11/04/2018 - CR Marathon de New-York

Je suis un petit veinard. J'ai la chance de voyager, quelques fois par an, pour raisons professionnelles, à New-York. Du coup j'ai tenté le coup et me suis inscrit à la loterie pour le Marathon de New-York en me disant, si ça passe, j'y vais c'est cool, si ça passe pas, tant pis hein, je rejoue l'année d'après. Parce que bon quand tu fais du marathon, on finit toujours par te dire "t'as fait New-York ?" ... Un peu moins ces derniers temps peut-être, mais à l'époque où il n'y avait pas le trail et tout le tralala et qu'on devait "se contenter" du marathon pour s'éclater, New-York c'était comme qui dirait "Zeu Playce Tou Bi". Et bon bref, loterie, pim pam poum mon numéro sort au premier tirage, je suis inscrit.

Niveau planification de la saison, ça m'arrange pas trop. J'ai surtout fait du vélo cette année donc j'ai énormément moins couru. J'ai bien failli me prendre une ramasse au Spartathlon un mois avant, c'est passé tout juste tout juste. Et donc, sur octobre, on va faire court, j'étais cramé. Juste, cramé. C'est la fin de saison, j'ai besoin de repos, je le sens. Mais bon voilà, j'ai marathon. Un moment je nourris l'espoir secret de quand même performer un poil et puis les quelques entraînements avec l'USO Bezons (sympathique club de triathlon auquel je viens de m'inscrire) achèvent de me convaincre que non, ça va pas le faire. Je me traîne à 15 km/h, j'ai l'impression de cracher mes poumons, j'ai juste pas de jus, il me faut refaire une bonne reconstruction de la machine, et en cinq semaines, ça va être très compliqué.

Pas grave, je vais y aller déguisé, aïe-di aïe-do (c'est comme ça que ça s'écrit ?) et juste pour le fun. De toutes façons il paraît que le parcours ne se prête pas à la perf brute. Pour l'occasion j'ai prévu de redonner un coup de jeune à mon déguisement d'Obélix qui a fait Paris 1998 j'ai acheté de quoi refaire des belles couettes, de la feutrine pour la ceinture et même, je me suis fendu d'une canne à pêche téléscopique (qui rentre dans une valise!) et d'un drapeau français pour faire le chauvin vrai de vrai. Mais voilà, en lisant le règlement une semaine avant de partir, patatra, on ne peut pas avoir de vêtements encombrants. Donc les braies remplies de ballons, c'est mort de chez mort. Et pas non plus de bâtons à selfie. La canne à pêche je crois que ça va pas passer non plus. Pourtant pour porter le drapeau ça déboitait grave. Mince. Crotte. Zut. Flûte. C'est pas grave, j'ai en stock un déguisement de Super Débile qui fera bien l'affaire. Je suis un peu déçu mais c'est ainsi, les américains sont cools en général, mais quand on aborde les règlements, là, ils sont pas cools. Du tout.

Au village du marathon, retirant mon dossard, j'apprends qu'il faut *vraiment* que je choisisse une "transportation". Je réalise que le départ se passe sur Staten Island, au milieu de nulle part. Va pour le car de 6h00 du matin. Oui, vous avez bien lu, 6h du matin, pour une course qui commence à 10h00. La zone des bus est à 5 avenues de mon hôtel, ça va, il ne m'en coûtera que 25 minutes à pied. Pro-tip : quand vous êtes dans Manhattan et que vous vous déplacez à pied, une avenue coûte 5 minutes, et une rue 1 minute. Donc si vous voulez aller du coin de 8th av avec 42nd st jusqu'àu coin de 5th avev 23rd st, ça vous fait (8-5)*5 + 42-23 = 34 minutes.

Enfin bref, comme je ne veux pas rater le bus, je prévois de quitter l'hôtel à 5h15, ce qui me fait un réveil à 4h00 du matin. 4h du matin pour un marathon qui commence à 10h00, sans déconner, on pousse un peu là... Mais bon hein, c'est à prendre ou à laisser, et maintenant que j'ai claqué plus de 300 dollars dans la blague, je ne vais pas faire la fine bouche. En même temps c'est changement d'horaire cette nuit, on gagne une heure de sommeil, et un reliquat de jet lag fait que bon, me lever à 4h, c'est fastoche et presque naturel. En France il serait 10h du matin.

Rien qu'en allant au car, mon costume commence à faire de l'effet. Un type, de retour de soirée apparemment, veut faire une photo de moi. Sure dude ! Je pourrais le constater plus tard sur le parcours, se déguiser en super héros c'est la meilleur idée du monde (enfin presque...) car les américains captent tout de suite que c'est un Avenger à la sauce Marvel.

Je discute avec un irlandais très sympa dans le car. Et puis je m'endors. Une vrai purge ce car, on reste à poireauter 30 minutes à 500 mètres du but, je comprends mieux pourquoi il *faut* réserver une "transportation". Le seul moyen d'aller au départ, en fait, c'est le car. Tout est bloqué, y'a des flics partout, et une fois dans l'enceinte du départ, on est coupé du reste du monde, c'est ultra organisé, y'a des panneaux partout, des gentils organisateurs qui répondent à vos questions, un demi-millier de chiottes de campagne (j'exagère à peine...) et si vous avez envie de casser une croûte on peut manger des powers bars, des bananes chiquita qui bousillent l'environnement et ceux qui les récoltent et surtout, des bagels en provenance directe de chez Dunkin Donuts. Si avec ça on n'est pas bien, je ne sais pas ce qu'il vous fait. Je crougnoutte deux bagels, depuis mon petit déjeuner de 4h30 du matin, j'ai faim.

Aire de départ
Mince, j'ai oublié de repasser ma cape...

8h30, on nous annonce qu'il ne faut pas s'inquiéter, le bruit qui va venir c'est un départ, mais il ne faut pas paniquer. Effectivement, traditionnellement, les handisports partent avant, et quand le départ est donné ça fait boum. C'est un canon qui lance le départ. Ces gens sont dingues. Ils s'inquiètent pour un oui pour un non. Je pense qu'en vérité, les terroristes ont gagné. J'assiste à une psychose collective, on est obligé et contraint de faire des annonces au micro pour désamorcer une potentielle panique à cause d'un boum tout à fait légitime, et par ailleurs, prévisible, si on a deux neurones connectés et qu'on a lu le programme. Plus tard sur le parcours, je verrai un drapeau qui dit "niveau d'alerte sur l'événement, faible". C'est bien ce que je dis, les terroristes ont gagné, la sécurité est omniprésente, et par défaut, on a peur. C'est triste.

Il est 8h50, mon sas ouvre, mon départ est prévu à 9h50. Timing réglé au millimètre. Je ne suis pas fâché de partir, je commençait à m'emmerder grave sur cette aire de départ. Alors voilà, le parcours commence par un pont. Mais avant faut se farcir l'hymne national. In the name of the Lord, et blablabli et blablabla la religion sous toutes ses formes me sort par les trous de nez, j'écoute religieusement (c'est de circonstance...) l'hymne national américain. À leur décharge, elle chante diablement bien. Mais ça ne vaut pas cette petite musique qu'ils ont passé juste avant. Rien qu'en entendant le premier rif de basse je me dis pinaise ça bouge ce truc, c'est béton. Mais c'est quoi ? Et là le chanteur commence. Ah ouais OK, d'accord, AC-DC, Safe in New-York City. C'est du solide. Ça c'est ma came. Pour courir, c'est mieux que Frank Sinatra. Déso Frank, mais bon, AC-DC quoi...

Donc ouais on attaque par un pont. Il est interdit de pisser sur le pont. Dommage, c'est tentant. Faudrait pas polluer la baie peut-être. Les États-Unis, le pays où tu peux dégager du CO2 tant que ça peut donner mais t'as pas le droit de pisser dans l'océan. Mais peut-être que l'interdiction est pour des raisons morales, faut pas voir des zizis etc. Bon mais oui mais alors comment ça se fait qu'ils aient une industrie du porno aussi florissante ? Cherche pas à comprendre, c'est l'Amérique. Bon, je reconnais que quand même, y'avait des toilettes partout, propres, disponibles, et que bon, pisser ailleurs, ça aurait manqué de classe, j'en conviens.

Le pont est très joli, la vue imprenable, qu'ils ont de la chance les gens qui habitent Staten Island et l'empruntent tous les jours. Ah non, on me souffle dans mon oreillette que d'habitude c'est blindé comme sur le périphérique parisien. On me souffle aussi que c'est pas tous les jours qu'il fait un soleil magnifique et un temps juste totalement parfait pour courir. Ouais bon OK. Mais aujourd'hui le pont est piéton, il fait un soleil radieux, je goûte mon plaisir, et puis toc.

Dab
Enfin un geste approprié.

Mais assez palabré, la question qui tue : quel rythme adopter ? J'en sais foutrement rien. Je sais qu'au Spartathlon je suis passé en 3h50 au marathon, et il me semblait bien en avoir encore sous la pédale. En même temps en avril dernier j'ai pris une dérouillée au marathon de Paris en 3h26 alors qu'il me semblait être en meilleure forme que maintenant... Donc j'imagine que ça va être quelque part entre les deux. Je me dis que je vise 3h30, et puis on verra bien. Autour de moi des coureurs causent, ils semblent viser 3h15 ou un truc du genre. Suis donc vraisemblablement parti un poil vite. Je n'ai pas grand chose pour mesurer, j'ai une montre à aiguilles mécanique, pas de cardio, pas de téléphone android machin-truc. Bon c'est sûr je suis parti un chouillat vite mais bon allez, je me laisse le plaisir du pont et ensuite, promis, je me calme.

Et là, je rentre dans Brooklyn. Et je sens que ça va être bon. Y'a du monde partout, c'est comme le marathon de Paris dans ses sections bondées (il y en a quelques-unes...) sauf que là, c'est partout. Je claque dans les mains des enfants à tour de bras. Et c'est super drôle, car ils lisent mon nom de super-héros au passage, et moi j'entends "Go, Super Débile", sur toute la gamme. Avec toutes les prononciations possibles, c'est juste dingue. Quand ils n'ont pas le temps de lire, ils disent juste "Super D" ("soupeur di") et rien que ça dites-voir, ça requinque son bonhomme. Faut dire qu'autant les spectateurs sont au taquet, autant niveau déguise, les coureurs n'assurent pas une cacahuète. Y'a bien un mexicain avec un costume qui me semble traditionnel et que j'ai repéré au départ, un dou-dingue comme je les adore qui a pris le départ avec un surf des neiges, des boots de surf, la totale, et un Cap'tain América que je doublerai peu après alors qu'il fait des pompes pour épater la galerie mais à part ça sans rire, pas grand chose. Du coup avec mon déguisement "plan B" j'amuse bien la galerie, ça fait rire les gamins, et c'est tout ce que je demande.

Et bim et bam et boum je tape dans les mains, ce que j'ai pu taper... Ça n'en finit pas. Au mile 8 (kilomètre 12 ou 13) mes collègues Marek et Matt sont censés m'attendre, car ils habitent Brooklyn, la terre sainte des hipsters. Je reconnais Marek mais lui ne me reconnaît pas. Ou trop tard. Il a été piégé par l'appareil. C'est impossible de repérer quelqu'un quand on veut prendre une photo. Ne me demandez pas pourquoi. Bon bref, je lui fais des grands signes, puis passe, il aura peut-être le temps de prendre une photo de moi en marche arrière. Super Débile qui court à l'envers, en même temps, ce serait juste parfait.

On enchaîne avec le Queens. C'est la même. Du monde partout, ça ne désemplit pas. Une ou deux fanfares jouent sur le bord. Genre fanfare de high school. Celles qui fournissent la France en soubas quasi neufs. Une légende urbaine colporte que comme c'est l'école qui fournit les soubas dès qu'ils sont un peu vieux les élèves font exprès de les niquer pour en avoir un flambant neuf. Et du coup ça laisse plein de soubas sur le marché de l'occasion qui moyennant une petite réparation font de très bon instruments. Si ça se trouve, c'est pas une légende. Bon, la deuxième fanfare, y'a plein de clarinettes, c'est moins mon truc. À part pour allumer un bon barbecue bien sûr.

C'est où qu'on sauve le monde ?
Dur dur d'être un super héros.

Il me tarde de franchir ce pont qui nous ramènera sur Manhattan. J'ai beau être parfois une quiche en orientation et surtout n'avoir pas du tout étudié le parcours avant le départ, je sais qu'il faut traverser l'East River pour rejoindre Central Park, où a lieu l'arrivée. Ça, j'ai vérifié, pour être sûr de ne pas me retrouver coincé à l'autre bout de la ville. Bon bref, enfin il arrive, le pont, et c'est marrant, j'ai déjà couru dessus, ça devait être en 2016 je crois. Sauf qu'en 2016 j'étais sur le petit rebord merdique pour les piétons et les cyclistes. Là, on est sur le grand tablier, c'est autre chose. Ils ont de la gueule ces ponts New-Yorkais. Une véritable débauche de ferraille, mais ça a du style.

Dans la côte sur le pont, je croise le Team Hoyt, si vous ne les connaissez pas je vous invite à essayer d'en apprendre plus. Pour faire court c'est un gars qui promène son fils handicapé sur un tas de courses. Mais genre le marathon c'est du petit bois par rapport à ce qu'il peut faire, par exemple... un ironman... Oui mais alors comment il fait pour la natation et le vélo ? C'est là que c'est dingue, ces deux champions ne s'arrêtent pas aux détails logistiques, ils trouvent des solutions, foncent, et sont à l'arrivée. Un jour où vous n'avez pas la pêche, pensez à eux, ça vous fera passer l'envie de vous plaindre.

Et donc ensuite on enchaîne, 1ère avenue. Bon, c'est pas mal, mais je préférais Brooklyn et le Queens. Mais je fais la fine bouche. Ça crie de partout, niveau décibels on est pas mal. Niveau physique par contre c'est pas mon jour. J'ai bien fait de venir déguisé. Si j'étais venu chercher la perf je m'y serais cassé les dents. Le déguisement me ralentit certainement un peu, toutes ces couches de tissus retiennent forcément de la transpiration et à force, ça pèse. Par ailleurs, la cape à tendance à me scier au niveau du cou, sur le devant. C'est léger mais la conséquence directe c'est que je respire moins librement. On n'en meurt pas non plus mais une fois fatigué ça ne me pousse pas à monter dans les tours. Je suis passé en un peu plus de 1h45 au semi, ou alors tout juste 1h45. Bon mais bref, pour moins de 3h30 c'est mort, impossible que j'accélère maintenant. Ma jambe droite, qui me faisait un peu mal à l'entraînement, est dans le rouge depuis le kilomètre 10. Et j'ai le dessous des pieds qui commence à faire mal. Je ne suis pas inquiet, je fais finir, mais je ne peux pas accélérer et en remettre une couche. C'est juste, pas possible. Pour s'arracher après 2h30 de course faut le bon état d'esprit et la bonne prépa. Je n'ai ni l'un ni l'autre.

L'été indien
Une saison qui n'existe que dans le nord de l'Amérique.

Enfin, le pont qui mène au nord de la ville. Bronx, Harlem, dans nos esprits ces lieux résonnent comme des coupe-gorges. Mouais bon, les zones traversées par le marathon sont, selon mes standards, totalement "safe". Je te dégotte des coins largement plus crados que ça à deux pas de chez moi en France. Je pense que j'irai un jour faire un tour là-bas en journée, sans le contexte marathon, pour me rendre compte. M'est avis que c'est une lubie d'américain ou de bourgeois en général d'avoir décrété que ces lieux étaient infréquentables. Bon après, peut-être bien que si on racle les fonds de tiroir, on va trouver, à New-York, des coins objectivement dangereux. Mais pas les 5 kilomètres parcourus par le marathon, me semble-t-il.

J'accuse le coup, me semble bien que j'ai perdu le contact avec la réalité pendant quelques secondes. Je me rends compte que je suis à peine plus lent que sur mon départ du Spartathlon. En clair, je me traîne. Le faux plat qui longe Central Park ne me permet pas vraiment de rattraper le retard. Le public est à nouveau dingue de dingue. Y'en a partout. Quelques français me lancent un "Allez super... Débile ?". Ça change un peu du "what super hero is this ?" et ça m'arrache toujours un petit sourire.

Central Park
Le bon petit footing du dimanche matin. Le cadre est pas mal, faut avouer.

Je double le mexicain avec ses grandes plumes. J'ai presque envie de l'attendre pour faire une arrivée combinée déguisée, mais bon, il marche, et ça me gave de marcher. J'ai envie que ça se termine. Enfin ça tourne à droite au sud de Central Park, je suis un peu déçu car toute cette zone est en pleine ombre et avec ce magnifique soleil, c'est du gâchis. Et un deuxième virage à droite. Une petite côte et hop, finish !

Je valide
Super Débile s'associe officiellement à tous ces charmants sponsors et leur souhaite plein de profits et un excellent exercice fiscal 2018.

Bilan des courses, 3h47 pour moi, ce qui, dans la catégorie "marathon déguisé" est dans la bonne zone pour moi, sauf que le déguisement de Super D. normalement me ralentit à peine (Obélix, le Lapin Bleu ou le cube Leboncoin, c'était pas la même...) donc ça confirme mon hypothèse de départ : je suis cramé, faut repartir de zéro.

Mais ça fait partie du jeu, et pour être direct, la réputation de New-York en tant que plus chouette marathon du monde, n'est pas usurpée. Faut aimer les bains de foule, mais si 50 000 partants ne vous font pas peur, c'est de la balle intégrale, pour trouver une ville qui a davantage de cachet, faut se lever tôt, mais pour avoir un public encore plus déchaîné et expressif que celui-là, faut se lever encore plus tôt.

Bravo les new-yorkais, vous assurez grave.

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Mis à jour le lundi 10 décembre 2018.