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Passer la barre

Quelque part en 2017, j'ai décidé de m'inscrire à la RAAM... L'idée n'est pas nouvelle, j'y songe depuis ma participation à la Race Around Ireland en 2013 lorsqu'a l'issu de la course, il y a déjà 4 ans, j'ai reçu un mail qui m'informait "le saviez-vous, vous êtes qualifié pour la RAAM, il ne reste plus qu'à vous inscrire, on vous attend, vous allez voir, ça va être très super". Le truc, c'est que ces qualifications sont limitées dans le temps, ce n'est valable que 2 ans je crois. Du coup, je n'y suis pas allé en 2014 , ni en 2015 , ni... bref, vous voyez le tableau, mon ticket de tombola a dépassé la date limite, et j'étais hors course. En discutant un petit peu avec l'organisateur, on a trouvé un compromis, parce que quand même, en 2016 j'ai pas vraiment chômé niveau sport donc bon, il me laissent m'inscrire. Reste que, formellement, j'aurais bien aimé valider "un peu plus officiellement" le fait que je passe la barre qualificative. Je ne cherchais pas un truc fantastique, juste le moyen le plus simple (et surtout le moins cher en temps et en sous) d'obtenir le label "bon pour la RAAM". Le coup de tampon.

Et je tombe sur ce superbe 24h à Brands Hatch qui rempli parfaitement les critères. C'est pas trop loin, pas hors de prix, et ça ne dure qu'un petit week-end. Par-fait. En plus, c'est à l'automne donc après le gros des courses, c'est ni-ckel. Ça consiste donc à faire un maximum de tours de circuit en 24h. C'est un circuit automobile donc, a priori, très roulant. Je m'inscris, je réfléchis après.

Oups. Je ne suis pas un mauvais cycliste, mais je suis surtout bon quand la distance est longue, voire très longue. Sur 24h, j'ai fait un peu plus de 600 bornes lors de Bordeaux-Paris 2010 ce qui est honorable, mais pas extraordinaire. Disons que les 400 miles (644 km) à faire, au minimum, me paraissent accessibles, mais faudra être sérieux. Jusqu'à ce que... je réalise que le tour fait 3,9 km pour 65 mètres de dénivelé. 65 mètres ça paraît pas beaucoup. Mais à chaque tour, ça commence à faire beaucoup. Petit stress. Faire 640 bornes et 10 000 mètres de dénivelé, là, c'est plus la même catégorie. Fort heureusement en lisant bien le règlement, je constate que, le parcours de Brands Hatch étant notoirement vallonné, à l'inverse, on l'imagine, des autres 24h où les organisateurs cherchent du plat pour que les coureurs fassent les plus gros scores possibles, la barrière qualificative pour la RAAM est "abaissée" à 350 miles, soit environ 563 km. Ça redevient plus accessible. D'autant que, 3 semaines avant, je viens de m'enquiller les 6 Jours de France donc ma préparation vélo est un petit peu légères, et les séquelles lourdes.

On verra bien. Au pire je me vautre et la conséquence c'est "Christian, t'es vraiment pas au niveau, faut t'entraîner dur". Sachant que le "faut t'entraîner dur" s'appliquera quelle que soit l'issue de la course.

Comme pour la RAAM, ce qui compte, c'est le physique et le mental du cycliste, mais aussi l'énergie et l'organisation de l'équipe , j'en ai profité pour faire une répétition générale, donc deux des futures membres de mon équipe 2018, Alison et Florence, seront là à Brands Hatch.

Week-end chargé

Réveil à 4h, heure française. C'est pas le tout, mais on a de la route à faire. Départ un peu après 5h. On roule jusqu'à Calais, sa jungle, ses bananiers. On a une petite heure d'avance sur le départ de l'Eurostar. Je ne sais pas si vous avez déjà pris ce fameux Shuttle, mais c'est juste... trop bizarre. La voiture immobile dans le wagon qui bouge. On a l'impression que c'est le paysage autour qui défile, que quelque chose ne tourne pas rond, c'est pas logique, on dirait une illusion d'optique. J'essaye de dormir un peu mais sans trop de succès. On met le pied, enfin, les roues, sur le sol anglais vers 10h00 je crois, heure anglaise cette fois. On roule jusqu'à Brands Hatch et là, mauvaise gestion de ma part, j'ai aveuglément fait confiance au GPS de la voiture et on jardine pour trouver l'entrée du circuit qui est, pourtant, bien bien visible. Va falloir être un petit plus costauds que ça aux US, sinon, ça va mal se mettre.

Premier contact avec le circuit. Et honnêtement, presque un coup de foudre pour moi. Les couleurs sont saturées, l'herbe est verte, verte, mais d'un vert, franchement vert. À ce sujet, vous savez comment on fait un beau gazon anglais ? Bah faut bien préparer la terre, la retourner et tout et tout, planter du gazon, et ensuite faut laisser pleuvoir tous les jours dessus pendant 500 ans. Désolé. Revenons au circuit, un code couleur assez bien respecté, autour de blanc-gris-rouge lui donne un bon cachet, et la petit ed'odeur d'huile moteur et de carburant ajoute la petite note finale. Franchement, on est bien.

On récupère le dossard, on s'installe. Là, c'est cool, le stand est suffisamment grand, pas comme aux 24h du Mans Roller , et on peut s'installer. J'ai bien chargé le break familial donc on a pu emmener lit de camp, table, chaises, batterie pour charger les portables (le gros modèle, batterie au plomb de plusieurs kilos pour faire démarrer votre diesel en hiver, pas la blague de 200 grammes pour chargeur un demi smartphone), et plein de bouffe, la totale.

Parmi les gadgets que j'ai emmenés, des radios UHF pour pouvoir communiquer en route. Sur le circuit, là, ce n'est pas du tout indispensable, mais aux US, je pense que ça pourra faire la différence, le truc a une portée de quelques km, j'ai pris des modèles avec oreillette, étanches et résistants à la poussière, ça devrait être bien pratique. Mais mauvaise nouvelle, j'ai mal lu le règlement, et ici, au Revolve24, c'est interdit. Pour je ne sais quelle raison, soit la sempiternelle sécurité soit parce que le staff a envie d'avoir les ondes pour lui, mais dans tous les cas, c'est interdit. Pas grave, on essaiera les joujous une autre fois. Changement de sujet donc, je fais un briefing rapide à Alison et Florence sur la nourriture, les vêtements, les arrêts que j'ai prévus, on se mange un peu de junk food du camion, et c'est plutôt bon. Enfin, je fais une ultime sieste avant la course mais il reste peu de temps et j'ai du mal à vraiment m'assoupir.

Juste avant le départ, j'entends derrière moi (en anglais) "hé, j'adore ton maillot!" et donc je me retourne. C'est Alan Heary l'organisateur de la RAI. Comme il est en tenu de cycliste, je lui demande s'il fait la course en solo ou en équipe. Il m'informe qu'il est dans une équipe de 4. Mais 3 de ses coéquipiers ne sont pas venus. Mais lui, il est là. Je lui dis "mais, t'es solo alors?...". Mais il insiste, il n'est pas seul, il est dans une équipe de 4, mais incomplète. Bon, si vous avez besoin d'un point de vue enthousiaste et d'énergie positive dans la vie, adressez-vous à lui j'ai l'impression qu'il est très fort.

Départ

En rang d'ognions
Mon vélo m'attend juste en face. Merci Alison, c'est parfait.

Départ comme sur un 24h automobile, le vélo est côté gauche, tenu par un accompagnateur, les cyclistes sont à droite, au top tout le monde traverse et saute sur son vélo. Bon, j'ai passé l'âge de ces conneries, et je suis en catégorie solo, et pas non plus à 30 mètres près, donc je marche tranquillement, monte calmement sur ma monture, et en route.

La bosse
Au bout de 500 mètres de parcours on a vite compris : ça monte souvent. Ici le raidillon de début de parcours, qui taquine les 10% (juste en dessous, à 9% et des brouettes).

Je n'ai pas repéré le circuit. C'était peut-être un erreur. Car je me serais aperçu d'un truc. Par exemple, que le câble électrique qui remonte du moyeu de ma roue avant à mon guidon le long de la fourche est mal positionné, du coup il se prend dans les rayons et ça fait clong-clong-clong. Pas mal le gars, 500 mètres de fait, et déjà un problème mécanique. C'est bête, j'ai roulé 100 mètres avec le vélo, pour vérifier que tout allait bien, mais à basse vitesse, le problème ne s'est pas manifesté... J'essaye de remettre le truc en roulant. Très malin, ça, de tenter une réparation avec la main qui pendouille le long de la fourche, tenant le guidon de l'autre, en plein milieu d'un peloton certes pas très dense, mais tout de même. Je n'y arrive pas. Ah si, c'est bon. J'ai réussi tant bien que mal à le sortir vers l'extérieur, ça dépasse un peu, mais au moins, il ne se prend plus dans les rayons. C'est stupide, c'est en montant la roue avant, il suffit de faire un peu attention à bien l'enrouler... Mais voilà, ce vélo n'avait pas roulé depuis Paris-Brest-Paris 2015 et ce n'est pas surprenant d'avoir ce type de surprise après 2 ans de garage. Sur ce, je m'aperçois qu'en manipulant le fil, j'ai décalé le capteur du compteur de vitesse, lequel ne fonctionne plus. Donc, je n'aurai ni ma vitesse instantanée, ni ma distance, ni ma moyenne, ni... À moins de m'arrêter. Oui mais, vis-à-vis d'Alison et Florence : je les ai briefées en leur expliquant qu'on n'était pas là pour enfiler des perles ("not here to f*ck spiders", traduction australienne officielle et imagée, suggérée par Alison) et là, genre, 1er tour, une personne s'arrête, et c'est moi. Très mauvais pour le moral ça, donc, je décide de continuer, le compteur qui fait accélérer, si ça existait, ça se saurait, le secret, c'est les jambes et la tête, allez courage mon garçon, on pédale on y va. J'ai prévu de faire des "petits" arrêts genre simple échange de bidon toutes les deux heures, et toutes les quatre heures un "gros" arrêt avec repas et tout le tremblement.

Pleine balle
Pour compenser la bosse, le dernier kilomètre est très roulant.

Bon, petit arrêt, c'est petit. Je ne suis pas sur une perspective de record du monde, donc encore une fois, pas la peine de risquer sa peau pour gagner 3 secondes, en revanche, perdre une minute, ça me ferait mal. Donc bon, petit, c'est un nouveau bidon, coucou salut merci, et ça repart.

Arrêt au stand
Allez hop, on n'est pas là pour enfiler des perles!

Les gros arrêts c'est différent. Je prends le temps de m'asseoir pour manger. Par contre, je mange plutôt vite. Apparemment, j'ai bluffé certaines équipes, car beaucoup font la course en relai donc il y a du monde dans les stands à attendre, en dégommant 4 ou 5 parts de pizza à une vitesse défiant toute concurrence. Et encore j'avais un handicap, je sortais du dentiste la semaine d'avant et j'avais un pansement côté droit donc ne pouvais mâcher que du côté gauche. En temps normal, je mange encore plus vite que ça. Mon plus long arrêt sur toute la course a duré moins de 10 minutes, car mon tour le plus long a fait un peu plus de 17 minutes, et je tournais rarement en dessous de 9 minutes au tour. C'est le grand secret de toutes ces courses horaires en solo, elles ne se gagnent pas dans les stands, mais c'est là qu'elles se perdent. En appliquant une tactique toute simple du type "tu restes sur le vélo, quoi qu'il arrive", on a déjà fait la moitié du boulot. Mais c'est plus facile à dire qu'à faire.

La météo est plutôt bonne. Je me suis assez rapidement changé pour des vêtements adapté à un froid de type mi-saison, sachant que j'ai de quoi supporter le gros temps dans mes cartons, mais a priori, on va juste risque un peu d'humidité et un temps pourri à l'anglaise, mais pas de tempête, de froid mordant, je ne dirais pas que c'est un temps idéal pour le vélo, mais franchement, en septembre près de Londres, faut pas non plus s'attendre à des miracles.

Les bonnes habitudes

Au bout de quelques heures, je me suis enfin familiarisé avec le circuit. La descente un petit peu raide avec en face la remontée qui vous scotche net, virage à droite au sommet, puis descente avec ce virage sur la gauche en deux étapes, puis la deuxième côte avec son pourcentage très progressif, les petites montées-descentes du fond du circuit, pas bien méchantes mais qui contraignent à changer de vitesse, et enfin le grand faux-plat descendant qui tourne vers la droite et enquille vers les stands, et on recommence. Sur les premiers tours j'avais un peu joué avec les plateaux mais à l'usage je fais tout sur celui du milieu (je roule avec un triple) ça suffit largement, et c'est moins compliqué.

Il est bien ce circuit. On ne s'y ennuie pas. Pas mal de concurrents ont crevé je trouve. Bizarre car la piste était vraiment propre. Certains ont même réparé sur place. Il me semble que moi, j'aurais roulé à plat jusqu'à mon stand. Enfin.

Je me dis qu'un de ces jours, il faudra que je trouve un jeu vidéo où on peut tourner sur Brands Hatch. Et voir si les développeurs ont correctement modélisé le circuit. Parce que moi maintenant, je le connais. Et je suis pas près de l'oublier.

Et comme souvent, mes souvenirs mémorables sont associés à une musique. Ce n'est pas vraiment possible d'écouter de la musique sur un vélo, mais ce n'est pas grave, le juke-box situé entre mes deux oreilles fait très bien le boulot. Or donc, sur ce coup-là, la musique de référence qui me trottait dans la tête c'est Under Pressure de ZZ-Top (désolé les Mouettes mais celui-là est mieux).

La nuit

Déjà l'automne, les nuits rallongent. J'allume ma lampe. Bon, OK, le fil m'a un peu embêté en début de parcours mais à part ce petit détail, il faut le reconnaître, l'éclairage avec la dynamo dans le moyeu, c'est royal. Sur Internet avant la course, je suis tombé sur un fil de discussion où certains parlaient de leurs lampes. Et ça annonçait du "600 lumens, suffisant, mais j'en cherche une mieux, c'est quoi votre modèle". Et moi je me rappelais bien que quand j'ai acheté ma lampe Busch & Müller, elle était dans les 60 ou 80, pas plus. Donc, dix fois moins lumineux. Dix fois moins lumineux, ça veut dire qu'on éclaire 3 fois moins loin... Mais ils ont quoi les autres, des projecteurs ? Je ne me suis pas inquiété plus que ça, je sais que ma lampe, elle est bien, et outre le fait qu'elle ne consomme aucune pile, elle m'a déjà accompagné dans de nombreuses nuits, je suis confiant. Et là, sans surprise, je constate la nuit tombée que mon faisceau est un des plus puissants. Mais où sont donc les 600 ou 1000 qui racontaient des cracks sur Internet ? Et c'est en écrivant ce compte-rendu que j'ai compris ma bourde : il faut distinguer Lux et Lumens. Les deux mesures la luminosité, mais les lux, c'est des lumens par mètre carré. C'est pour ça que les chiffres diffèrent, l'éclairage en lux dépend énormément de la largeur du faisceau, entre entres. Bon bref, je comparais des choux et des carottes, or donc ma lampe est très bien, je vous avouerais que je m'en fiche, après tout, pas mal, que ce soit 100 ou 1000 lumens ou brousoufs, l'important, c'est que ça éclaire bien.

Photo volée
Ah les farceurs, ils ont profité que je mangeais un burger pour photographier mon vélo à l'arrêt. Bande de pirates !

J'ai aussi branché le GPS sur la dynamo, tant qu'à faire... Mon idée c'est qu'ainsi je vais pouvoir avoir ma vitesse instantanée même la nuit. Depuis le départ j'ai eu le temps à l'occasion d'un arrêt rapide de remettre mon compteur de vitesse en marche, mais, la nuit, je ne le vois pas, il n'est pas rétro-éclairé. En revanche j'ai un Garmin qui l'est, lui, rétro-éclairé, quand il est en charge. En le montant sur la sortie USB qui vient de la dynamo (vélo 2.0, oui, je peux charger de l'USB en roulant) il s'éclaire donc en permanence. J'avais essayé à Lensahn c'était parfait. Mais oui mais non, car le cable mini-USB, qui a pris la pluie a Lensahn, a rouillé depuis, et le dispositif magique ne fonctionne plus. Le GPS affiche bien la vitesse, mais sans rétro-éclairage, pour la voir il faut que j'appuie un petit coup à chaque fois sur un bouton au hasard.

Avec tout ça, difficile de savoir où j'en suis en distance... Je profite donc des rares arrêts aux stands pour demander à Alison ou Florence. À vue de nez je ne suis pas trop mal parti, il semblerait que j'arrive à sécuriser 300 bornes sur les 12 premières heures. J'ai vérifié sur les résultats en ligne après coup, j'étais à 301 km à 12h04 de course... Reste plus que 263, et c'est dans la poche. Mais va pas falloir chômer. Détail intéressant, inscrit dans la catégorie "RAAM qualifier" je n'ai pas le droit de faire de drafting, c'est-à-dire de me mettre dans la roue des autres concurrents. C'est parfois frustrant, car c'est utile malgré les bosses à répétition, et j'aurais peut-être pu gagner quelques kilos comme ça. Enfin bon, c'est le règlement.

J'ai un petit coup de fatigue sur les coups d'une heure du matin. Je ne sais plus si c'est là ou à 23h00, mais à un moment je crois bien que j'ai du me reposer 2 minutes, c'est du sommeil éclair, juste pour regagner un peu en lucidité et ne pas m'endormir sur la route. On ne plaisante pas avec la sécurité. Sur les coups de 3h je fais une de mes "grosses pauses" avec un bon repas bien copieux, avalé au lance-pierre, et c'est reparti. Et vers 3h30 du matin, alors que j'essaye de me concentrer et de lutter contre le sommeil, je me réveille... dans le gravier. Bon sang de bois, qu'est-ce que je fous là ! J'ai fait un tout-droit dans le virage sur la droite avant la grande descente bien raide. Je suis donc la nuit, réveillé en sursaut, avec des pneus route, en train de rouler dans du gravier non stabilisé. Ce dispositif est normalement prévu pour arrêter les voitures qui ont fait une sortie de route, pas pour les cyclistes étourdis. Donc, on s'y enfonce. J'essaye de garder le contrôle du véhicule, me concentre, et arrive à revenir sur la route sans me vautrer par terre. Je me dis alors qu'il faut que j'aille dormir. Mais je n'ai plus du tout sommeil. J'ai pris une décharge d'adrénaline format XXL, et là c'est certain, je ne vais pas trouver le sommeil. Maintenant que j'y pense, 3h30 du matin c'est 4h40 en France, ça fait plus de 24h que je suis réveillé, pas si surprenant que j'aie un petit coup de mou.

Petit matin
Le vélo dans le brouillard la nuit, c'est pas ce dont on rêve, en général. Mais c'est ça qui fait les meilleurs souvenirs.

Sur ces entrefaits, le brouillard s'invite. Un vrai brouillard. Bien gras, bien épais. Niveau visibilité, le vélo, la nuit, dans le brouillard, avec des lunettes, c'est pas optimal. Je me vois contraint de ralentir dans certaines zones, en particulier ce grand gauche cassé en deux morceaux, j'ai déjà fait une sortie de route, on va en rester là s'il vous plaît. Il faut voir le bon côté des choses, tout cela est assez magique. Nous sommes moins nombreux à tourner d'ailleurs, et il est fini le temps où certains solos me doublaient avec 5 ou 10 km/h de mieux. Là, je me fais doubler de temps en temps, c'est certain, mais ça reste raisonnable. Je ne sais pas comment je suis classé, mais c'est certain en ce moment je suis en train de gagner du terrain. 5 heures du matin, brouillard, froid, humidité, plus de 14h de course: les excuses pour se reposer une petite heure ne manquent pas. Sauf qu'il ne faut pas s'arrêter.

Demain est un autre jour

Y'en a un qui bosse
Bon c'est une vision de l'esprit où je suis suivi, là ?

Le jour se lève, et le brouillard peu après. Alison et Florence ont fait des rotations dans la nuit. Elles ont assuré comme des bêtes. Il y en avait toujours au moins une des deux qui veillait au grain, et j'ai eu beau essayer, impossible de les prendre en défaut, toujours dans un état d'esprit positif, avec tout ce qu'il faut à disposition, et surtout elles ont bien su m'envoyer le bon coup de pied au cul qui va bien lorsqu'il fallait ne pas s'éterniser aux stands, et repartir. C'est compliqué de faire l'assistance, on attend énormément, et quand le coureur est là ça va assez vite, on a envie de l'aider, mais souvent la meilleure façon d'aider c'est d'éjecter le bonhomme rapido sur le circuit car, c'est une règle fondamentale : assis sur une chaise, on ne va nulle part.

Ça se précise
On en voit le bout, le moral est bon.

J'ai mal aux pieds. J'avais déjà eu des soucis lors du triple à Lensahn à cause du froid. Là, pareil, mes pieds se sont frigorifiés pendant la nuit, malgré les sur-chaussures et le collant long. Je n'ai même pas besoin de regarder, je sais qu'ils sont tous blancs. C'est surtout quand je m'arrête, que ce soit un arrêt de pédalage dans une descente ou, pire, un arrêt aux stands, que c'est insupportable. Sur le moment, je pense que c'est juste un problème de circulation, genre le sang qui a circulé au ralenti puis revient d'un coup. Mais je ne sais pas trop. En revanche, c'est insupportable. Mais bon, comme c'est pire en m'arrêtant qu'en roulant, j'ai de bonnes raisons pour continuer.

La quille
Lunettes de soleil, coupe-vent rangé au stand, pour un peu il ferait beau, tiens.

Je discute un peu avec un autre français qui fait la course en solo. Facile à repérer, son maillot est rose vif. Je lui demande s'il a un objectif. Il me répond oui, 563 km. Tiens ben ça alors, comme par hasard. Lui aussi cherche la qualification pour la RAAM. Il s'appelle Jean-Christophe Teppaz et on tape un brin de causette, fort bienvenu en cette fin de matinée, début d'après-midi. En roulant bien côte à côte on ne profite pas énormément de l'aspiration, donc je pense être propre au niveau du règlement pour le "RAAM qualifier", nous n'en abusons pas de toutes façons. Il est plus rapide que moi, et son kilométrage final sera plus élevé que le mien, en revanche je crois bien qu'il en a un petit peu marre de tourner ici, surtout ces petites bosses à répétition, ça vous use les nerfs d'un bonhomme. Moi je me sens pas mal, les filles m'ont indiqué mon kilométrage, et je sens bien que... ça va le faire. Je vois le moment où il suffirait que je fasse du 20 km/h pour finir, le moment où il suffirait que je roule à 15 km/h, le moment où... c'est gagné ! Je m'arrête une minute pour célébrer l'événement au stand. Et puis je rajoute quelques tours pour la forme. Il reste une grosse demi-heure, presque trois quart d'heure je crois. D'un certain point de vue je suis content, d'un autre mes pieds me lancent, c'est une vraie boucherie. J'avoue que sur la fin, j'ai profité de quelques moments de solitude au fond du circuit pour pleurer discrètement, ça fait du bien, ça relâche la tension nerveuse.

Épilogue

Et la fête se termine. À l'inverse de la course à pied, ici on ne compte pas les fractions de tour donc seul le dernier tour passé en moins de 24h compte. Au classement je suis 9ème, le 8eme n'était pas loin devant mais je crois que même si je l'avais su, je ne serais pas allé le chercher. Faut savoir ce qu'on veut. Là j'avais un objectif clair, net, précis, de 350 miles, et c'est fait (avec 7 miles de plus) donc contrat rempli. À noter que j'ai du monter un peu plus de 9 000 mètres pendant ces 24h, soit un peu plus d'un Everest, en partant du niveau de la mer. Quand je vous dis que ça monte...

L'histoire ne s'arrête pas tout à fait là, car au moment où j'écris ces lignes, j'apprends qu'Accent Français, une école de français basée à Montpellier, va me soutenir financièrement à l'occasion de ma participation à la RAAM en 2018. Si vous avez réussi à me lire jusqu'ici, vous n'avez peut-être pas directement, personnellement, besoin de leurs services, en revanche si vous avez des amis ou connaissances qui cherchent à apprendre la langue de Molière en joignant l'utile à l'agréable sous le doux soleil occitan, pensez-y !

La suite se passera aux 48h de Royan en course à pied et là, ça sera la dernière de l'année. Et si vous voulez en savoir plus sur ma projet RAAM 2018, cliquez ici.

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Mis à jour le vendredi 20 octobre 2017.