Normalement, ici, je parle surtout de course à pied, de vélo, d'endurance, mais là , exceptionnellement, je cause bateau.
Je ne suis pas un marin, loin s'en faut. Mais quand j'étais petit (genre, petit), mon papa adorait la voile. Entre autres, l'année de mes deux ans, il s'est construit un Vaurien. Et j'ai pas mal navigué dessus étant gamin. J'en garde de bons souvenirs. Je me souviens qu'il y avait deux directives courantes "borde !" et "choque !". La première, on l'entend souvent, la seconde, c'est plus rare. Un peu comme sur la fin d'un ultra, on a rarement vu un coach sur les 10 dernières bornes d'un 100 kilomètres qui dit à son poulain "ralentis, t'es trop fort là ".
Et récemment, en 2014, on a ressorti la bête. Mon paternel et ma soeur l'ont repeint à neuf, ayant été bien conservé à l'abri des intempéries pendant toutes ces années, il naviguait encore ! Jean-Paul m'a donné une formation, on va dire, succinte mais néanmoins efficace - surtout j'ai essayé de me rappeler de me souvenirs de 25 ou 30 ans avant - et roule ma poule, j'ai réussi à contrôler le bazar et en fait, la voile, c'est super rigolo.
Or donc, suite aux 100 km de Cléder , on est dans le secteur dit "Ouest de la France" et on en profite pour aller passer quelques jours de vacances à Noirmoutiers, là où est garé le bateau, bien au sec dans son garage.
Première étape, arriver à gréer le bousin sans se planter. Sur le papier c'est vachement simple. Sauf que je ne suis pas naïf, j'ai pas trop intérêt à me gourrer, parce que si tu te plantes sur un truc, une fois que t'es sur l'eau, c'est trop tard pour changer d'avis.
Je prends des photos des étapes clés, genre les trucs qu'il m'a fallu 5 ou 10 minutes de réflexion pour être bien sûr de mon coup. Comme ça, la prochaine fois, ce sera plus simple.
Et puis bon, à un moment, faut prendre la mer. Littéralememt, faut se jeter à l'eau. Enfin oui mais non, si on reste sur le bateau, c'est quand même mieux.
L'idée, c'est aussi de faire découvrir la voile aux filles, donc à chaque fois, j'en prends une avec moi. Évidemment, on a les gilets et tout le tralala, et puis on va pas très loin, au pire du pire, on perd le bateau, et on revient en nageant. On aura l'air très cons, mais c'est surtout l'ego qui sera blessé. Autre détail, je sors marée montante, et le vent souffle du large, donc mécaniquement, si je ne fais rien, le bateau va revenir s'échouer plage de Luzéronde.
Bon bref, sur le papier, ça peut pas rater. Sauf que, le bateau, c'est comme la course à pied. Y'a le papier, et puis y'a le terrain. Alors je vous le fais, le tableau du terrain. Le truc avec le dériveur, c'est que tant que t'as pas mis la dérive, le bateau, tu le contrôles pas. Mais pour mettre la dérive, faut du fond. Et pour aller à un endroit où y'a du fond, ben il suffit de pousser le bateau. Valérie nous aide, donc c'est bon. Sauf que Valérie ne mesure *que* un mètre soixante-dix. Si elle mesurait trois mètres elle pourrait nous emmener là où y'a plein de fond. Mais là non. Donc on est obligés de partir, avec des méchants petits rouleaux bien taquins, et mettre la dérive assez rapidement, car ce satané vent nous pousse sur la côte au pas de charge.
J'imagine que pour un expert, c'est du gâteau. Mais pas pour moi. Donc, j'ai une des filles à l'avant avec pour mission de mettre la dérive à mon signal, moi je monte dans le bateau au dernier moment (sinon il est trop lourd, Valérie ne peut pas le maintenir) et là faut vite se démerder pour planter la dérive, choper l'écoute de la grand voile, se retourner aussi pour déplier le safran, assez pratique pour se diriger quand même, le tout en évitant les baigneurs pour qui les bouées jaunes qui marquent le chenal à bateau sont des éléments de décor sans grande signification. S'ils connaissaient mon niveau de maîtrise, ils resteraient dans la zone baignade, bien planqués.
Mais vous savez quoi, on a fait une première après-midi de voile dans des conditison i-dé-a-les. À la différence de la denière fois, en 2014, là on avait un peu plus de vent, et certes le Vaurien, c'est un peu un parpaing par rapport aux catas récents ou même à une bête planche à voile, mais on a bien rigolé.
Sur ce, on enchaîne, le lendemain, avec une seconde session voile. Là , genre, fort de l'expérience de la veille, on peut y aller en baroudeurs. À ce titre d'ailleurs, le bateau a un succès fou. Des vauriens on n'en voit plus tous les jours et ce petit Coccinelle a suscité l'intérêt de pas mal de personnes, comme par hasard, exactement de la même génération que mon père, qui ont découvert la voile avec ce type de bateau.
Bon bref, jour numéro deux, et là , le vent est un poil plus fort que la veille. Force 3 forciçant 4. Mouais, Effectivement, ça souffle bien. Mais encore une fois, marée montante, vent qui vient du large, au pire, notre fierté boit la tasse, et c'est marre. C'est pas force 7 non plus hein. Mais bon, je sens bien que je suis à la limite de mes talents encore assez expérimentaux.
Bon bref, on part. Ce coup-ci, je me permet même de prendre les filles deux par deux. Et ça souffle bien, pour le coup. Je suis content d'avoir du contrepoids, elles ne sont pas hyper lourdes, mais à elles deux, elle font le poids d'un adulte. On navigue, on navigue, on vire de bord, tout se passe plutôt bien.
Et là , à un moment, je vois le clapot qui, comment dire, forcit un peu. Nous sommes dans l'axe du chenal, ça doit être plus profond, c'est pour ça peut-être. En tous cas de bonnes petites vagues, et je donne deux ou trois coup de barre parfois pour éviter de les prendre trop de travers, parce que je goûte moyennement la gîte que cela entraîne. J'hésite à virer de bord maintenant. Pas hyper stable, en plus y'a pas mal de vent... Mais d'un autre côté, tout droit, après, c'est les rochers. Allez, on y va. On part plein babord, donc. Et tout se passe bien. Je reprends l'écoute de grand-voile et là , petite vague qui nous arrive par derrière, le bateau gîte franchement et nomdoudiou, v'la Adèle qui glisse du bateau dis-donc. Léger vent de panique, un homme à la mer ! Je m'arc-boute en arrière pour éviter que le bateau se retourne définitivement car si elle est tombée, c'est qu'il y a une raison. Valérie, qui a vu la scène me dira plus tard que d'après elle la voile était à l'horizontale. Diable, j'ai pas vu que c'était si pire que ça, mais si les observateurs le disent. Moi j'ai pas trop réfléchit, une fois le bateau vaguement à plat, j'ai tout lâché (et c'est un bon bateau, il se met à la cape comme un grand, tout seul) j'ai cherché à récupérer ma fille. En tendant ma main, vers l'arrière, vous savez comme dans les films, où on voit les deux mains qui se cherchent, à 10 cm l'une de l'autre, et on se demande si oui ou non il va réussir à sauver son collègue. Et comme dans les films, ça marche, et Adèle est remontée à bord. J'ai bien fait d'apprendre à nager à mes enfants, tiens, les cours de natation, un bon investissement.
Mais c'est pas complètement, parce que certes on a récupéré Adèle, ça c'est cool. Mais on a aussi récupéré 200 ou 300 litres d'eau. Je sais pas exactement, mais le bateau est franchement, vraiment, bien plein ras-la-gueule. Du coup, impossible à manoeuvrer. Et moi, comme un gland que je suis, je ne me suis pas plus préoccupé que ça de débloquer le vide-vite au fond du bateau. Là , il nous aurait servi, car avec ce vent, même chargés comme des mulets, on va assez pour que par aspiration, toute cette flotasse dégage. J'essaye de décoincer le machin. Le problème c'est qu'au pied j'y arrive pas. Et j'hésite franchement à lâcher l'écoute ou la barre. Là , on n'est pas terrible terrible, mais au moins, on avance, et les chances de regagner la côte dignement me paraissent raisonnables.
Donc, on fait un ultime virement de bord, avec ce bateau donc, qui avec nous, la flotte dedans, doit faire sa demi tonne. Et on file sur la plage, grand largue, moi j'ai la trouille au ventre de faire un empennage, mais j'essaye de ne pas trop communiquer là -dessus à mon équipage, assez d'émotion pour aujourd'hui.
Un dernier petit gymkhana entre les baigneurs, et c'est bon, on arrive, sains et saufs. Bon. on s'est surtout fait peur, parce que, dans le pire des cas, Adèle rentrait à la nage, il y avait deux cent mètres à tout casser, avec la combi et le gilet, c'est pas une mission impossible. Mais tout de même, pour la prochaine fois, j'envisage quelques aménagements au dispositif:
- j'ai mis un seau dans le bateau, pour écoper (rien qu'avec ça, on aurait pu enlever le gros de la flotte et récupérer de la maniabilité), seau que j'ai évidemment attaché à un bout qui va bien.
- promis, j'apprends à maniper ce vide-vite comme il faut, car ça aussi, ça sert.
- un petit peu de théorie ne me fera pas de mal, je dois avoir un cours des Glénans qui traîne quelque part, une saine lecture pour les longues soirées d'hiver.
Voilà voilà . Ça change de la course à pied. Non, je n'ai pas changé de crêmerie, et je continuerai à courir. Mais on a le droit de faire quelques infidélités de temps, je ne suis pas marié à mes chaussures, après tout.