Jour 1, samedi 14 mai 2022
Il y a quelques semaines, j'étais en Normandie pour un voyage en vélo de 3 jours.
Je décide de retenter l'expérience, mais cette fois non plus sur 3, mais 9 jours. Pourquoi 9 ? Parce qu'un week-end, plus 5 jours, plus un week-end, ça fait 9 jours. En gros je pose une semaine de congés, et je passe tout mon temps sur le vélo. Pourquoi autant de temps ? Parce que je prépare la RAAM pardi, et il va falloir "borner".
Je décide d'opter pour un rythme "une nuit dehors / une nuit à l'hôtel". Ainsi, je fais des nuits en selle, ce qui est important pour bien préparer la course. Mais aussi, je m'offre de vraies nuits reposantes dans un bon lit, avec douche, repas copieux, histoire de récupérer un peu. Je veux m'entraîner dur, mais sans m'épuiser. On verra au mois de juin, en Amérique, si mon choix a été judicieux, mais il fallait bien décider de quelque chose.
Accessoirement, entre les diverses contraintes, familiales, sociales, professionnelles, on va pas se mentir, je n'ai pas quarante mille options. Il me reste peu de temps avant la course, j'ai certes fait beaucoup de home-trainer, mais il me manque des kilomètres "en situation", avec les aléas du direct. L'aventure, quoi.
Niveau logistique, je repars avec ma bonne vieille "grosse Bertha", un VTT de 2008 reconverti en baroudeuse indestructible.
Je pars plein sud. Je contourne Paris par l'ouest, puis j'arrive dans l'Essonne. L'Essonne, j'y ai grandi, je suis un gars du sud, moi. Né à Ris-Orangis. Je passe avec plaisir dans toutes ces (presque) petites routes que j'ai parcourues étant ado, au guidon de mon vélo Peugeot blanc et rose en tube acier 5/10ème.
Souzy-la-Briche et son château qui doit coûter "un pognon de dingue" et surtout bloque la vue quand on passe devant. Murs à 2m50, arbres imposants pour compléter le dispositif, on se demande bien ce que peut cacher cette grande propriété. C'est une dépendance du gouvernement. C'est fait pour recevoir les dictateurs, et permettre à nos élites de se reposer un peu après une dure semaine de labeur.
Je continue mon périple, traverse toute la Beauce. C'est un très bon entraînement pour le Kansas. C'est pareil mais en beaucoup plus petit. Beaucoup plus petit, vraiment. La Beauce, c'est deux heures. Le Kansas, c'est deux jours.
Après la Beauce, toujours vers le Sud, vient la Sologne, une fois qu'on a traversé la Loire. Alors, la Sologne, je ne suis pas un grand fan, car non seulement c'est plat, mais en plus la vue est bouchée par les arbres. Pour clore le tableau, en ce samedi du mois de mai, la moitié des moucherons et moustiques du pays se sont donné rendez-vous sur la route que j'emprunte.
Et, contretemps fâcheux, je n'ai bientôt plus d'eau... Je comptais sur la présence d'une boulangerie, d'un troquet, mais rien en vue. Zut. Je surveille donc les bords de route, parfois, sur un malentendu, on peut trouver un point d'eau. Et là , sur ma gauche, sauvé, un robinet ! Tout à fait improbable, au bord d'un étang, il me sauve la vie. Je fais le plein, ce qui revient à charger le vélo avec presque 4 litres, 2 bouteilles d'1,5L dans une des sacoches devant, et 0,75L dans le bidon sur le vélo.
Peu de temps après, je tombe sur une pizzeria encore ouverte. Malheureusement le four est éteint. Une salade peut-être ? Le patron me dit qu'il va voir avec le cuistot, mais c'est pas gagné. Je ne fais pas le difficile, j'opte pour un double dessert. C'est délicieux, ça remplit l'objectif calorique, je ne me plains pas.
Et j'ai pu discuter un peu avec les derniers clients, re-remplir mes bidons, même s'ils étaient déjà presque pleins, bref, je suis prêt à affronter la nuit.
Je dors au bord de la route, juste deux petites heures pour ne pas risquer de m'endormir sur le vélo au petit matin. C'est à peu près le rythme cible que j'aurai sur la RAAM, à cette différence près que là , je gère tout tout seul.
Jour 2, dimanche 15 mai 2022
Or donc je pars de nuit, le jour se lève, et je m'arrête dans le premier village avec un commerce ouvert. C'est une espèce d'épicerie bar. On y trouve un peu de tout. Je fais le plein de petits gâteaux, et puis je décide de m'offrir un café.
Mais ça ne fonctionne pas, c'est le patron qui me l'offre, ce café. Les aléas de la route, on va dire. Je traînerais bien par ici mais il faut que je sois à l'hôtel ce soir... Je préfère réserver à l'avance. Ça me met un peu de pression sur l'itinéraire et le plan de marche, mais finalement, vu que je m'entraîne pour une course, c'est pas si mal.
Or donc je dois être à St Léonard de Noblat d'ici le soir. Vers 18h00 on va dire, histoire de prendre une douche avant le repas. Ça me fait un rythme d'environ 270 bornes le premier jour, en roulant de 9h à 3h du matin, puis 160 bornes le second, en roulant de 6h à 17h. En gros une moyenne de 15 km/h roulé, pauses comprises, mais sans compter le sommeil de la nuit. Ça paraît "pas si rapide" mais je vous garantis qu'en autonomie totale avec la grosse Bertha, c'est pas si mal.
À noter aussi, le parcours, c'est plus vraiment la Sologne. Non, je me suis tapé la Creuse, et là maintenant, c'est la Haute Vienne, et c'est, on va pas se mentir, franchement vallonné. Saint Léonard, c'est le pays de Poulidor, si ça c'est pas un signe...
J'arrive à l'hôtel dans les temps, sous un soleil resplendissant. Ça cogne depuis le départ, et ça n'arrêtera pas, jusqu'à la fin de la ballade. Excellente préparation pour le désert américain. Certes il ne fait pas aussi chaud, mais je n'ai pas une équipe pour me bichonner et me mettre des glaçons dans le dos.
Je prends une bonne douche et me régale d'un bon repas au restaurant.
Jour 3, lundi 16 mai 2022
Départ donc ce lundi, toujours plein sud.
Ça monte toujours autant. Je passe près des haras nationaux de Pompadour, c'est joli, mais je ne prends pas le temps de m'arrêter prendre une photo. J'en ai déjà pris quelques-unes ce matin, car je trouve la campagne limousine superbe. Mais je ne souhaite pas non plus prendre trop de retard, j'ai encore de la route, et si je veux arriver à l'hôtel à l'heure demain soir, faut pas traîner.
Ce grand casse-pattes (oui, ça monte et ça descend) m'offre un peu de répit lorsque je me retrouve à fond de vallée, c'est la Vézère, je crois.
Je m'arrête dans un hôtel qui a l'air désert. La patronne me sert un coca. Un deuxième s'il vous plaît. Pendant ce temps une dame fait le ménage. Je suis gêné car j'ai l'impression que j'arrive comme un cheveux sur la soupe et que je défais tout son boulot de nettoyage à chaque fois que je me déplace... Elle a l'air zen, m'explique que de toutes façons, c'est normal. Je serais bien reparti sur la pointe des pieds mais avec les chaussures de vélo et les cales automatiques, c'est pas pratique.
Sarlat... Souvenir des 100 km de Belvès ... J'aime beaucoup ce coin. Je m'arrête lorsqu'on quitte la grande route, dans ce que je pense être le dernier resto ouvert avant longtemps... Et j'ai le nez creux, c'est bien le dernier, la suite me donnera raison. En revanche, mauvaise adresse, le personnel me tolère, mais ça s'arrête là . Je mange ma salade de gésiers, et je me casse.
Et donc, quelque part dans la soirée, je traverse la Dordogne. À partir de là , c'est moins sympa. C'est, au moins juste après avoir traversé la rivière, assez plat, et surtout... y'a rien. C'est juste désert. Déjà avant, c'était pas très dense, mais là c'est juste triste.
Je fais halte dans un petit village, je squatte la place du village qui doit servir de place du marché, terrain de baskets, et deux ou trois autres activités. Je dors au sec, très bien.
Jour 4, mardi 17 mai 2022
Je repars au lever du jour et, abomination, c'est reparti de plus belle, côte, descente, c'est un festival. Bienvenue dans le Gers. Aïe, ça pique. Jamais des grosses montées, mais souvent assez raides, et ce soleil qui n'en finit pas de cogner...
Je me retrouve contraint de faire un détour, la route est en travaux. Pas pratique avec mon GPS de poche, j'ai un parcours prévu et préparé à l'avance, mais il n'est pas conçu pour gérer les changements de route. Donc je sais juste qu'il faut que je récupère la trace, qui est sur ma droite, un peu plus à l'ouest. Je passe 3 bons quarts d'heures ainsi, à me demander de combien je rallonge la blague, et si cette bosse que je suis en train de monter est utile, ou pas.
Peu avant Auch, je décide de couper un peu ma trace et de simplifier. J'en ai ras le cul de ces petits chemins tortillards à 12%, je m'enfile donc 10 bons km de nationale, et m'offre un repas de midi bien mérité en centre ville.
À ce stade je quitte mon itinéraire de départ qui était la flèche cyclotouriste Paris-Luchon (trace GPS). Donc, je ne vais pas à Luchon ! Mais où vais-je, alors ? Patience, ça arrive...
Quelques kilomètres de nationale un peu désagréable pour sortir d'Auch, et le parcours redevient "normal", au sens "cyclable", petites routes, jolis paysages.
Je ne suis pas fâché d'apercevoir, au loin, la chaîne des Pyrénées. Mon hôtel de ce soir est à Lourdes. Je n'y vais pas pour un miracle, c'est juste pour dormir.
J'avais anticipé une arrivée pleine de bosses, compliquée à gérer, il n'en est rien... Entre Tarbes et Lourdes, c'est tout plat. Tellement plat qu'il y a même un aéroport. Malgré cette apparente facilité, je me fais déposer, mais vraiment dé-po-ser par une cycliste des environs, qui a un maillot couleur locale, et me double comme si j'étais à l'arrêt. Je pourrais accuser mon chargement, mais elle aussi a des sacoches, donc l'excuse ne tient même pas. J'enfouis mon égo quelque part où personne n'ira le chercher, et continue ma route.
L'hôtel que j'ai choisi est remarquable, en ce sens qu'ils affichent un service spécifique pour les vélos etc... Et c'est vrai, ils se foutent pas de ta gueule, j'ai droit à un magnifique local pour garer ma monture, estampillé aux couleurs d'Eddy Mercks, rien que ça.
Je me paye le luxe de dîner avec un t-shirt du monstre en spaghettis volant ce qui, à Lourdes, me semble parfaitement approprié.
J'achète aussi un maillot cycliste à la boutique de l'hôtel. Il me servira demain, pendant que celui que j'avais à l'aller sera à la laverie de l'hôtel. Car demain, c'est une journée spéciale, je pars en excursion à la journée. Vous n'alliez quand même pas pensé que j'allais faire demi-tour à Lourdes ?
Jour 5, mercredi 18 mai 2022
Et donc, après un bon petit déjeûner, je pars direction... le col du Tourmalet ! Voilà , c'est dit, c'était ma destination, j'ai juste décidé d'aller me faire le Tourmalet. Le seul détail, c'est que depuis Argenteuil, il y a une marche d'approche assez conséquente, peut-être même plus dure que le col lui-même. On va vérifier ça sur pièces.
J'ai décidé de partir plein est, et donc de monter par Bagnière de Bigorre puis Campan, et redescendre par Barèges et Luz. Campan, c'est là que la dame à qui j'ai acheté le maillot hier habite. Ça lui fait un bout de route pour aller bosser à l'hôtel, tous les jours. Pas simple. C'est là que je réalise la chance que j'ai, faire partie de ceux qui peuvent télétravailler et s'offrir des vacances en vélo à la montagne ou ailleurs.
J'ai largué les grosses sacoches du devant mais j'ai conservé mon "sac jaune" sur le porte-bagage arrière. J'y transporte une réserve d'eau et des vêtements pour le gros temps. Ils annoncent (ça devient lassant...) un soleil d'enfer et une chaleur estivale, mais je préfère assurer le coup. On ne sait jamais ce qui peut se passer, là haut.
En bas du col, je me fais doubler par un gars qui, comme moi, baroude au long cours. Il va jusqu'à l'Atlantique, si j'ai bien compris. Il est allemand je crois, et a commencé son périple français en Bretagne, mais il a pris le train pour raccourcir certaines transitions. C'est pas con.
J'essaye de le suivre, mais il va un poil vite pour moi. À la Mongie, je décide de le laisser partir, et je m'arrête manger un bon burger. Un seul restaurant semble ouvert dans toute la station. Car oui, la Mongie, c'est une station de ski. Vous voyez les reportages où on explique que le bétonnage de la montagne à cause du ski alpin, c'est la pire plaie après les raz-de-marée, les tremblements de terre, et le réchauffement climatique ? Bah la Mongie, c'est ça. Juste, le truc qu'il ne fallait pas faire. C'est moche comme un cul, le concept ça a juste l'air d'être "on a foutu des HLMs dans la montagne, et comme on n'arrivait pas à construire de métro, on a collé des télésièges à la place".
Si vous voulez faire du ski, allez-y. Si vous voulez vous détendre, évitez.
N'empêche mon burger était très bon, et le patron super sympa.
La descente est surprenante, de ce côté il y a encore de la neige qui fond, et ça fait des grosses flaques d'eau glacée. Je descends prudemment. Avantage du VTT monté route, ça fait un vélo rigide, costaud, qui tient très bien le pavé, avec des vrais freins à disques qui me laissent de la marge. Il faudra que je les purge, d'ailleurs. Là c'est une monte d'origine, donc de 2008, soit 14 ans d'utilisation. Jamais rien touché ni réglé, j'ai juste changé les plaquettes de temps en temps. Du bon matos.
À force de descendre, ça se réchauffe. C'est juste parfait, j'ai fait la montée dans l'ombre au petit matin, et là je descend au soleil l'après-midi. Ça, c'est du vélo. Je passe à toute allure dans Barèges, où j'avais acheté des bâtons en catastrophe lors de la Transpyrénéa en 2016 et puis j'arrive à Luz.
J'ai eu du bol, sur cette ballade, car le col du Tourmalet était encore fermé lorsque je suis parti de chez moi... Exceptionnellement, parce que l'enneigement était faible et la météo estivale, ils l'ont ouvert plus tôt cette année. Comme un idiot, j'avais oublié de vérifier. Et j'ai doublement eu de la chance car quelques jours plus tard, neige à nouveau. Pas 80cm de poudre, mais pas non plus un temps à se promener en vélo.
À Luz, je décide de m'offrir une bonne glace. Cette ballade d'environ 100km pour une journée me laisse pas mal de temps pour profiter de la vie, alors j'en profite. Et donc je suis en terrasse en train de commander ma glace quand je m'aperçois que le restaurant s'appelle... La Terrasse. Bon sang de bois, c'est exactement le même dans lequel j'allais en... 1986 ? 1987 ? J'ai du mal à viser l'année exacte mais c'était avec Christine, une jeune canadienne (15 ans à l'époque, 3 de plus que moi...) qui avait passé l'été avec nous pour apprendre le français. Entre autres. Mais surtout MANGER DES P*TAINS DE GLACES DÉLICIEUSES À LA TERRASSE.
Je partage ces bons souvenirs avec le patron, qui depuis le temps, a changé, bien évidemment. 35 ans en arrière...
Petit micmac d'orientation sur le chemin du retour, je me retrouve sur une voie pour automobiles limitée à 110 km/h... Heureusement un automobiliste me prévient avant que ce soit la catastrophe. Je termine donc sur une piste cyclable, aménagée sur ce qui a du être une voie ferrée. Conséquence, y'a plus de trains, mais c'est un autre débat.
Arrivé à l'hôtel, je vais chercher mon linge propre, passe le bonjour à la dame qui tient la boutique, un bon dîner, et au lit.
Demain, retour !
Jour 6, jeudi 19 mai 2022
Encore un délicieux petit déj à l'hôtel, la dame qui s'occupe de nous est aux petits soins.
Et puis je pars. Phénomène remarquable, il y a aujourd'hui... des nuages. Incroyable, j'avais oublié que ça existait. Ça va permettre à me coups de soleil de se calmer un peu, car dans mon enthousiasme j'ai décidé de ne pas prendre de crème solaire, mais là je douille un peu.
C'est assez curieux, de faire le chemin à l'envers. Surtout sur un parcours si grand. J'étais ici il y a deux jours, et demain, je croiserai des zones que je n'ai pas vues en quatre jours. On a le temps d'oublier.
Après Auch, je décide, cette fois, de suivre le vrai parcours, et d'éviter le bout de nationale que j'ai pris, par pure flemme, à l'aller. Ouille. Ouillouillouille. Ça pique ! Je me retrouve dans un espèce de raidillon, ça doit être à 15% ou 18%, la chaîne complètement à gauche, je suis debout sur les pédales, ça passe à peine.
Quel enfer, le Gers. Sympa pour les salades de gésiers, pour ce qui est du vélo, faut aimer souffrir. Pire que les Pyrénées, car au moins en montagne, on a le sentiment d'avoir réalisé quelque chose. Là , c'est juste gratuit. Tu prends une bosse de fou à la montée, la même à la descente, et tu recommences. Impossible de trouver un rythme.
Tiens voilà un monsieur qui jardine. Je lui fais remarquer que c'est joli dans le coin, mais pas tendre pour les cyclistes. Il me comprend.
Juste avant de traverser la Dordogne, j'avise un patelin où je pense (je pense) que je peux trouver un resto. Je tente ma chance dans un bistrot. Non monsieur, on ne sert pas le soir, mais essayez au bout de la route là -bas, c'est ouvert normalement. Et là je tombe sur un restaurant du feu de dieu, avec une magnifique terrasse. J'essaye de commander une bavette mais je me goure et commande une entrecôte. Ça ira. Ça plus une bonne salade plus un dessert, et je suis paré pour la nuit.
Je longe un canal pendant assez longtemps, et profite bien des moustiques de la région. Chaleur + humidité + c'est le soir = c'est la fête des moustiques. Heureusement, comme ma peau est à peu près cramée partout, je ne dois pas être très appétissant, et ils me laissent tranquille.
Je décide de dormir à Catus, un patelin que j'avais repéré à l'aller car... il y a des toilettes publiques. C'est le genre de détail qui compte, parce que quand vous vous réveillez au petit matin après avoir mangé comme un ogre puis roulé la moitié de la nuit, devinez ce que vous avez envie de faire ?
Jour 7, vendredi 20 mai 2022
J'ai super bien dormi, j'aurais pu encore améliorer mon plumard si j'avais eu le courage d'explorer un peu, car il y avait une petite place couverte juste derrière.
Cerise sur le gâteau, une fois réveillé et en route, je roule pendant 100 mètres et tombe sur une boulangerie-bar-tabac, en gros le rêve de tout cycliste affamé au petit matin.
Parfois, on a de la chance.
Je continue donc ma route et repasse par les endroits connus. Belvès encore... Je croise un groupe de cyclotouristes. On se salue. Ils voyagent plus léger que moi, probablement en sortie à la journée, mais on fait le même sport, on se promène en vélo.
Je décide de m'arrêter à une boulangerie, plutôt qu'un restaurant ou une pizzeria, je suis plutôt pressé et je ne veux pas rater l'heure du repas à l'hôtel ce soir. Bon, je trouverai toujours un truc ouvert même jusqu'à 21h00 je pense, mais je n'ai pas envie de traîner, je veux respecter l'horaire, par principe.
Donc bref, boulangerie. La boulangère est philosophe. Je discute un peu avec elle, assis dans un coin, elle a eu la bonne idée d'installer une table et deux chaises dans un coin de sa boutique. Je préfère manger à l'intérieur, car dehors il fait à nouveau une chaleur de tous les diables. On parle des récents confinement. D'après elle, cette période a exacerbé les caractères des gens. Les cons étaient encore plus cons, et les gens sympas encore plus sympas. L'histoire ne dit pas à quelle catégorie j'appartiens, mais on va dire que je suis d'accord avec elle.
Encore un détour à cause de travaux... Cette fois-ci je me retrouve à monter alors que, je le sais, la route principale est à fond de vallée. Il fait de plus en plus chaud, je m'arrête quasiment dès que je trouve un point d'eau.
Je finis, on peut le dire, franchement fatigué. Est-ce juste le kilométrage ? J'en suis à 1500 bornes environ pour 7 jours. Certes je suis chargé mais on n'est pas dans des distances incroyables non plus. L'alimentation ? Peut-être. Les côtes à répétition ? Certainement.
Je vois un panneau "route des pommes d'Auvergne". C'est mignon. Je finis mon périple à 19h15, pile à l'heure pour prendre une douche et goûter un bon repas à l'hôtel.
Jour 8, samedi 21 mai 2022
Dernière section, je n'ai "plus que" deux jours de route pour un total d'environ 430 km. Et globalement, ça descend. Du gâteau. N'empêche que le début du parcours, c'est et ça reste le limousin. La Haute-Vienne, c'est pas plat mais c'est très joli. Il doit y faire frisquet l'hiver, mais sinon c'est charmant.
Je croise des cyclistes qui sont, comme moi, en train de barouder au long cours. Je pense que ma trace GPS doit partager une section avec un itinéraire connu, car j'en croise vraiment beaucoup, dont un tandem.
Petit à petit, le dénivelé se tasse, et enfin, j'arrive dans des zones où on peut parler de "plaine". Et c'est dans une petite bourgade du Berry que je décide de dîner, avec des provisions que j'ai achetées en route dans une supérette.
Je m'apprête à m'arrêter dans un abri bus, et je m'aperçois que je viens d'effrayer une dame qui passait par là . Je présente mes excuses. Elle me demande ce que je fais. Je lui explique que j'ai avisé le banc de l'abri bus, et que ça me paraissait un bon endroit pour manger, d'où mon arrêt à l'improviste sur le trottoir. Elle me conseille plutôt d'aller au bord du plan d'eau, juste là au bout de la rue, me dit-elle.
OK, je vais tenter.
Et là je tombe sur le plus mignon des paysages, le soleil est en train de descendre doucement, des amis font un barbecue pas loin dans le jardin de leur petite maison, et moi je suis installé comme un roi sur un banc, avec une table. Le pied.
Je mange, échange quelques mots avec les habitants, et repars.
La nuit est froide, je dois faire des micro-pauses de 20 puis 15 minutes, car le sommeil me guette. Ce serait bête de m'assoupir et risquer l'accident si près du but. Surtout que je suis dans les temps, pas besoin de prendre de risques.
Je décide de "faire ma nuit" au petit matin, une fois la Loire traversée. Demain il me restera juste la Beauce, la région parisienne, et ce sera plié.
Jour 9, dimanche 22 mai 2022
Au réveil, j'ai l'impression de faire un brevet 400 ou 600 km. Mêmes sensations. Un peu pâteux, légèrement froid à cause du vent... Je n'ai même pas sorti mon sur-sac et j'ai dormi comme ça, à même le sol. J'ai dormi 2 heures. Il fait bon. Un peu nuageux, mais pas frais.
Je continue donc ma route dans le Loiret. Paysages nuls, le sud de la Beauce, désolé les amis, mais ça vaut pas grand chose. On ne peut pas avoir le beurre et l'argent du beurre, faire de l'agriculture intensive et avoir des jolis petits paysages de campagne. Tant pis.
Petit à petit je me rapproche de la banlieue parisienne, et croise une superbe petite brocante à Saclas. Peut-être l'occasion de boire un café et remplir les bidons ? Mais oui ! Il y a exactement ce que je cherche, une petite librairie-salon-de-thé où l'on peut chiner des livres, et boire un petit jus en terrasse. La patronne est super sympa, on la dirait sortie d'un reportage "comment j'ai plaqué mon bullshit job dans la banque pour ouvrir le petit commerce de mes rêves".
Je passe un très bon moment, mais il me faut continuer ma route.
En chemin, je suis abordé par un cycliste intrigué par mes sacoches. Il aimerait bien partir en rando, mais ne sait pas trop par où commencer. En même temps il est à la retraite, j'ai envie de lui dire, mec, si j'étais à la retraite je serais déjà parti depuis avant-hier, sans réfléchir.
Je lui donne deux ou trois tuyaux, lui laisse une carte et lui dis de me rappeler. Il ne rappellera pas. Dommage. Hé-ho, si tu me lis, n'hésite-pas !
J'en profite pour vous donner mon point de vue sur cette pratique étrange qu'on appelle le "bikepacking". Moi je pensais, au départ, naïvement, que ça avait à voir avec "se ballader à vélo pendant longtemps, en mode aventure". Genre, un peu ce que je fais. Mais non. Apparemment, un des trucs importants à respecter, c'est de ne pas avoir de porte-bagage. Là tu te dis "attends, le but c'est de randonner loin, mais tu te prives du machin super-pratique qui permet d'arrimer le chargement ?"...
Oui, c'est à peu près ça. Le pire, je l'ai trouvé sur certains réseaux sociaux, où je m'étais inscrit plein d'enthousiasme, par curiosité. Le bikepacking, c'est une pratique précise, n'est pas bikepackeur qui veut, le label se mérite, faut pas tromper sur la marchandise.
J'ai appris que bon, bikepacker sur route, on a le droit, c'est toléré. Mais le vrai bikepacking, c'est plutôt en gravel (tm). J'ai eu l'impression de revoir comme dans un cauchemard les traileurs du début des années 2000 qui, fiers d'avoir inventé l'eau-tiède (les courses en montagne existaient déjà depuis longtemps...) répétaient à qui veut l'entendre que les routiers (ceux qui courent sur le bitume) sont des cons obnubilés par le chrono. Et on nous a resservi et gavé, jusqu'à en vomir, de ce fameux "esprit trail".
Dans le même ordre d'idée, en bikepacking, dormir à l'hôtel, c'est hors charte, préférer le camping (la tente sur le vélo sans porte-bagages, en voilà une idée de génie !)... Je continue ?
Au final donc, pas de bikepacking pour moi, c'est dommage ça m'aurait plus, mais je ne coche pas les cases. Curieusement on trouve ces fondamentalistes du voyage normalisé uniquement sur Internet. Sur le terrain, que ce soit sur une route ou un chemin, ceux qui ont sorti le vélo pour de vrai sont ouverts à la discussion.
Bon bref c'est dit, tel Jean Yanne qui n'aime pas le rock moi j'aime pas le bikepacking.
Les 40 derniers kilomètres sont une tannée à cause... des pistes cyclables. Il y a deux types de pistes cyclables. Les pistes cyclables faites pour les cyclistes. Et les pistes cyclables faites pour libérer la route aux automobilistes. On croise souvent le second type.
C'est ingérable, je passe mon temps à chercher où est la piste, un coup à gauche, un coup à droite, un coup sur le trottoir, elle s'interrompt pendant 30 mètres, reprend, fait un détour. Si on connaît le coin par coeur, pourquoi pas, mais c'est pas mon cas. Je finis par parfois rouler sur la route. J'ai le droit d'y aller, panneau bleu carré indiquant la piste, elle est recommandée, mais pas obligatoire (panneau bleu rond).
Il n'empêche, les rares automobilistes qui passent n'hésitent pas à me faire les gros yeux, me frôler, klaxonner. Voilà voilà , je suis bientôt de retour à la maison, grandeur et décadence de la vie parisienne, quand y'en a plus, y'en a encore.
J'arrive à la maison en milieu d'après-midi.
Les gros chiffres -> 9 jours, 1 900 bornes, 19 000 mètres de D+ (et autant de D-, évidemment). Je ne connais pas le poids du vélo chargé mais la réponse est "il est lourd".
Niveau physique, j'ai les jambes "un petit peu fatiguées" au sens où je manque de puissance, mais pas de douleurs. Les pieds, ça va à peu près, le suis parti avec des chaussures quasi neuves, et pourtant, à part une petite douleur sur l'extérieur à droite, rien. Le cul, ma foi, la selle en cuir a fait le job, j'ai moins mal qu'après 8h d'avion ou de voiture.
Le problème, c'est les mains. J'ai essayé d'utiliser les prolongateurs dès que c'était raisonnable, mais j'ai passé beaucoup de temps mains au guidon (de VTT) et j'ai donc le package habituel : mains douloureuses, perte de sensibilité et de force dans les petits doigts et auriculaires. Il ne reste que quelques semaines avant la RAAM, pas certain que ça se résorbe d'ici là . On verra bien.
La cerise sur le gâteau, mon épouse a préparé une petite visite de musée à la maison, mais là , on sors du domaine du vélo, et le compte-rendu s'arrête ici.