des 6 jours), Jean-Claude Perronnet (coureur non-voyant, personnage incroyable) et le très sympathique Vivien Ramon, qui nous gâte de spécialités locales.
Enfin bref vendredi à l'aube, on est au départ. Je vois sur la ligne pas mal de gens dont j'imagine mal qu'ils vont finir. En vérité, tout le monde peut y arriver. C'est juste que, voyez, sur la reco, j'ai mis 28h. Là , les conditions risquent d'être encore moins favorable, car pour la performance, le chaud, c'est pire que le froid. Pour les accompagnateurs c'est plus sympa, mais pour les coureurs, en général, c'est un carnage. Donc mettons que je mette un peu plus, par exemple, 30h. Ça fait juste 20% de marge derrière moi. Par exemple si c'était marathon, ça fait temps limite à 4h00. Sur 100km, ça ferait temps limite à 12h00. Sur 24h, distance mini 160. Voyez le tableau ? Le temps limite est serré, c'est un fait. Maintenant, c'est la magie de ces courses, tout le monde peut s'inscrire. Y'a le papier, et le terrain. Et souvent sur le papier ça a l'air facile mais sur le terrain ça l'est moins. C'est le cas général. Mais parfois sur le terrain, il y a des talents qui se révèlent. Bon, on verra bien, mais ça va être dur.
Première partie du parcours : deux bosses étalées sur 60 bornes. Pour simplifier. Le matin, pour le coup, il fait une température idéale. J'opte donc pour un départ légèrement rapide. Mon calcul est : mieux vaut profiter de ces bonnes heures où on avance facile dans de bonnes conditions, sans se cramer bien sûr, mais en poussant un petit peu la machine quand même.
Je déchante assez rapidement. J'ai bien essayé de "dérouler une belle foulée, élégante et aérienne" mais très vite je cogne dans le dur. J'ai le genou gauche qui me fait mal. Assez mal. Franchement mal même. Inquiétant, même pas 30 bornes et la mécanique coince déjà . Je me dis que ça va passer. Faut y croire. De toutes façons j'ai pas trop le choix, maintenant que je suis parti...
Je discute un peu avec les compagnons que je croise sur la route. Le peloton est encore assez dense pour qu'on se croise de temps en temps. Je donne quelques conseils à Claudine, qui tente son premier 200 si j'ai bien compris. Bon mes conseils sont assez simple. Je vous les donne, ça ressemble à : "tu pars pas trop vite, et puis sur la fin, ben quand c'est dur, tu t'accroches très fort". 14 saisons d'ultra, de 2004 à 2017:page:.. pour en arriver là . On est bien peu de chose.
Dans la dernière descente, je ramasse par terre un plan de course. Un type - je ne sais pas qui - a perdu donc son plan de route, avec tous les temps de passage et tout et tout. Du travail d'artiste, y'a toutes les distances, les dénivelés entre chaque CP, des temps de passage prévisionnels, assez réaliste. Bref, un super plan de route. Moi, j'avais rien préparé. Lui, il avait tout prévu. Sauf qu'il a mal accroché son bordel, et qu'au final, c'est qui qui l'a bien épinglé sur son sac, le plan de route de l'espace ? Mmm ? C'est moi ! Bon je remercie ce coureur, j'ai bien imaginé le rattraper pour lui rendre, mais quand j'ai vu un temps final prévu de 25 heures et des brouettes, je me suis dit que c'était pas très réaliste. Donc les temps de passage, j'ai oublié, en revanche le profil avec la position de tous les CPs, que du bonheur.
J'arrive donc au 60, pas trop entamé, mais un petit peu quand même. Mon genou s'est stabilisé. Je croise Valérie au ravitaillement, elle fera des sauts de puce de CP en CP pour m'aider. Elle me suit donc en voiture. Le suiveur en vélo sur cette course ne sert à rien car : le règlement interdit l'aide en dehors des zones de ravitaillement. Et il faut quoiqu'il arrive porter le matos obligatoire sur le dos. À ce tarif, un accompagnateur vélo ne sert qu'à ... offrir de la compagnie. Ce qui est certes appréciable mais qui ne change pas la donne pour moi. J'ai une bonne résistance à l'ennui. Il me semble que si on n'a pas une bonne tendance à l'introspection et une capacité à gérer l'effort solitaire, bon, sans détour, faut pas faire de l'ultra. Point. Donc bref, Valérie est là , je mange un bon coup, et c'est reparti.
Peu après le 60, alors que je traverse Privas, Julia Fatton me double. Je me dis instantanément "toi, je vais pas te revoir". Et j'avais vu juste. Elle finira seconde au scratch, elle les rattrapera tous, sauf le premier. Sans rire, elle nous a donné ce que j'appelle "une bonne leçon de course à pied". Elle est partie à 9 km/h. Elle a du arriver à 8 km/h. Un mé-tro-no-me. Valérie me racontera plus tard qu'aux ravitaillements, les bénévoles notaient pour elle la même heure d'arrivée et de départ. Moins d'une minute d'arrêt. Pour moi, c'est la championne de cette édition 2017, OK elle manque la première marche du podium global (elle est tout de même première féminine, évidemment) mais sur le style, la gestion de course, c'est elle la Grande Patronne. Dans le genre, la meilleure vidéo que je connaisse sur le sujet Dave Wottle aux JO de 1972, finale du 800m que j'appelle aussi "le coureur avec la casquette blanche". Regardez, et appréciez, une leçon de course à pied, c'est ça. Il a couru régulier, 4 fois le même 200 mètres, tandis que les autres se sont épuisés devant. À méditer.
Bon, on attaque donc la suite. C'est là , entre le 60 et le 100, que pas mal de drames se sont joués sur cette course, je pense. Je connais le parcours. Cette montée interminable, à fond de vallée. Sans surprise, je reprends du monde. Oh, je ne cours pas très vite, pas aussi vite que Julia. Mais pour d'autres, c'est encore plus dur. Là , si t'as pas bien mangé avant, si tu t'es pas bien hydraté, c'est sans appel : calage assuré. Inévitable. Et si le kilomètre 80 ne suffit pas, il y a le 100, en double coupe derrière, pour t'assommer. J'ai pas mal discuté à l'arrivée avec des coureurs qui avaient coincé. Toujours la même histoire : "je pouvais plus rien avaler", "le soleil", "plus de jus"...
Je discute un petit peu avec Pascale Bouly. Très sympa, elle souffre de la chaleur. Je ne m'inquiète pas non plus énormément pour elle, elle a du métier, elle trouvera bien un moyen de finir. En revanche je suis un peu surpris par Claudine, qui me dépose littéralement peu avant le centième kilomètre. Je veux dire, elle m'a enrhumé. Je suis incapable de suivre. Bon tant pis, je la rattraperai peut-être après, me dis-je, mais elle a une patate, un truc, incroyable. Alors que moi, je dandine comme un canard. Régulier, mais le rythme, pas dingue.
Et puis la nuit finit par tomber. À force, hein... Avec elle la fraîcheur. Et puis l'assoupissement. Je me rappelle avoir passé toute une montée, interminable, à zig-zaguer sur la route. Sauf qu'il faut faire gaffe quand même, côté droit, y'a qu'une marche, mais elle est haute. Bon, je m'en tire pas trop mal. Encore une fois, je ne tiens pas une allure du feu de dieu, mais au moins j'avance, et c'est l'essentiel. À ce stade il me semble que sauf grosse avarie, je vais rentrer dans le temps limite. J'ai un hôtel réservé pour demain soir, pas de train à prendre, donc à partir de maintenant, tout à gagner, rien à perdre.
Le parcours a été légèrement modifié depuis la reconnaissance de 2016, et la nouvelle version est mieux. Davantage de petites routes. En revanche, je crois bien qu'il est encore plus dur. Et ça monte, et ça descend. On a eu un peu de plat la nuit, mais à partir du matin, c'est fini fini.
L'inénarable Juan Carlos Prada me talonne. On a l'occasion de discuter un peu aux ravitos. Je suis en bonne compagnie. Dans l'ensemble, maintenant, nous sommes très clairsemés. Un coureur toutes les 30 minutes, environ.
Je tente de rentrer sous les 30 heures. J'ai l'impression que ça passe. Avec 205 kilomètres, ça passe. Mais c'est pas 208 ? Bon, on s'en fout, j'ai trouvé mon plan de bataille : je vais le plus vite possible, et si ça rentre, tant mieux, et si ça rentre pas, tant pis.
Alors je force un peu l'allure. Mais bon, comme l'entraînement a été un peu léger et que j'ai bien 160 pitons au compteur, c'est pas très impressionnant. Enfin j'essaye de ne pas me laisser abattre. Je marche pas mal dans les côtes, mais dès que c'est plat ou en descente, je trottine. Et à ce sujet, je ne sais pas comment les marcheurs ont fait. Enfin, je veux dire, *le* marcheur. Un seul a fini. Je connais un peu la marche, j'ai fait quelques courses horaires en marche, mais je m'imagine mal sur ce parcours en marchant. Tellement de descentes qui passent tellement mieux en courant. Et puis... le rythme ! Impossible de prendre le moindre répit, à la marche. Pour cela, j'envoie mes sincères félicitations à Jacques Moutier, qui finit en 34h et des brouettes. Incroyable. Bravo.
La fin du parcours est abrutissante de chaleur. Une descente interminable sur une route touristique, assez fréquentée, mais qui nous évite la descente à 15% du parcours 2016 (!) et ensuite une route plus vraiment touristique, en plein cagnard, et qui me paraît bien longuette. Je passe en mode robot, tacatacatac, petites foulées, ça va pas vite mais le rendement est bon.
Je m'arrête dans des toilettes publiques et bois un bon litre au lavabo, heureusement que je les vus, ceux là , une vraie bénédiction. Puis l'ultime ravitaillement, où je suis bichonné, on prend soin de moi comme un nouveau né, c'est est presque gênant.
Et puis bon, ce qui doit arriver arrive, je franchis la ligne d'arrivée. J'ai manqué les 30 heures. Bon, je crois que j'aurais du me renseigner mieux avant de partir, il me semble que c'est 208 et pas 205. Mais en vérité, je m'en fiche un petit peu, je suis déjà bien content d'être là , nous ne sommes pas si nombreux que cela à finir, seulement 27 coureurs et un marcheur, soit deux tiers d'abandon.
Je vous recommande cette course, parce que, j'ai oublié de le dire, mais les paysages sont superbes. C'est un grand moment nature, finalement tous les avantages du trail, le dépaysement, la solitude, les petits coins paumés, mais tout cela avec le confort d'une course sur route. Un style particulier, les amoureux des chemins préférerons les chemins quand même, mais moi je l'aime bien, cette petite virée ardéchoise.