PBP pour les nuls
Qui ne connaît pas Paris-Brest-Paris ? SI c'est votre cas, apprenez que c'est la Mecque du vélo longue distance. 6000 partants cette année, dont 4000 étrangers pour seulement 2000 français, qui s'engagent sur un parcours d'un peu plus de 1200km, en vélo. Temps limite 90h, ce n'est pas une course c'est une randonnée, mais pour rentrer dans les temps, il faut soit pédaler vite, soit ne pas dormir beaucoup, et dans certains il faut les deux.
J'y étais en 2011 et j'ai trouvé ça tellement bien que je me suis dit "je veux en faire 10 !" et comme c'est tous les 4 ans, il faut que je tienne jusqu'en 2047 inclus. J'aurai alors 72 ans. Compliqué mais ça se tente. Pour être à PBP, j'ai renoncé aux 6 jours de France organisés par mon ami Gérard Cain. PBP c'est important pour moi. Ce n'est pas ce que j'ai fait de plus dur, mais c'est dans mon esprit très symbolique. Je ne peux pas le rater. C'est pour cela que quand je me suis vautré comme un imbécile sur mon brevet 300 pendant les qualifications, je me suis senti très bête. J'ai réussi tant bien que mal à valider quand même mes brevets pour l'inscription en faisant deux 600 au lieu d'un seul (Mours et Flins ). Et donc, en ce dimanche 16 août, je suis sur la ligne de départ ! Je pars à 17h00, je prévois de faire le même genre de temps que la dernière fois (légèrement en dessous de 60 heures) et arriver dans la nuit de mardi à mercredi. Ambitieux, mais bon, faut tenter.
Les autres membres de l'UVA sont dans les vagues de départ suivantes. Sauf erreur de ma part il s'agit de :
- Dominique LEFEBVRE
- Alain SCOUARNEC
- Eric ARUTA
- Christian DURAND
- Christine DURAND
- Yves CARTIER
- Ludovic VAYSSETTES
La fièvre du peloton du dimanche soir
Le départ est rapide. Normal. Je pensais qu'en partant dans la vague E de 17h00, la dernière des départ rapides "moins de 80h" je serais à peu près au calme. Mais non, ça cravache devant. Ou alors c'est moi qui suis nul. C'est vrai qu'avec mon moi de mai "off" j'ai moins de 5000 bornes au compteur depuis le 1er janvier, en comptant tout, les brevets qualificatifs et mes trajets maison-boulot de 11km. C'est peu, même si, à côté, je cours.
Sur les 50 premiers km, j'assisterai à trois chutes. Un boulet qui remontait sur la gauche mais ne sait pas faire, un type qui s'est fait serrer dans le fossé, et un troisième, un américain de Seattle, planté dans une côte par celui qui, devant lui, a fait de la merde avec son dérailleur en tentant un changement de vitesse de dernière minute. L'américain, que je reverrai plus tard, a perdu son feu arrière dans la foulée. Je le lui rends, il n'avait pas remarqué le problème. Pourtant, ça peut servir, un feu arrière...
Je suis très déçu car Nigel, avec qui j'avais entre autres roulé au 400 Flins n'a pas pu prendre le départ pour raison de santé. Dommage.
Je m'accroche un peu dans le peloton mais sens très rapidement qu'il vaut mieux ne pas insister. Oui, je vais perdre du rendement en roulant seul. Mais au moins je ne serai pas en rupture permanente, si je continue à vouloir insister ainsi, je risque la surchauffe. On verra plus tard, de toutes façons vu l'heure à laquelle je suis parti, des paquets, y'en a plein derrière.
Arrivée à Mortagne très différente de la dernière fois, il y a beaucoup moins de monde, je dois être perdu vers l'arrière, le gros du paquet est devant, manifestement. Bof.
Il fait un peu frais la nuit, je regrette presque de n'avoir pas pris une couche de plus. Au beau milieu de la nuit, dans un patelin, je tombe sur un groupe de petits jeunes qui nous applaudissent, et je suis tellement crevé que je leur propose un deal : "vous avez une montre ?". Oui. Alors je m'endors sur le trottoir là , et vous me réveillez dans 5 minutes. Marché conclus. Je me repose un peu, et repars à leur signal. Ils me demandent si je peux leur offrir un bidon, en souvenir. Ah zut crotte, j'aurais bien dit oui, mais là , j'en ai besoin, je suis sans assistance ! Ces 5 minutes de sommeil me servent à reprendre mes esprits, me reconcentrer sur la route. Pendant les brevets qualificatifs, je ne voulais pas tomber et hypothéquer ma participation à PBP, mais maintenant, à PBP, je ne veux pas tomber et risquer de rater ma prépa pour les 48h de Royan ou, plus important encore, les 6 jours de Johannesbourg. Donc, je suis prudent.
Match aller
Pour découper un PBP, c'est simple, c'est jamais rien que deux 600 mis bout à bout. L'aller vers Brest se passe bien mais décidément, vraiment, je n'arrive pas à rouler en groupe. La fois précédente, je roulais avec mon ami Emmanuel Conraux (avec qui j'ai fait le Raid 28 en début d'année), j'avais trouvé qu'on roulait très vite mais qu'on perdait du temps aux points de contrôle. Là j'essaye d'être rapide aux contrôles, et entre les deux... bah tout le monde me double mais comme ils glandent au contrôle, je croise toujours les mêmes.
Dans la première nuit, j'arrive à me paumer. Enfin, on se plante en groupe. On roulait, assez fort, à une bonne grosse douzaines de larrons, quand "hé, c'est à gauche !". Ah bon ? Et là , je suis le mouvement. Le GPS était arrêté pour économiser les piles et parce que tout le monde sait que "c'est impossible de se tromper de parcours sur le Brest, surtout au début". En vérité il aurait fallu continuer tout droit. On s'en aperçoit au bout de 4 ou 5 bornes, à force de ne pas voir de pancartes, là je vérifie la route avec mon gadget électronique et... bingo, on s'est éloigné de la trace officielle. Bof, pas très grave, mais agaçant tout de même. Un peu plus tard je refais une autre boulette, seul cette fois, distrait par le beau paysage et la fatigue, je file tout droit en oubliant de tourner à droite. Demi-tour, et 2 fois 3 km de perdus à nouveau. Bah, j'y survivrai.
Ma cocotte de frein droite se desserre. Quelle merdasse. Jamais ça ne pose problème, et là , le jour où on en a besoin, le bidule prend du jeu. Comme j'ai des pains de mousse en dessous de la guidoline, ça risque peu de vraiment "partir", mais tout de même. A Loudeac, je fais un arrêt chez le mécano, il me resserre ça. Moi avec mon multi-outil de poche, j'avais du mal. D'ailleurs je me dis que c'était peut-être pas la peine d'emmener 4 chambres à air sachant qu'il s'en vend tous les 80 bornes aux points de contrôle. C'est PBP, pas un 1000 en solitaire dans la profonde campagne.
Lors de la montée sur Roc Trevezel, je prends un relai assez long. Je l'ai assez peu fait juste parce que les paquets roulent toujours trop fort pour moi. Et comme je prends le vent 100% du reste du temps, j'ai pas non plus envie de m'exploser les rares fois où je suis en groupe. Mais bref, je monte régulier, au train, et un des gars derrière me remercie même pour le rythme cool mais efficace. Je suis content. Cela ne dure qu'un temps car dans la descente c'est la berezina, je n'ai plus de jus. Je ne l'ai pas vue venir, celle-là , mais je suis rectifié. Je comprends pas hein, 550 bornes et hop, le gars il est tout foutu. Bizarre. Je devrais en parler à mon médecin ;)
Du coup, arrivé à Brest, je téléphone à Valérie histoire qu'elle prévienne mon boss que non, je ne serai pas au boulot comme prévu, mercredi. Enthousiaste, j'avais pensé que c'était possible. Mais là , je vois bien que non, ça tient pas. Brest, j'y suis en 27h30, il est 20h30 quand je pointe. OK, c'est plus rapide que mon 600 le plus rapide de l'année. Mais bon, pour rentrer en 60 heures, ça ne suffit pas. Je ne suis pas né de la dernière pluie, je sais que je suis moins vaillant qu'au départ, que sur le retour il va falloir dormir et... Je décide de dormir 40 minutes sur place avant d'attaquer la montée dans la nuit. Bizarre, le dodo est payant, 4 euros. Je ne suis plus à ça près. Au moins, y'a de la place. On me propose de me laver. Dites que je suis sale, non mais, bande de malpolis !
Match retour
Je repars, et entends à côté de moi des gens qui parlent et laissent entendre que le cycliste qu'ils assistent est un coureur à pied qui fait ça juste comme ça, pour voir, mais s'entraîne essentiellement en courant. Tiens, si ça se trouve je le connais. Je demande son nom. Gérard Habasque. Je n'ai pas la chance de le connaître personnellement mais ça aurait pu, habitué de la Trans Gaule et autres courses d'ultra, j'aurais tout à fait pu le croiser sur un circuit.
Du coup on roule un peu ensemble.
Il me sème en ville très rapidement, au moment où j'avise une brasserie qui va fermer mais, avant toute chose, me servir un ultime café doublé d'un bon coca plein de bulles.
Je me gèle les miches dans la montée sur Roc Trevezel. Vraiment, une couche de plus, ç'aurait été top. Dans la descente je vois un camion qui va doubler pleine balle les cyclistes devant moi, pendant qu'un autre camion monte en face et double lui aussi des cyclistes et oh... putain !!! Finalement il pile au dernier moment, les évite en déboitant in extrémis. Je ne sais pas s'ils se sont rendus compte du truc, mais c'était chaud patate. La vie tient parfois à peu de choses. Pourtant ils étaient visibles, signalés avec les gilets, le feu rouge arrière, tout bien, et ils roulaient bien à droite. Enfin, bref, n'y pensons plus.
Arrivé à Carhaix, je me dis que je vais me requinquer avant la suite. Pas la peine de jouer au héros, je commence déjà à somnoler. Là je décide de dormir longtemps. Il est 2h50 et je demande à ce qu'on me réveille à 4h45. À 3h25 "wake up !". Je me lève de suite, commence à me préparer, regarde la montre. Bon sang, mais c'est trop tôt ! J'ai un doute... Oh et puis fait chier merde, je suis cuit, je me rendors. À 4h45 je suis effectivement réveillé. La première fois, c'est juste quelqu'un qui s'est gourré. Tout le monde peut se tromper.
Enfin bref, je roule à nouveau.
J'ai toujours un mal fou à choper les paquets. C'est vrai que je n'ai quasiment fait aucune sortie "normale" dans un peloton du dimanche matin. Mon entraînement, c'est des trajets aller-retour au boulot en ville, les brevets, et de la course à pied. Je suis mal à l'aise dans les groupes, dès que j'y suis j'ai envie que ça se termine. J'essaye de récupérer des types qui ne vont pas trop vite comme moi, mais rien n'y fait, on finit toujours par se faire rattraper par des plus rapides, on essaye de suivre, et à la première bosse, bim on décroche. Et on se retrouve chacun seul de son côté. Bah, j'ai pas le niveau j'ai pas le niveau, pas grave hein. Au moins je sais à quoi ça sert l'entraînement. Il y a une justice en vélo, et tout particulièrement sur les longues distances. Les efforts à l'entraînement sont récompensés, ça paye. Inversement...
Mais je ne me plains pas, je suis là , ça se passe bien, j'ai failli ne pas prendre le départ du tout, il fait beau, et la seule chose qui est égratignée ici, c'est mon ego, mais il survivra, il en a vu d'autres.
La deuxième nuit s'annonce. Je dors peu à Villaines la Juhel, charmante petite étape, mémorable à l'aller comme au retour. Les bénévoles s'obstinent à me parler en anglais. Nan mais sans déconner je parle français aussi vous savez ? Ah oui, et vous parlez bien ! Pensez, j'ai potassé des bouquins avant de venir...
Ce repos (une heure trente) a un effet fantastique. Je suis juste gonflé à bloc. Je dépasse des paquets, même tout seul, rien à caler du vent, je suis plus fort que ça. Hé, pourquoi pas un 66 (diabolique!) voire 65 heures ? Mes rêves s'arrêtent bien vite, au bout de 40km, je suis saisi de plein fouet par une atroce fatigue, j'ai envie de roupiller, un truc de malade. Je divague et dis "mmm mmm" tout en roulant, les paquets de tout à l'heure... me redoublent (comme quoi, faut jamais faire le malin) et je suis rappelé à l'ordre par le fossé de droite. Quand on se réveille en train de rouler dans l'herbe il est *vraiment* temps de faire une pause, mais là tout est humide dans la nuit, il fait froid, je ne peux pas m'arrêter ici !
Alors je pousse la note jusqu'au prochain patelin, je crois que c'était Saint Rémy du Val. Et là , une épicerie est ouverte. Il est bientôt 4h du matin. Je m'achète un paquet de chips monster munch et une barquette de quatre crèmes dessert au café. Le commerçant est charmant. Il a sorti des tables sur le trottoir pour qu'on puisse consommer assis. Il voit que je suis bien amoché, et nous explique, à moi et un autre cyclo qui n'a guère l'air plus en forme, qu'on peut dormir dans son arrière boutique. Sans déconner ? J'accepte sans hésiter. Et attention, il ne nous installe pas comme ça n'importe comment, il a sorti des matelas pneumatiques, il a une feuille où il note les prénoms des gens, qui réveiller à quelle heure, etc. Ah ouais, quand même, là , ça envoie du très gros. Il me réveille à 4h30, parfait. Mon vélo, il me l'avait fait rentrer dans le magasin pour pas qu'on le vole (et quand je dis dans le magasin, c'est *dedans* contre le rayon des sacs poubelles et produits ménagers. Le genre de rencontre qui vous réconcilie avec la nature humaine.
Les meilleures choses ont une fin
Retour sans trop d'encombres, je profite d'un peloton d'avions sur le milieu du tronçon Mortagne - Dreux, qui est effectivement très roulant.
Et puis je rentre globalement seul, il commence à faire chaud. Pour faire un chrono, là c'est certain c'est mort il y a 4 ans j'étais arrivé à 3h du matin, et là , c'est midi passé. Mais enfin, je l'ai bouclé ce PBP, et j'en suis très content. Il peut se passer tant de choses improbables et désagréables sur une épreuve de ce type, que je pense m'en être bien sorti.
À faire pour une prochaine fois : apprendre à rouler un peu plus vite. Et peut-être aussi que je tenterai un départ encore plus tardif, peut-être même le lundi matin. À voir. Il m'en reste huit pour faire des expériences.
PS: ajout de dernière minute, tous les résultats sur le site d'un allemand passionné.
PPS: un très joli reportage photo