La der des der
Royan, j'y étais en 2015 mais en 2016 j'avais du renoncer car la date était vraiment trop proche des 6 jours de France à Privas.
C'est ma dernière course de la saison 2017, après je vais me concentrer sur le vélo en général et la RAAM en particulier, pendant 9 mois. Un beau bébé.
Je me demande d'ailleurs si ce n'est pas la course de trop. J'ai enchaîné les 6 jours en août et le Revolve24 en septembre et ma foi, en ce début de mois d'octobre je suis, comme qui dirait, un brin fatigué. Je le sens, à l'entraînement, je suis un peu ramollo, pas une très grande envie de courir, heureusement que c'est la dernière parce que bon, je prendrais bien un brin de repos.
Le concept reste toujours le même : on se réunit à quelques dizaines de zinzins du kilomètre autour d'un circuit d'environ un kilomètre, et on tourne pendant 48h, celui qui a fait le plus de distance gagne, les autres aussi d'ailleurs, tout le monde gagne du moment qu'il a fait du mieux qu'il pouvait. Bon, j'ai gagné la course en 2015 donc raisonnablement je peux prétendre au podium. Valérie a épluché pour moi la liste des participants, et parmi eux Tiziano Marchesi avec un record personnel à 413 km et 630 mètres (très important les 630 mètres en plus) et aussi Alain David, 246 km sur 24h, a déjà été sélectionné en équipe de France de 24h, donc même s'il n'a encore jamais fait de 48h, on peut le dire, il court bien, et même très bien. Sur le papier, ils sont tous les deux plus forts que moi, et c'est tant mieux, ça fera, j'espère, une belle petite bagarre sympatoche comme on les aime, entre amis.
Ah, dernier point, j'ai appris récemment qu'avec les nouvelles règles d'inscription pour le Spartathlon, si on fait 20% de plus que 280 km en 48h, soit 336 km (vous suivez ?) on est qualifié d'office et on n'a pas besoin de faire de tirage au sort. Sachant que 6 semaines plus tôt je suis passé vers les 330 aux 48h et que j'avais de la marge, genre, de quoi faire 4 jours de plus, je me dis que c'est accrochable. En plus, faire la RAAM et le Spart' la même année, ça a un je-ne-sais-quoi assez stylé je trouve, donc bon, on verra plus tard, mais si je peux attraper la qualification au vol, je ne crache pas dessus. Les deux courses sont pour moi également mythique, elles sont toutes les deux le rendez-vous des connaisseurs qui apprécient les longs kilométrages et les barrières horaires bien sèches, le tout dans un contexte historique. Dans un cas le fameux voyage de Phidipiddes, dans l'autre la grande traversée du Nouveau Monde.
Sur place, sont de la partie Valérie et Fernando sur le 48h, mais aussi Alison et quelques anciens collègues du Bon Coin qui viennent taquiner la piste pendant 24h. Royan, c'est une course hyper efficace niveau logistique, le départ est à 300 mètres de la gare. Donc avec une journée et demi de congés, un aller-retour en train et une seul nuit d'hôtel, tout est bouclé. Petit resto en bord de mer la veille du départ avec Valérie, Fernando et Sylvia. Pas de stress.
Départ
Retrait des dossards et départ à 10h00, il faut beau, tout baigne. Comme à mon habitude, je marche. J'ai prévu :
- 30 minutes de marche / 1h30 de course pendant 16h00
- 15 minutes de marche / 1h45 de course pendant 16h00
- un maximum de course pendant les 16h00 qui restent
Donc, je me fais prendre des tours par tout le monde dès le début.
Mais, assez rapidement, ça se tasse. Je prends très brièvement la tête de course, typiquement, à la fin de mes 1h30 courues, mais grosso-modo, Tiziano est en tête dès la première journée. Il cale le 100 bornes en 9h30 environ. Je suis presque une heure derrière, pas la peine de jouer au héros, 9h30 c'est ce que j'ai fait sur un 100 bornes "sec" en juillet donc difficile d'aller aussi vite sur un départ de 48h. OK, à Cléder il y avait un peu de dénivelé, mais tout de même.
Je note que Yolande est partie très vite. Elle est devant moi d'ailleurs. À vue de nez, elle en fait un peu trop je trouve, je soupçonne qu'elle va ralentir. Je suis plus impressionné par Tiziano, archi-régulier et qui ne montre aucun signe de fatigue, et Alain, qui a l'air de faire sa promenade, il déconne, aide une spectatrice à trouver les solutions de ses mots fléchés, on ne peut pas dire qu'il soit dans le dur.
Enfin bon, je mène ma barque, essaye de prendre du bon temps, et tiens, justement, en parlant d'Alain, j'arrive à discuter avec lui. Ce qui, reconnaissons-le, ne relève pas de l'exploit, c'est une vraie pipelette, je lui fait d'ailleurs remarquer que s'il est tout à fait acceptable pour moi de ne pas finir sur la plus haute marche du podium, une de mes coquetteries est d'être dans le top du top des grands bavards des circuits. Et là , il me fait de l'ombre, le bougre. On cause on cause. Intéressant, on a des activités communes en dehors de la course à pied, la musique par exemple. Ceux qui pensent qu'on peut s'ennuyer sur un 24h ou un 48h manquent de conversation. Alain n'en manque pas.
Valérie a des soucis. Motivation à zéro. Zéro virgule zéro. Physiquement elle accuse un peu le coup après ses 6 jours mais surtout, elle n'a pas envie. J'essaye de faire ce que je peux mais j'échoue. J'ai pourtant tenté pas mal de trucs, comme par exemple mettre Dominique sur le coup et tenter de la remettre en piste, mais rien n'y fait. Donc elle fait une bonne pause la nuit, reste tout de même avec un dossard et fait quelques tours, mais sur le principe, elle se met "hors-course" et fait baisser la pression. Je la comprends. Je suis déçu pour elle mais d'un autre côté je sais ce que ça coûte de faire un 48h au taquet, et si on n'est pas prêt à payer le prix, parfois, ça vaut peut-être mieux de ne pas tenter le diable.
Samedi
J'écris ce compte-rendu avec un peu de retard, et quand j'y pense, j'ai peu de souvenirs marquants sur cette course. Elle est passée un peu comme un formalité. Il fallait faire les kilomètres. Alors, je les ai faits. J'ai géré au mieux. Curieusement, pas mal d'amis coureurs et coureuses m'ont fait remarqué que j'avais l'air d'en baver dès le début. Je regarde les photos et elles confirment leurs propos. De mon point de vue, j'ai fait comme d'habitude. Mais ils ont certainement raison. Je passe en 210 et des brouettes aux 24h, de mémoire. Mon record personnel est à 222 km donc le constat est clair : je suis parti vite. Tiziano est parti encore plus vite, mais à ce stade, la thèse papier "il est plus fort que moi" est juste en train de se confirmer sur le terrain. Je continue mon bonhomme de chemin mais ça ne sert à rien d'aller le chercher. En gros, je donne l'impression de taper dans mes réserves, je suis 5% en dessous de mon record sur 24h, si je tourne le bouton plus fort, je prends vraiment de gros risques. D'autant qu'il reste de la route à faire... Par rapport à 2015, je crois que j'ai du faire 5 km de mieux sur la première partie de la course. Donc, je suis toujours en ligne pour battre mon record personnel. Ce qui serait pas mal. J'y crois, je continue.
En milieu d'après-midi, gros coup de mou. Je dors en marchant. Vraiment, je dors. D'habitude j'ai tendance à me réveiller quand je tombe en arrière mais là c'est plutôt vers l'avant que je pense. J'innove. Alison m'aide en discutant avec moi et me tient éveillé. Mon rythme en prend un coup, forcément. Je décide de m'arrêter 5 minutes pour récupérer un peu de concentration. Pas besoin d'aller dans le gymnase : il ne fait pas froid et donc je peux simplement m'allonger par terre. L'équipe d'assistance de Tiziano, composé de deux italiens, me rend bien service sur ce coup-là . Ils comprennent ce que je veux en 5 secondes chrono. Je m'allonge, ils mettent le chrono en marche, 5 minutes plus tard, à la seconde près, ils me réveillent, m'aident à me relever. Des pros. Et incroyablement gentils. C'est ça la magie des courses longue distance. Je suis en chasse derrière leur poulain, et ils se mettent en quatre pour m'aider à faire le meilleur score possible.
À un moment, Joel Caduc, un de mes soutiens actifs pour la RAAM qui sponsorise la time station 28. El Dorado, KS est passé me faire le coucou. Il m'encourage chaleureusement, me dit de m'accrocher et de penser à mes fans. J'enregistre le message. Je fais au mieux les amis, pied au plancher, mais bon, c'est pas facile facile non plus. Merci Joel.
Deuxième nuit
La seconde nuit, c'est un peu le juge de paix sur 48h.
En ce qui me concerne, battre mes 482 km de 2015, j'y crois encore. Je tente le coup. Va falloir être costaud, mais c'est faisable. Je reçois les encouragements chaleureux de l'immense Jean-Gilles Boussiquet, qui est ici en coach, mais devrait courir l'année prochaine. En général le soucis sur une deuxième nuit de 48h, c'est qu'on est juste assailli par le sommeil, d'un certain point de vue c'est pire que sur un 6 jours car la tentation, légitime, de ne pas dormir du tout, nous fait vraiment toucher le fond. Pour le coup, je dois m'avouer vaincu, je dois refaire une pause de 5 minutes (en tout, j'ai du en faire deux, ou trois, je ne sais plus exactement) et les équipiers de Tiziano me rendent à nouveau service. Des chics types, vraiment. Je n'arrive pas à leur dire merci aussi chaleureusement que je le souhaiterais, car je ne parle pas italien.
Je sens confusément que j'ai vraiment perdu en rythme. Que ce soit Tiziano ou Alain, les deux vont nettement plus vite que moi quand ils court. Comme Tiziano court tout le temps, il me distance vraiment de loin. Mais Alain y va plutôt cool, et fait pas mal de pauses, donc au final, je reste devant. Yolande a eu un sacré coup de barre, assaisonné par un bon coup de froid pendant la nuit, donc au classement général, elle descend franchement, tout en restant la première féminine, de loin.
Tiens, Fabrice, le papa de Robin, un de mes anciens collègues, semble bien parti. Il finira 3ème du 24h avec un bon 180. A priori il a eu quelques petits soucis de l'ordre de l'erreur de jeunesse (ampoules & cie) mais il semble presque prendre goût à l'exercice. Bonne nouvelle.
Final
Avant le lever du jour, j'essaye de relancer la machine. Je profite d'une relative accélération de Tiziano pour essayer de me motiver moi aussi à aller un petit plus vite. Je n'arrive pas à le suivre mais c'est pas grave, c'est motivant de voir un coureur rapide comme ça. Je me traîne à 9 km/h en pointe et pourtant j'ai l'impression d'avancer à fond, mais on s'en fiche, 9 km/h c'est mieux que 8 km/h, qui est mieux que 7 km/h, etc.
Battre mon record, là , ça va devenir compliqué. Au lever du jour, je crois bien que c'est râpé. Mon somnambulisme nocturne a été fatal. Bof. Pas certain qu'en dormant j'aurais fait mieux. Je manque de vitesse, voilà tout. Je suis passé en mode 6 jours. Au total je ferai 165 bornes environ sur les dernières 24 heures. Ce n'est pas ridicule. Mais ça ne me permet pas de passer les 380. Je suis un peu en-dessous, à 375. En revanche, pour le Spartathlon, c'est du tout bon, largement au-dessus des 336. Valérie m'a tenu compagnie pendant les 50 dernières minutes. C'était assez magique. C'est la fin de la saison, je suis en bonne compagnie, que demander de plus ?
Et surtout, j'assiste à un truc incroyable. Tiziano en remet une couche sur la fin. Une belle leçon de course à pied et d'endurance. Il en a encore sous la semelle, le bougre. L'organisation a mis les petits plats dans les grands, l'animateur au micro nous met une ambiance de feu pour la dernière heure. Et là , notre formidable italien arrive au score de 413 km et 838 mètres. Vous avez suivi ? Son record personnel, qui était d'ailleurs le record d'Italie, était juste 208 mètres en dessous. Il vient de battre le record de la course, le record de son pays, et son record personnel, le tout avec... à peine plus de 200 mètres. Et là , je lui tire mon chapeau, car y croire jusqu'au bout comme ça, c'est très, très, très fort. Plus que le kilométrage total, certes impressionnant, c'est son attitude et son engagement que j'admire. Excellente gestion, toujours aimable, il n'a jamais sorti une seule remarque désagréable sur tel ou tel coureur plus lent qui aurait occupé la corde dans un virage, un modèle de fair play et à la clé : une superbe performance, il a bien mérité sa standing ovation lors de la remise des prix.
En ce qui me concerne, j'attrape une deuxième place, qui me va très bien, c'est moins bien que premier mais franchement, finir derrière Tiziano, c'est presque un plaisir. Maintenant le programme c'est... du repos, et ensuite du vélo, du vélo, du vélo, et encore du vélo. Je garde toutefois dans un coin de ma tête l'idée d'accrocher les 400 pitons, un de ces jours. Ça paraît difficile, mais pas infaisable, bien entraîné et préparé spécifiquement, ça se tente. Le meilleur moyen d'échouer, c'est de ne pas essayer, alors je sais ce qu'il me reste à faire.